LA GESTION DE L’EQUARRISSAGE NATUREL
L’offre du service d’équarrissage naturel dépend des besoins alimentaires des vautours, et donc principalement de leur effectif. Or, la disponibilité des ressources dans le temps et l’espace est un facteur important pour les dynamiques de population (ChamailléJammes et al., 2008) dont celles des oiseaux (Newton, 1998). Nous avons défini la demande pour le service d’équarrissage naturel comme étant les carcasses mises à disposition des vautours. Les répartitions spatiale et temporelle de ces ressources résultent de diverses décisions d’acteurs impliqués dans la gestion de l’équarrissage. On peut donc se demander dans quelles mesures la demande peut affecter l’offre, en conséquence, l’efficacité de l’équarrissage naturel. On peut également s’interroger sur les effets des comportements d’alimentation des vautours sur cette efficacité. Les besoins en termes d’équarrissage dépendent des modes d’élevage. Nous avons pu constater que les périodes de mortalité du bétail diffèrent selon les types de production (cf chapitre III point 1.2). La quantité et la répartition spatiale des ressources pour les vautours dépendent ensuite des pratiques d’équarrissage, du nombre d’éleveurs qui utilisent l’équarrissage naturel et des dispositifs qu’ils utilisent, à savoir la collecte par les gestionnaires ou une placette. Tandis que la collecte est dédiée avant tout à l’alimentation des vautours, l’utilisation des placettes d’alimentation repose aussi sur l’efficacité de ce dispositif d’équarrissage. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que le maintien de populations de vautours par une utilisation pérenne de ce dispositif dépend de son efficacité pour les utilisateurs de placette. Dans ce chapitre, l’efficacité de l’équarrissage naturel est considérée du point de vue des éleveurs. Dans un premier temps, les scénarios testés concernent les pratiques afin d’examiner dans quelle mesure elles affectent la population de vautours et l’efficacité d’équarrissage pour les utilisateurs de placette. Dans un deuxième temps, les scénarios portent sur les comportements d’alimentations des vautours, la prospection et la compétition intra spécifique, afin d’évaluer leurs conséquences sur les mêmes indicateurs.
Pratiques humaines et comportements d’alimentation des rapaces nécrophages
Par ailleurs, les résultats sur l’effectif de la population ont été comparés avec ceux obtenus par un modèle simple, permettant d’estimer la capacité maximale du milieu pour la population de vautours. Il est utilisé actuellement par les gestionnaires des Grands Causses pour évaluer l’effectif de vautours attendu connaissant la disponibilité annuelle des ressources. Il s’agit de l’équation suivante : où Nv est l’effectif de la population de vautours, Nc le nombre annuel de carcasses pondéré par Em la masse consommable par les vautours, et Ms le besoin alimentaire journalier minimum pour maintenir une condition favorable à la survie et la reproduction. Il ne prend pas en compte la distribution saisonnière de mortalité dans les élevages ni les comportements d’alimentation des vautours, et fait l’hypothèse que toutes les carcasses sont consommées par les vautours. Nous l’utiliserons pour estimer une capacité de charge maximale du milieu pour la population de vautours et y ferons référence en le nommant « modèle non mécaniste ». Des pratiques affectant la mise à disposition de carcasses aux vautours ont été identifiées. Nous nous intéresserons d’abord à l’utilisation des dispositifs d’équarrissage qui détermine la quantité de ressources déposée à l’intention des vautours, et les lieux de dépôt, soit la répartition spatiale de ces ressources. Nous verrons ensuite les conséquences des pratiques d’élevage, et de l’organisation de la collecte par les gestionnaires, qui affectent la distribution temporelle des ressources trophiques des vautours.
La sensibilité des indicateurs à la quantité et à la répartition spatiale des ressources.
