Présentation des méthodes actuelles de valorisation d’options réelles
Les modèles en temps continu
Le modèle d’option sans doute le plus connu et le plus utilisé, celui de Black et Scholes (1973), est un modèle en temps continu. Les modèles en temps continu procèdent en deux grandes étapes. Etape 1 : Formalisation d’une équation aux dérivées partielles (edp) Tout d’abord, il s’agit de modéliser le processus suivi par le sous-jacent, et le cas échéant par le prix d’exercice. Le plus souvent, les modèles font l’hypothèse que le sous-jacent suit un Mouvement Brownien Géométrique (MBG). Mais il est également possible de choisir d’autres processus pour le sous-jacent, comme par exemple le processus de retour à la moyenne ou encore une combinaison du MBG et de sauts (exemple: McDonald & Siegel, 1986, extension du modèle de base). En constituant un portefeuille sans risque composé d’une part de l’actif sous-jacent, et d’autre part de l’option, on obtient une équation aux dérivées partielles. Etape 2 : Résolution de l’équation aux dérivées partielles Dans certains cas, il est possible de trouver une solution analytique à l’équation aux dérivées partielles, grâce à l’établissement de conditions aux bornes. Dans la Figure 3.1, ceci concerne tous les modèles présentés sous l’en-tête « solution analytique ». Les principaux modèles en temps continu présentant une solution analytique sont listés dans le Tableau 3.1. Chacun d’eux a été développé pour valoriser une option avec des caractéristiques bien précises.
Les modèles en temps discret
En 1979, Cox, Ross et Rubinstein ont mis au point le modèle de valorisation d’option par les arbres binomiaux. Cette méthode consiste à modéliser de façon discrète l’évolution du cours de l’actif sousjacent en reprenant de façon simplifiée les hypothèses du mouvement brownien géométrique (MBG). En conséquence, si l’on réduit le pas de temps utilisé pour la construction de l’arbre binomial, alors la valeur calculée avec le modèle binomial converge vers la formule de Black et Scholes. Le modèle binomial constitue donc une approximation en temps discret du modèle de Black et Scholes qui, lui, raisonne en temps continu. Il est possible de modifier le modèle binomial de base, en supposant que les mouvements à la hausse et à la baisse entre deux nœuds ne suivent pas un processus multiplicatif (comme dans le cas de MBG), mais un processus additif (Copeland & Antikarov, 2001 : 123-124). Dans ce cas, les mouvements de hausse et de baisse sont plus lents, et, à la limite, la distribution du sous-jacent approche la loi normale (alors que c’est la loi log-normale dans le cas d’un processus géométrique). Le processus additif présente notamment l’avantage d’avoir un sous-jacent pouvant prendre des valeurs négatives. Nous verrons plus loin dans ce chapitre que cela peut constituer une hypothèse particulièrement appropriée dans le cas des options réelles. Il s’agit néanmoins d’une approche rarement utilisée dans la littérature. D’autres modèles de valorisation en temps discret plus élaborés que le modèle binomial ont été développés par la suite. Il s’agit du modèle trinomial, et de sa généralisation, le modèle « multinomial ». Le modèle binomial, et tous les modèles dérivés, utilisent le principe de la programmation dynamique. Celle-ci est réalisée en deux grandes étapes. La première consiste à construire un arbre, sur lequel figurent toutes les évolutions possibles de la valeur de l’actif sous-jacent, entre t0 et l’échéance de l’option. Dans la deuxième étape, la valeur de l’option est déterminée de façon récursive. On se place tout d’abord à l’échéance de l’option pour calculer le pay-off en fonction des différentes valeurs possibles du sous-jacent. Puis on remonte dans le temps, en calculant pour chaque nœud la valeur de la stratégie optimale. On obtient ainsi la valeur de l’option en t0. Le modèle binomial et les modèles dérivés présentent l’avantage d’être plus transparents que les modèles en temps continu : on voit clairement les évolutions possibles du sous-jacent, et les décisions correspondantes.
Modèles les plus utilisés pour la valorisation des options réelles
Nous ne disposons que de données très limitées indiquant quels sont les modèles les plus utilisés par les entreprises pour valoriser les options réelles. Il s’agit de l’étude de Hartmann et Hassan (2006) dans le secteur de la pharmacie, à laquelle ont répondu 28 grands groupes pharmaceutiques basés dans les trois plus grands marchés mondiaux (Europe, USA et Japon) (Figure 3.2). Figure 3.2 : Modèles de valorisation d’options réelles utilisés par les grands groupes pharmaceutiques 11% 4% 7% 11% 0% 2% 4% 6% 8% 10% 12% Black & Scholes Geske Arbres binomiaux Autres Fréquence d’utilisation (% des entreprises interrogées) Source : Hartmann et Hassan, 2006, p. 351 Les résultats montrent que le modèle le plus utilisé est celui de Black et Scholes (10,7% des répondants). Viennent ensuite les arbres binomiaux (7%), et enfin le modèle de Geske (4%). Dans la catégorie « Autres », ce sont surtout les arbres de décision qui ont été cités. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une méthode de valorisation d’option ; néanmoins, cette méthode est citée, car elle utilise le raisonnement optionnel. Il est difficile de tirer une règle générale d’un échantillon aussi restreint. Néanmoins, l’étude de Hartmann et Hassan suggère trois tendances : Chapitre 3 121 • Les entreprises interrogées utilisent des modèles permettant de valoriser des options « standard ». En effet, nous ne voyons pas apparaître de modèles permettant de prendre en compte des caractéristiques plus « exotiques », comme par exemple les modèles en temps continu résolus de façon numérique, ou des modèles d’arbre plus sophistiqués que les arbres binomiaux, admettant plusieurs sources d’incertitude. • Les entreprises interrogées ont recours à des modèles utilisés par les marchés financiers. Les modèles de Black et Scholes, de Geske ou des arbres binomiaux ont été élaborés pour valoriser des options financières. Les entreprises n’ont pas cité de modèle spécifiquement développés pour valoriser les options réelles (comme par exemple le modèle de McDonald et Siegel ou de Dixit et Pindyck). • Les entreprises semblent avoir une préférence pour les modèles simples. L’étude de Hartmann et Hassan a été réalisée dans le secteur de la pharmacie, où la grande majorité des options réelles observées sont des options composées (cf. Chapitre 2). On aurait donc pu s’attendre à un taux d’utilisation élevé du modèle de Geske, qui permet spécifiquement de valoriser les options composées. Pourtant, l’étude montre que ce modèle est beaucoup moins utilisé que celui de Black et Scholes, qui permet seulement de valoriser une option européenne simple, mais est mieux connu, et est plus simple d’utilisation (cf. ci-après).