Patrimonialisation et tourisme : des 4 « S » aux 4 « E »
Depuis plusieurs années, une transformation s’est opérée dans la structure de la demande touristique. Les attentes des touristes sont passées des quatre « S » bien connus, Sea-Sand-Sun-Sex vers les quatre « E », Equipement-Encadrement-EvénementEnvironnement1 . Cette évolution de la demande a obligé les opérateurs touristiques et toute la filière du tourisme à s’adapter et à proposer de plus en plus de destinations et de produits répondant à cette attente. Dans le cas qui nous intéresse, l’Espagne est souvent citée comme le pays illustrant le « boom » touristique des années soixante soixante-dix, surtout lorsqu’il s’agit du tourisme balnéaire de masse. Mais lorsqu’on aborde le tourisme « d’intérieur », axé sur la culture et le patrimoine, elle n’est pas en reste, puisque que celui- ci n’a cessé de se développer. D’un point de vue général, le voyage culturel est une tradition de longue date. Les premiers « guides de voyage » datent de l’Antiquité, en Grèce particulièrement, avec la Périégèse, le célèbre circuit détaillé de Pausanias2 . Au Moyen-âge, le voyage est d’abord religieux. Les pèlerins vont à la recherche des lieux saints et mythiques, ce qui génère également une activité liée à la « consommation » de cette clientèle parfois instrumentalisée. C’est surtout le XVIIIème siècle qui redécouvre le voyage lié au patrimoine culturel. C’est le siècle du Grand Tour3 , qui préfigure le tourisme culturel de circuit, mais aussi celui des premiers musées ouverts au public. La relation entre le voyage et le patrimoine s’est enrichie durant le XIXème siècle. On restaure et on ouvre de nouveaux lieux au public et Thomas Cook inaugure les premiers voyages organisés à forfait. C’est la période qui a vu l’organisation de ce qu’on pourrait appeler « la prise de conscience » d’un intérêt conjoint entre patrimoine et tourisme. De nouvelles procédures sont mises en place pour protéger, gérer et développer le patrimoine et le tourisme. Les voyages culturels sont alors réservés à l’élite noble ou bourgeoise, détentrice de la culture et du savoir. Ils ne se multiplieront et ne toucheront les milieux plus modestes que peu à peu. Aujourd’hui, la définition du tourisme culturel n’est pas simple. De nombreuses définitions ont été avancées, présentant des amplitudes variées. Toutefois, ces définitions coïncident pour présenter le tourisme culturel comme un procédé centré sur la découverte d’une culture distincte de la culture habituelle du visiteur.
La conservation des centres historiques
A partir de l’émergence du concept de centre historique, la nécessité de maîtriser la conservation de ces espaces s’est révélée grandissante. En raison de l’évolution de la société, du contexte politique ou économique, les centres anciens de villes sont parvenus au XIXème siècle avec de nombreuses problématiques d’insalubrité, de manque l’accessibilité,… La réflexion sur les aspects à traiter ou améliorer, les actions à mener et les méthodes d’action dans le cas particuliers des ensembles historiques a donc été un point essentiel dans la reconquête de ces espaces. En 1976, la déclaration de Nairobi expose pour la première fois au rang international les problématiques spécifiques liées aux centres historiques et propose des lignes directrices d’actions pour favoriser leur conservation et leur mise en valeur. Notamment, elle préconise la réalisation d’inventaires et de documents analytiques transversaux et interdisciplinaires pour mieux connaître le patrimoine à protéger et des plans de sauvegarde appuyés sur des données urbanistiques, architecturales, économiques et sociales, pour intégrer la conservation dans la vie collective. Si la combinaison patrimoine/fonction est aujourd’hui reconnue et acceptée comme une bonne façon de conserver le patrimoine, les espagnols ont longtemps suivi la ligne directrice proposée par l’école française de Viollet-le-Duc, au XIXème siècle jusqu’à bien plus tard. Toutefois, les réflexions et les théories développées autour des centres historiques italiens ont aussi contribué à établir une référence dans les propositions espagnoles de ces trente dernières années. Tout d’abord, entre 1960 et 1970, une forte période d’expansion urbaine se caractérise par la spéculation et de lourdes pertes architecturales et structurelles dans les tissus urbains historiques de la plupart des villes. Entre 1980 et 1990, l’assimilation des politiques européennes de récupération a provoqué un renouveau assez important dans la planification de la réhabilitation des centres historiques. Dès lors, la politique de récupération du centre historique devient partie intégrante de la problématique globale de récupération et de réappropriation de la ville consolidée. Ce revirement théorique se traduit par exemple dans les conclusions du XIème Congrès National de l’Association à Bérgamo en mai 1971. Celui-ci expose une nouvelle façon d’aborder le centre historique qui met en avant les facteurs fonctionnels par rapport aux autres facteurs purement physiques ou esthétiques7 . Ce recentrage rend la vision du centre historique plus opérationnelle et réaliste. Le maintien de la structure sociale et des activités économiques développées sont au cœur de la conservation, tout comme la protection et la préservation des valeurs culturelles du centre. « Il est illusoire de considérer une « congélation » de toute une zone centrale de la ville ou d’un ensemble urbain ou territorial et en marge des événements sociaux et économiques, qui dans ce cas, centre historique inclus, se désengagent. Ce serait une planification factice et inopérante. »** – Ignacio GONZALEZ-VARAS, Conservación de bienes culturales, Teoría, historia, principios y normas, 1999 – Mais les centres historiques sont des machines complexes. En plus des problématiques classiques associées aux quartiers qui ne sont plus adaptés au monde moderne, ils combinent les enjeux liés à la conservation de leur valeur patrimoniale. C’est pourquoi il est doublement difficile de maintenir des fonctions traditionnelles et variées dans ces centres. Leur morphologie n’est souvent pas adaptée au passage de transports lourds, ce qui les rend peu accessibles par les transports en communs ou même parfois en voiture, et empêche l’installation des commerces qui nécessitent des livraisons ou un approvisionnement réguliers8 . D’autre part, les fonctions qui peuvent entraîner un danger pour la cohérence paysagère ou pour la conservation de l’intégrité des édifices constituants le centre historique sont souvent à exclure. L’équilibre semble donc difficile à trouver. Un centre historique parfaitement conservé ne sera pas adapté aux nouveaux modes de vie, au confort et aux attentes de notre époque, ce qui pourra entraîner une paupérisation des fonctions, voire une désertion de l’espace par les habitants qui partiront chercher un endroit pour vivre mieux. D’un autre côté, si les transformations et les adaptations sont trop importantes, le centre historique peut perdre sa valeur patrimoniale. L’intérêt (touristique particulièrement) qui est alors porté au centre historique peut diminuer. Une bonne gestion d’un centre historique paraît donc se situer dans le compromis entre conservation et adaptation morphologiques, physiques et fonctionnelles. Enfin, en dehors des mécanismes propres aux centres historiques, les dynamiques des villes changent. Les périphéries sont devenues de nouvelles centralités, regroupant les fonctions initialement rencontrées dans les centres-villes, mais dotés d’une plus grande accessibilité, ce qui incite les habitants à choisir de fréquenter ces nouveaux espaces, plus adaptés à leur mode de vie.