Mise en œuvre du projet OGA
Le projet Gcin’Amanzi, plus grand projet de rénovation des réseaux à l’échelle de la municipalité de Johannesburg, correspondait à un essai de conciliation des trois « durabilités » environnementale, financière et sociale dans des quartiers urbains victimes des méfaits de la ségrégation socio-économique, spatiale et politique. Si les arguments techniques et financiers avancés par l’opérateur et la municipalité pour justifier le projet peuvent apparaître légitimes, Soweto affichant un taux de perte en eau important au regard du taux affiché pour l’ensemble de la municipalité et étant responsable de pertes financières considérables pour la compagnie d’eau, il apparaît néanmoins que les aspects sociaux ont été largement oubliés dans la conception du projet. Dans ce cadre, les compteurs à prépaiement utilisés pour assurer le recouvrement, exacerbent un certain nombre de tensions sociales préexistantes. En effet, alors que la différenciation du service adoptée par la municipalité constitue une avancée dans la mesure où elle témoigne de la reconnaissance des difficultés à développer un service unique pour tous les citoyens dans un contexte de fortes inégalités, elle est pourtant remise en cause par une partie des usagers et de la communauté scientifique : la différenciation n’étant pas perçue comme une manière de développer les services mais de perpétrer des inégalités. Après avoir présenté les considérations environnementales et financières ayant amené au ciblage de Soweto pour la mise en œuvre du projet, nous en ferons une brève description technique et terminerons par un bilan technique, financier et social de l’opération Gcin’Amanzi.
Soweto, un choix stratégique?
En septembre 2003, le maire de la ville, Amos Masondo, annonça le lancement d’une vaste opération de rénovation des réseaux visant à homogénéiser les services d’eau à l’échelle de la municipalité : l’Operation Gcin’Amanzi’ (OGA) (« économiser l’eau » en zoulou). Ce projet d’envergure comprenait l’installation de 170 000 compteurs à prépaiement permettant de facturer les volumes consommés et non les volumes estimés, à Soweto, soit environ 32% des connexions de la ville et 67,5% des connexions dénombrées dans les townships. On estime en effet qu’à l’époque du lancement du projet, il existait 280 000 connexions dans les zones pourvues de compteurs classiques (classes moyennes et aisées) et 240 000 connexions dans les townships (Soweto, Orange Farm, Alexandra), soit un total de 520 000 connexions privées (Marin, Mas, Palmer 2009). Le projet Gcin Amanzi est le plus grand projet de rénovation des réseaux et de gestion de la demande lancé à l’échelle de la municipalité, avec un coût initial estimé à 700 millions de Rands. Il est également le plus important projet d’utilisation massive de compteurs à prépaiement dans le monde, Johannesburg servant de « laboratoire » d’expérimentation à grande échelle d’un outil sociotechnique innovant. L’enjeu pour la municipalité était donc de faire figure d’exemple à l’échelle internationale si celui-ci permettait d’atteindre les objectifs fixés. Dans le contexte sud-africain, la maîtrise des consommations et l’amélioration du recouvrement par l’installation de compteurs à prépaiement concentre l’attention de nombreuses municipalités, notamment les grandes métropoles, également confrontées au faible taux de paiement, même si d’autres solutions techniques sont testées par d’autres villes (Durban, Cape Town). Au-delà, le projet devait répondre à une préoccupation environnementale forte. En effet, selon JW, en 2014, la demande pourrait dépasser l’offre en eau disponible pour alimenter la région du Gauteng, poumon économique du pays. Dans ce cadre, il est impératif pour la puissance publique d’économiser la ressource et de promouvoir une gestion raisonnée de l’eau. La municipalité et l’opérateur mettent en avant qu’il est nécessaire de réduire au maximum les consommations afin de retarder la construction d’un nouveau barrage qui ferait augmenter les factures d’eau de l’ensemble des usagers. Ce faisant, l’initiative devait permettre d’atteindre deux objectifs: réduire les pertes physiques en améliorant les infrastructures, et réduire les pertes commerciales en installant des compteurs à prépaiement. Soweto cumulait en effet deux problèmes d’ampleur: $ des fuites considérables dans les réseaux. Selon JW, 90% des pertes physiques dans les zones non pourvues de compteurs étaient concentrées à Soweto qui consommait 30% de l’eau achetée par JW à Rand Water (soit environ 132 millions de m3 pour un coût de 350 millions de rands) (Marin, Mas, Palmer, 2009). $ un taux de recouvrement des factures très faible (estimé à 10%) et une dette importante des ménages (estimé à 8 milliards de rands selon JW). Dans ces conditions, Soweto s’est rapidement imposé comme la zone d’intervention prioritaire pour la municipalité et l’opérateur. Si les arguments environnementaux, techniques et financiers permettent de comprendre le choix du ciblage de Soweto par la municipalité, il convient de s’interroger sur les caractéristiques socio-économiques de cette zone et sur l’adéquation potentielle du projet avec les réalités sociales locales. L’éclairage apporté par les éléments ci-dessous (voir encadré 6) amène en effet à penser que, bien plus qu’un défi technique ou financier, ce projet constituait un défi socio-économique et politique sans doute mal apprécié initialement par l’opérateur et la municipalité.
Descriptif technique du projet
Un premier projet pilote fut mis en œuvre à Orange Farm, dans le quartier prénommé « Stretford, Extension 4 » entre janvier 2002 et janvier 2003. En juin 2004, un rapport estime que 1389 ménages ont été équipés de compteurs à prépaiement pour un montant de R 5 millions (APF, OFCC, CAWP, 2004). L’entreprise revendique des résultats satisfaisants comme en témoigne l’extrait suivant: « A freepaid metering programme has already been installed in Stretford Extension 4, Orange Farm and based on these results it is predicted that such a system will also have successful results in Soweto41 ». Pourtant, sans que l’entreprise s’en explique, le projet a rapidement été arrêté et délocalisé à Phiri puis à d’autres quartiers de Soweto. Il est difficile d’analyser le retrait de l’opérateur compte tenu du manque d’information disponible et de la réticence de l’opérateur à revenir sur cette période lors de nos enquêtes de terrain. Toutefois, un certain nombre d’études font état d’une mobilisation importante et d’une insatisfaction massive des résidents42 qui a résulté en la création du Orange Farm Water Crisis Committee (OFWCC), un mouvement social affilié à l’Anti Privatisation Forum (APF)43. En l’absence d’informations contradictoires, doit-on assimiler l’arrêt du projet à ces mobilisations sociales ? En 2004, un second projet pilote fut mis en œuvre à Phiri, un des quartiers les plus pauvres de la municipalité44 représentant environ 2000 foyers, et s’est étendu à d’autres quartiers de Soweto jusqu’en juin 2007. Sa mise en œuvre a été divisée en « superblocks » de 10 000 foyers environ (voir carte 2). Après la phase pilote de Phiri, une première phase de 9 zones (99 000 foyers) a été achevée : a) (SB1, SB2 & SB3) Chiawelo, Phiri, Senaone, Mapetla, Moletsane, Tladi, Jabulani ; b) (SB4, SB5 & SB7a) Rockville, Molapo, Moroka North, White City CWJ, White City, Mofolo Central, Foxlake ; c) (SB6, SB8, SB12 & 13a) Protea North, Naledi, Emndeni South.