Les scénarios
Les scénarios sur les pratiques d’équarrissage ont d’abord porté sur le nombre d’éleveurs utilisant l’équarrissage naturel, c’est-à-dire déposant les carcasses sur une placette ou faisant appel aux gestionnaires. Le recours à la collecte des gestionnaires tend vers la concentration des ressources en un point proche des sites de nidification, tandis que dans le cas d’utilisation de placettes, les ressources sont disséminées dans l’espace. Etant donné que la répartition spatiale des ressources dépend des dispositifs d’équarrissage, la seconde variable testée est la proportion d’éleveurs utilisant la placette parmi l’ensemble des éleveurs utilisant l’équarrissage naturel. Ainsi, pour chaque scénario, le nombre d’éleveurs et cette proportion ont été définis respectivement entre 250 et 1000 et entre 0 et 1. D’autre part, les carcasses restent disponibles plusieurs jours. L’effet du temps de disponibilité des carcasses sur l’effectif de la population a été testé. Rappelons que les valeurs des paramètres concernant les troupeaux, et un récapitulatif des scénarios sont présentés dans le livret des simulations (Tableaux 3 et 4).
L’efficacité d’équarrissage pour les utilisateurs de placette
L’efficacité considérée est la proportion d’éleveurs pour lesquels le service d’équarrissage par les vautours est optimal, c’est-à-dire que les vautours consomment les carcasses à chaque fois que l’éleveur les dépose sur la placette. Lorsque les utilisateurs de placette représentent 25% des éleveurs alimentant les vautours, l’efficacité moyenne est comprise entre 55% et 60% (Fig. 5.1). Lorsque tous les éleveurs nourrissant les vautours utilisent une placette, l’efficacité est comprise entre 84% et 85% (Fig. 5.1). Ainsi, plus la proportion d’utilisateurs de placette est élevée, plus l’efficacité d’équarrissage sur les placettes est élevée. Pour une même proportion d’utilisateurs de placette, lorsque le nombre d’éleveurs utilisant l’équarrissage naturel augmente, l’efficacité moyenne baisse de 5% à 1% (Fig. 5.1). Cette diminution est d’autant moins importante que la proportion d’utilisateurs de placette est élevée. Fig. 5.1. Pourcentages d’utilisateurs de placette bénéficiant d’un équarrissage naturel optimal en fonction de l’utilisation relative des placettes et de la collecte par les gestionnaires. Ces pourcentages ont été obtenus en calculant la moyenne annuelle des éleveurs bénéficiant d’un équarrissage optimal à partir des moyennes saisonnières. 1.3. L’effectif de la population de vautours. Rappelons que l’effectif de vautours considéré représente la capacité de charge du milieu, c’est-à-dire lorsque le taux de croissance de la population est nul. Autrement dit, lorsqu’elle ne s’accroît pas d’une année sur l’autre. Les effectifs de population trouvés sont proportionnels au nombre d’éleveurs participant au nourrissage des rapaces nécrophages. Le ratio du nombre de vautours nourris par éleveur varie entre 1,14, lorsque 250 éleveurs les nourrissent, à 1,09, pour 1000 éleveurs. Avec le modèle non mécaniste (eq. n°3), l’effectif de la population à l’équilibre est deux fois plus important que celui obtenu avec le modèle multiagents pour tous les scénarios (fig. 5.2). La modalité d’apport de ressources pour les vautours, par l’utilisation de placettes d’alimentation individuelles ou par le charnier, n’affecte pas l’effectif final de la population (fig. 5.2). Bien que les probabilités de détection journalières pour les deux types de système soient différentes, les effectifs de la population (à t=25) sont similaires pour les deux scénarios. Les carcasses restent disponibles plusieurs jours tant qu’elles ne sont pas consommées. Si une carcasse sur une placette n’est pas détectée un jour, elle pourra l’être les jours suivants. Ainsi, la probabilité résultante de trouver des carcasses sur Chapitre V – Pratiques humaines et comportements d’alimentation des rapaces nécrophages 77 une placette est supérieure à 0.8 (probabilité pour une journée seulement). Au-delà de 5 jours, le temps de disponibilité des carcasses affecte peu l’effectif de la population à l’équilibre à t=25 ans (Fig. 5.3). Sous ce seuil de 5 jours, l’effectif de la population à l’équilibre peut être affecté par le type de gestion des ressources pour les vautours ; un apport de ressources par le charnier aboutit à un effectif supérieur à celui obtenu avec les placettes. Cet effet est d’autant plus marqué que le temps de disponibilité des ressources est réduit.