VERS UNE RECONNAISSANCE DES PATERNITES TRANSSEXUELLES
« J’ai été rejetée par tous les membres de ma famille, de ma génération
Personne n’a cru que je tentais de sauver ma vie. Du moment que mes glandes génitales étaient des testicules qui avaient démontré leur bon fonctionnement, ma tête devait témoigner d’une virilité incontestable. Et il me fallait, bien entendu, être un père. L’erreur est humaine… Mais pour la société, l’erreur est parfois immuable et ne peut, en aucun cas, devenir vérité. D’où les difficultés qu’ont éprouvé mes enfants. Estce pourtant une telle calamité de n’avoir pas de père ? Serait-ce insensé d’avoir deux mères ? Combien de pères pourraient avantageusement être symboliquement remplacés lorsqu’ils ne concrétisent pas le « vrai modèle du genre » ? Je n’en demeurai pas moins désespérée, vis-à-vis de mes enfants, de ne pas avoir été le père qu’ils attendaient. » Dullak, 1983 : 169. Au- delà du seul engagement de la personne transsexuelle, c’est tout son entourage qui est engagé dans son parcours de transition personnel. Il implique en effet aussi bien ses parents que son conjoint et ses enfants. A travers les différentes périodes de sa vie, la personne est constamment incluse dans des relations interpersonnelles. Comment alors interagissent-elles avec le parcours personnel de transsexuation ? La recherche de son soi est-elle plus importante que la tenue de ses relations familiales ? Dans quelles mesures la transition révèle une paternité ? Comment négocier son rôle de père quand l’identité sexuelle et genrée ne correspondent pas aux attentes de la société, à savoir qu’un père est « normalement » un mâle de genre masculin ?
ETRE PERE QUAND LES AUTRES PENSENT QUE L’ON EST UN HOMME
« Le problème, chez nous, c’est qu’on est né pour trouver çà » Maryse. Les liens de parenté imprègnent toute la vie sociale et constituent le fondement même de ce que l’on nomme communément une « famille ». Nous dépendons alors d’une norme en fonction de ce que l’on représente et le sexe mentionnée sur notre acte de naissance trace préalablement ce que l’on doit être selon des catégories bien établies. Un père doit être un mâle et une mère doit être une femelle. Ici, ces « pères » sont donc entraînés dans cette « machine ventriloque » de l’ordre et du désordre qui règne dans une société : « […] du fait que les uns ont un pénis, les autres un vagin, que les uns sécrètent du sperme, les autres du lait, c’est alors que les corps sexués devenus des corps d’un genre particulier, se mettent à fonctionner comme des poupées ventriloques tenant en permanence un discours sur l’ordre qui règne dans leur société. » [Godelier, 2004 : 508]. Or, nous savons qu’il existe différentes possibilités de construction familiales et que les sexes biologiques peuvent être corrigés par la main du chirurgien afin d’être cohérent avec le genre. Malgré une volonté de devenir ce qu’elles sont et d’accéder à la correction corporelle, Maryse, Nadia, Annabelle, Nathalie, Alexandra et Céline se sont convaincues, à moment donné, de correspondre à ce que leur sexe de naissance leur dictait : être un homme. Cet évènement se traduit plus exactement par une rencontre, celle d’une femme. Comment met-on en suspens une volonté d’être soi au profit d’une volonté de conformité ? Conformité toutefois paradoxale au vu des sentiments de maternité et de paternité que nos « pères » éprouvent. La relation établit en effet un engrenage qui suit la logique du tourbillon de la vie humaine : hommes, femmes se réunissent et désirent donner la vie. Les enfants sont ainsi ardemment attendus. La force de vouloir être ce que l’on n’est pas se traduit par des tiraillements quant au sentiment d’être parent.
Sur le modèle de la parenté hétérosexuelle
Chacune de nos informatrices ont eu des vies hétérosexuelles avant leur réassignation. Elles ont fondés une famille malgré leur désir de devenir des femmes. A défaut d’entreprendre leur parcours de transition, elles ont endossé les rôles de « mari » puis de « père ». Voir ce qu’elles ont construit en tant qu’homme est donc l’occasion de rendre compte de la puissance des schémas normés quant à ce qu’est une « famille » et, en définitive, de se conformer au détriment de son « soi profond ». La rencontre s’établit sur le mode archétypal du « coup de foudre » auquel on ne peut échapper tellement sa force de persuasion sur les sensations et émotions est inédite. Elle est en effet une récurrence au niveau de la première entrevue des personnes avec leurs futures compagnes. Toutes les personnes, sans exception, établissent une corrélation entre l’instant fusionnel de la rencontre et, le refoulement de ce qu’elles sont. Au-delà de la recherche de son soi, l’enjeu est ailleurs. L’amour fait croire que l’on peut être vraiment ce que l’on n’a pas réussi à être enfant et adolescent : on pense alors être un homme malgré les ambivalences identitaires de notre parcours. Il s’agit alors soit de mettre entre parenthèses son projet de transition pour poursuivre une vie de famille ; soit de continuer à vivre en pensant que l’on est différent. Nadia, alors qu’elle rencontre sa première épouse n’est pas en mesure de gérer son identité revendiquée et son couple : « J’ai vécu une petite vie, je vivais à cette période là une vie assez masculine parce qu’en fait c’était une période où je me suis dit c’est pas possible parce que, bien entendu, en parallèle de toute cette vie, dés que j’avais un moment, je sautais sur mes fringues de filles qui ne m’avaient jamais quitté et qui sont passés de planquer chez mes parents à planquer à ma vie de famille parce que c’était impossible […] alors avec mon ex-femme, j’ai résolu de ne pas en parler parce que je considérais que c’était quelque chose de honteux » .