Mise en place d’une démarche méthodologique
Protocole d’enquête et outils de recueil de l’information
Afin de réponde à nos hypothèses nous avons décidé de mettre en place un protocole d’enquête, avec différentes phases et sous la forme de plusieurs méthodes : des entretiens avec des professionnels du handicap mais aussi avec des personnes en situation de handicap moteur afin de cerner la manière dont ils se représentent la ville, des parcours commentés pour mettre en avant les difficultés qui peuvent être liées au fauteuil et enfin des cartes mentales, car selon Lévy et Lussault, elles permettent l’étude des représentations mentales de l’espace.
Les entretiens : des réflexions spontanées
Dans notre étude, nous utilisons les entretiens comme instrument principal de recherche. Selon Kaufmann36, dans ce cas, l’entretien peut alors être un « support d’exploration », c’est-à-dire une méthode de compréhension d’un phénomène, ou une « technique de recueil d’information ». Dans les deux cas ce qui est reproché aux entretiens est qu’ils sont souvent impersonnels et donc impliquent des réponses impersonnelles. L’analyse ne peut se faire alors qu’en surface. Au contraire, l’auteur explique qu’il existe un autre moyen d’enquêter, il parle alors d’ « entretiens compréhensifs ».
Dans ce cas, l’enquêteur s’engage dans la conversation, afin d’obtenir des réponses plus personnelles, et peut également les interpréter. Il ne s’agit donc pas de chercher une réalité universelle mais plutôt ce que pense chaque personne. Nous souhaitons nous même obtenir ce discours qui implique plus l’enquêté. Il est appelé « discours d’existence » par Chalas et il s’agit plus précisément d’un propos émaillé « d’exemples tirés de leur propre itinéraire existentiel, de clins d’œil ayant trait à leur vision du monde personnelle, à leur conception à elle de la vie et des rapports humains » 37. Ainsi l’entretien permettrait de faire ressortir la manière dont les personnes pensent leur espace. De plus selon Phelep, « l’entretien révèle l’existence de représentations profondément inscrites dans l’esprit des personnes interrogées » 38 . Il s’agit d’un autre point de vue de ce que peut apporter l’entretien, mais dans tous les cas il semble que cette méthode pourrait nous indiquer la façon dont les personnes handicapées perçoivent et se représentent l’espace. Nous avons vu qu’il existait des entretiens « compréhensifs » en opposition aux entretiens impersonnels.
De plus, on distingue trois façons de mener un entretien : L’entretien directif ou fermé est un entretien très structuré qui amène à des réponses courtes et fermées, se rapprochant de la méthode du questionnaire. Cela permet de recueillir des données précises, mais empêche l’interviewé de s’exprimer et d’apporter des éléments. L’entretien non-directif ou ouvert s’articule autour d’un thème général ou d’une question ouverte posée par l’enquêteur. Dans ce cas l’enquêté parle librement et l’enquêteur peut relancer la personne afin d’éviter les silences ou l’aider à développer son propos. L’entretien semi-directif est un compromis entre les deux types précédents. L’enquêteur sait les informations dont il a besoin sans forcément connaitre les réponses, et laisse la liberté à la personne interviewée d’approfondir certains points ou de donner d’autres pistes de réponse. Le matériau obtenu est alors détaillé et argumenté. Selon Lévy et Lussault, « La pratique de l’entretien non-directif est indissociable du champ d’études des représentations », c’est pourquoi nous avons ainsi choisi de réaliser ce type d’entretien. Nous avons défini dans nos enquêtes plusieurs thèmes, plusieurs questions ouvertes à poser dans le but d’essayer de répondre aux hypothèses. Les entretiens se déroulent sous forme de discussion, permettant de ne pas influencer la personne dans ses réponses, tout en proposant tout de même plusieurs thématiques à aborder.
De plus, cela donne à la fois une grande liberté de parole à la personne interrogée mais aussi la possibilité de comparaison des résultats des différentes discussions par l’enquêteur. Ces entretiens aident à valider ou invalider les hypothèses en apportant des éléments de preuves et permettent parfois de faire évoluer la problématique. Ainsi, l’entretien est un élément de contrôle, vérification et d’approfondissement des idées. Cet outil requiert une préparation en amont, soit la rédaction d’un guide d’entretien (Cf. Annexe 2). Ce guide est composé de l’ensemble des thèmes que l’on souhaite aborder lors de l’entrevue. Ces différents thèmes sont des éléments qui nous ont paru importants dans une ville : les transports, très touchés par la notion d’accessibilité ; les déplacements, qui sont différents lorsque l’on est en fauteuil ; la ville en elle même et ses autres utilisateurs ; et enfin le fauteuil roulant.
