Génération d’impulsions femtosecondes de puissance
La famille des fluorures
Le fluorure de calcium8 (Figure 1.10) ou CaF2 est un minéral connu depuis l’antiquité pour sa diversité de couleurs grâce aux dopages en ions yttrium, ytterbium, europium… Mais c’est au début du XXème siècle que W. J. Humphreys [Humphreys 1904] remarque la présence naturelle de l’yttrium (Y) et de l’ytterbium (Yb) dans les cristaux de fluorures de calcium, et plus particulièrement dans les cristaux en provenance du Texas, de Bolivie et de Virginie. En 1909, G. Urbain [Urbain 1909] met en évidence une quantité importante de terres rares comme l’ytterbium dans les fluorines naturelles. Au début du XXème siècle, les rares travaux effectués sur les fluorines se focalisaient exclusivement sur la fluorine naturelle. Mais en 1949, D. C. Stockbarger [Stockbarger 49] découvre un procédé de synthèse de ces cristaux. Grâce à cette découverte, la technique de croissance des fluorures, à l’heure actuelle est parfaitement maîtrisée. Ces cristaux sont très connus pour leur excellente transmission sur une très large bande spectrale allant de l’UV jusqu’au proche IR. Grâce à sa bande de transmission et sa faible dispersion, la fluorine est utilisée sous forme de lentilles pour les caméras et les télescopes. Ces cristaux sont également très utilisés en lithographie UV. Figure 1.10: boule de fluorine dopée ytterbium obtenue par la méthode de croissance de BridgmanStockbarger par le CIMAP Par contre, le fluorure de strontium9 ou SrF2 n’existe pas dans la nature contrairement à son collègue le fluorure de calcium. Grâce à sa large bande de transparence (150 nm jusqu’à 11 µm), tout comme la fluorine, le cristal SrF2 est utilisé sous forme de lentilles mais également en couches minces comme traitement pour les optiques. De plus, le cristal SrF2 peut être aussi utilisé pour les dosimètres thermoluminescents. Il permet la mesure la dose radioactive reçue par une personne exposée à un rayonnement ionisant.
Technique de croissance et données cristallographiques
Nos travaux sur les cristaux de fluorure dopés ytterbium ont été réalisés grâce à une collaboration avec le Centre de recherche sur les Ions, les Matériaux et la Photonique (CIMAP)10 de Caen (Figure 1.10). Les cristaux de fluorure étudiés dans le cadre de ma thèse ont été obtenus par la méthode de croissance dite classique de Bridgman-Stockbarger avec une production de chaleur par radiofréquences. Encadré 1.1 : la méthode de croissance de Bridgman-Stockbarger (Figure 1.11) Cette technique consiste à introduire des poudres de fluorures alcalino-terreux (MeF2 où Me = Ca, Ba ou Sr) et du fluorure de terre rare (YbF3) dans un creuset placé dans la zone hautes températures du four. Les températures de ce four sont choisies pour être supérieures aux températures de fusion des fluorures de calcium ou de strontium pour transformer les poudres en état liquide. Un vide est créé dans la chambre de croissance par l’introduction de gaz Argon et CF4 pour réduire l’oxygène. Ce bain fondu est alors déplacé dans un gradient de température pour le faire passer lentement de l’état liquide à l’état solide. Le système de tirage est constitué d’une translation et d’une rotation [Petit 06].Les fluorures de calcium et de strontium ont une structure cristalline cubique (Figure 1.12). On peut assimiler la maille cristalline en deux sous-réseaux. Les cations, les ions calcium Ca2+ ou les ions strontium Sr2+, forment un réseau cristallin cubique faces centrées et les anions, les ions fluor F- , un réseau cubique simple. Les coordinences11 sont de 8 pour les ions Ca2+ et Sr2+ et est de 4 pour F- . L’ion ytterbium substituera les ions Ca2+ ou Sr2+ car tous partagent le même site cristallographique de symétrie C4v. Par contre, il existe une différence de charge entre les ions calcium/strontium et ytterbium. En effet les ions ytterbium ont une charge 3+ alors que les ions calcium/strontium ont une charge de 2+. C’est la raison pour laquelle des ions fluor sont introduits lors du dopage en ions ytterbium pour compenser cette différence de charge. A de forts taux de dopage, des agrégats (ou clusters) apparaissent au sein de la matrice cristalline. Différents types d’agrégats ont été observés par décalage de raies d’émission [Leniec 05] [Ito 04]. Ces clusters participent à l’élargissement spectral grâce à l’apparition de ces nouvelles raies d’émission. Ce phénomène peu étudié auparavant est au centre des recherches à l’heure actuelle.
Spectroscopie des fluorures
Les fluorures sont des cristaux isotropes. Les cristaux étudiés dans le cadre de ma thèse ont des dopages typiques en ions ytterbium de 2 à 3-at %12 pour les cristaux de CaF2 et SrF2 respectivement. Les spectres d’absorption et d’émission de ces cristaux en fonction de la longueur d’onde sont représentés sur la Figure 1.13. Les pics d’absorption sont centrés à 979,8 nm pour le cristal de Yb:CaF2 et à 975,6 nm pour le cristal de Yb:SrF2. Les bandes d’émission laser s’étalent entre 1000 nm et 1070 nm environ pour les deux fluorures dopés à l’ytterbium [Camy 07]. Les indices de réfraction n sont égaux à 1,43 et à 1,44 pour les cristaux isotropes de CaF2 et SrF2 respectivement alors que les temps de vie de l’état excité τ sont de l’ordre de 2400 et 2900 µs. Ces valeurs de τ sont très élevées et le risque de régime « Q-Switch » est non négligeable.
Conductivité thermique et dilatation thermique
Les valeurs de conductivité thermique pour des cristaux non dopés de CaF2 et de SrF2 sont égales à 9,7 et 8,3 W.m-1.K-1 respectivement. Ces conductivités thermiques sont très intéressantes comparées au 10,7 W.m-1.K-1 pour le YAG [Weber 03]. Malheureusement, la différence de masse entre les ions substitués et substituant est non négligeable et une forte chute de la conductivité thermique est attendue. Grâce aux valeurs de la conductivité thermique des fluorures non dopés et au modèle théorique de la conductivité thermique défini équation (1.2), il est possible de déduire les valeurs de la conductivité thermique en fonction du taux de dopage. Ainsi, pour les cristaux étudiés de Yb(2,6%):CaF2 et Yb(2,9%):SrF2, les conductivités thermiques déduites de ce modèle sont égales à 6 et 3,3 W.m-1.K-1 respectivement (Figure 1.14). Lors de l’étude thermique, nous présenterons les premières mesures expérimentales de la conductivité thermique, jamais réalisées auparavant, pour ces deux fluorures qui corroborent ces déductions du modèle de R. Gaumé.