L’entretien de Mme Maisonneuve : explication des critères de codage et d’interprétation
Parmi les entretiens que nous avons finalement analysés, nous considérons que celui consacré à Mme Maisonneuve se révèle le plus approprié pour illustrer la manière dont nous avons appliqué les procédés d’analyse mis au point par D. Demazière et C. Dubar. La fluidité avec laquelle cette personne interviewée a exposé le contexte dans lequel son goût pour les MIA a pris forme nous permet de montrer plus facilement la reconstruction de la logique générale de son discours, ainsi que la manière dont sa « ligne de vie » a été marquée par l’action de forces collectives (son goût pour les MIA en constituant une des manifestations palpables). Il est pertinent de rappeler ici que la recherche de cette « logique générale » traduit à la fois nos efforts pour trouver la cohérence interne d’un discours par définition subjectif1, ainsi que le rattachement de ce discours et de sa « logique » à un corpus d’entretiens « présentant un degré suffisant d’homogénéité »2. Nous exposerons en détail les procédés et les critères qui ont présidé notre travail de triage qui ont permis la condensation de ces discours en couples d’opposition. Nous espérons faciliter ainsi la compréhension globale du lecteur, car il aura à sa disposition, du moins pour ce cas analysé, tous les éléments nécessaires à garantir une lecture « transparente» de la parole de l’interviewée, ce qui favorise d’ailleurs la lecture critique de l’interprétation des entretiens que nous livrerons par la suite. Nous avons rencontré Mme Maisonneuve – veuve, la soixantaine passée au moment de l’entretien3 – au concert que Los Calchakis a proposé à Chaville en 2004 (18/04/2004). Elle a accepté de bon gré notre invitation pour parler plus largement de son intérêt pour les musiques « des Andes » dans le cadre d’un entretien, et elle nous a proposé de l’interviewer chez elle, dans la ville de Viroflay (Ile-de-France). Mme Maisonneuve habite une belle et grande maison d’inspiration rationnelle dont la décoration à la fois moderne et sobre nous a donné tout de suite l’impression d’une situation économique plus que confortable, quoique la « modernité » de la décoration et des objets nous aient paru plutôt démodée1. Nous avons pu repérer, par exemple, des tableaux d’art contemporain accrochés aux murs du grand salon, des sculptures abstraites de différents formats décorant la grande bibliothèque où l’on trouvait, d’ailleurs, une variété de livres d’art et de nombreuses pièces décoratives à l’air « ethnique ». Nous devons avouer que ce confort nous a quelque peu surpris, notamment par rapport à la situation des autres personnes que nous avions rencontrées jusqu‘alors –enquête exploratoire comprise – dont les logements dénotaient un standard de vie moins aisé2. Nous allions vérifier plus tard que cette impression n’était pas complètement inexacte. En effet, Mme Maisonneuve avait fait une carrière importante comme secrétaire-assistante d’un directeur d’une grande multinationale, et son mari avait été un haut fonctionnaire de l’administration publique française à Alger3. Cette dernière information, apportée au milieu de l’entretien, a réaffirmé en nous une impression que nous avions eu tout au début de notre rendez-vous en présence des objets, des livres d’art et des pièces décoratives « ethniques » – surtout africaines – qui décoraient le salon : l’interviewée avait déjà très probablement construit un « discours » autour de l’Autre. Cela s’est traduit par le fait que le thème de son rapport à des manifestations artistiques ou culturelles « autres » – d’ailleurs, non seulement extra-européennes – est ressorti de manière particulièrement spontanée et directe, ce qui sans aucun doute, a facilité notre analyse ultérieure.
Séquences du récit de Mme Maisonneuve : présentation
L’un des aspects de l’analyse développé par D. Demazière et C. Dubar qui nous a particulièrement intéressé est la possibilité de regrouper les séquences (S) 1 sous un critère chronologique, c’est-à-dire depuis l’événement le plus ancien repéré dans le discours de l’interviewé jusqu’à l’évocation de faits contemporains à la situation d’entretien, y compris les éventuels projections vers l’avenir. Nous avons rapidement compris que l’un des principaux avantages d’une telle réorganisation était de mettre en avant des événements de la vie des interviewés qui risquaient de passer autrement inaperçus à l’œil du chercheur, ou plutôt qui étaient susceptibles de perdre de leur valeur en tant qu’indices d’éventuels points d’inflexion marquant le parcours de vie des interviewés. Cette sorte de brossage du récit dans le sens chronologique des faits racontés nous a permis de regrouper plus aisément, autour de « périodes » de vie, des éléments du système de signification des interviewés formulés de manière éparse dans l’entretien. C’est ainsi que nous pouvons entrevoir, dans la plupart des cas, non seulement la manière dont les interviewés « reconstruisaient» leur parcours en associant différents éléments (objets, faits, actions, etc.) à des différentes périodes de leur vie (enfance, adolescence, etc.), mais également les critères mêmes qui les ont amenés à faire la différence, par exemple, entre ce qu’ils considéraient appartenir au domaine de leur « jeunesse » et ce qu’ils associaient à leur vie « adulte ». Nous avons donc regroupé les séquences du récit de Mme Maisonneuve en neuf « épisodes », classés chronologiquement du S-I au S-IX2. Ces séquences commencent avec l’évocation à son enfance – surtout à ses origines bretonnes – et s’achèvent avec des commentaires qui font allusion aux musiques avec lesquelles l’interviewée commençait à se familiariser au moment de l’entretien. Il faut préciser tout de même que, d’une manière générale, la tendance du discours de toutes les personnes interviewées a été de privilégier des événements ou des situations passées, au détriment des allusions à leur situation au moment de l’entretien ou aux projections vers l’avenir. Ceci s’explique sûrement par la nature même de notre objet, ancré dans un vécu plutôt lointain, ce qui a souvent déterminé la formulation « au passé » de nos questions et relances lors des phases guidées de l‘entretien. Dans tous les cas, le principal objectif de notre enquête par entretiens était toujours d’expliquer et de comprendre l’attirance que ces personnes ont pu ressentir, par le passé, pour les MIA, et non le sentiment qu’elles pouvaient éprouver de nos jours à leur égard. Cela diffère, par exemple, de l’objectif fixé dans des enquêtes vouées à comprendre, à travers les récits de vie des interviewés, une situation sociale toujours ancrée dans le présent de ces derniers.