Notre guide d’entretien a évolué avec le temps, en fonction de l’évolution de nos hypothèses ou des précédents entretiens. Sur nos quinze entretiens, onze ont été enregistrés puis retranscris in extenso pour permettre une meilleure analyse. Six des personnes rencontrées n’ont pas été enregistrées, pour des raisons personnelles aux enquêtés, cependant nous avons effectué une prise de note détaillée lors de ces rendezvous. Toutes les rencontres ont donné lieu à des entretiens qui ont été complétés soit par un parcours commenté soit par une carte mentale. Le choix de réaliser des cartes mentales a été fait après que nous ayons réalisé plusieurs parcours commentés. En effet, nous nous sommes rendu compte que les parcours commentés permettaient de donner la perception que les personnes se faisaient de l’espace. Nous avons ensuite voulu pousser la réflexion grâce à des cartes mentales, qui donnent les représentations spatiales que se font les personnes d’un lieu.
Les parcours commentés : recueil de perceptions
La méthode du parcours commenté selon Moser et Weiss a pour objectif principal d’ « accéder à l’expérience sensible du passant », il s’agit d’obtenir dans ce cadre des « comptes rendus de perceptions en mouvement ». Trois activités sont ainsi stimulées simultanément : la marche, la perception et la description. Le parcours agit comme un révélateur, les objets rencontrés durant la marche deviennent soit des obstacles soit des ressources (si ce sont des aides). Lors du parcours, l’enquêteur suit le passant en l’écoutant verbaliser ses faits, gestes et sensations. Il peut également le voir en interactions avec les autres acteurs (autres passants, commerçants…) et objets de la ville (transport, mobilier urbain…).
Le protocole d’enquête repose sur trois types de consignes : des consignes relatives à la description (ambiance du lieu et repères spatiaux), des consignes relatives au cheminement (parcours libre dans un terrain déterminé, allure libre) et des consignes relatives aux conditions de l’expérience (temps fixé, enregistrement, enquêteur intervenant le moins possible). Cette méthode est également appelée « méthode des itinéraires » par Petit eau. Selon lui, « Lors de la journée de l’itinéraire l’autre devient guide. Il institue un parcours sur un territoire et l’énonce en le parcourant. *…+ Le parcours n’est pas seulement le déplacement sur le territoire de l’autre, c’est en même temps un déplacement sur son univers de référence ».
Dans le cadre de notre mémoire, nous avons utilisé cette méthode afin de comprendre la perception des personnes handicapées dans la ville. Après un pré-entretien qui consiste à recenser les principaux facteurs identitaires de la personne (âge, type de handicap, etc.), nous avons laissé les personnes choisir leur itinéraire en leur donnant la consigne de décrire les lieux dans lesquels elles se trouvaient, de nous dire ce qu’elles y ressentaient. Les parcours nous ont ainsi permis de suivre les personnes en fauteuil dans leur quartier afin d’ « analyser l’acte de traverser l’espace urbain »43 . Cela permettait également que les personnes nous fassent découvrir des lieux qu’elles connaissaient et qu’elles avaient déjà pratiqués. Le fauteuil roulant a souvent fait apparaitre des obstacles, comme la hauteur de trottoir ou le revêtement du sol, obstacles physiques très présents dans le discours des personnes.
De plus, les parcours commentés ont été filmés pour pouvoir les retranscrire et conserver les images des lieux commentés, de ses aménagements et particularités. Dans les vidéos, ce ne sont pas les personnes qui sont au premier plan mais le « paysage ». Cela nous permet de voir ce qu’elles voient elles-mêmes à hauteur de fauteuil et de mieux comprendre à quoi leurs commentaires font référence. Ainsi nous ne pensons pas qu’un biais ait pu être introduit à cause de l’action de filmer, car le matériel (téléphone portable) était discret et peu visible. Le regard des personnes extérieures à l’enquête n’a donc pas été attiré par l’objectif, et est en théorie resté naturel.