Les marins, navigants et commerçants sur la route transpacifique
Dans une première partie, on a expliqué l’influence que Manille eut sur le développement du port d’Acapulco, et au fur et à mesure de la présentation de ces différents points, il fut nécessaire de parler du galion de Manille. Nous avons pu ainsi clairement sentir l’étroite relation du port et de la ville d’Acapulco avec le bateau, lien qui unissait aussi fortement Manille et Acapulco. Ainsi, lorsque nous avons parlé de l’administration et des lois qui règlementaient le trafic, nous avons indiqué comment celles-ci régulaient la taille et le nombre de bâtiments qui devaient faire le voyage; nous avons développé le même sujet quand nous avons expliqué la relation entre les deux ports nécessaire à la construction du bateau dans les arsenaux des Philippines, et avons montré que la ville de Manille avait adapté ces lois selon ses besoins. Pour exposer les motifs qui amenèrent à la création de l’hôpital d’Acapulco, une fois encore nous rencontrâmes la nécessité d’exposer la question des dates de départ du galion, tant à partir de Manille que d’Acapulco, en raison des difficultés qu’il pouvait rencontrer durant le voyage et qui se répercutaient sur les personnes, sur le navire, et finalement sur l’Archipel: les conditions climatiques, l’expérience et la difficulté pour conserver le rythme obligèrent Manille à imposer les dates du voyage. La Santa Potenciana, la Nuestra Señora del Rosario, le Espíritu Santo, le San Antonio de Padua, le Santo Niño, le San Joseph, le Santo Cristo de Burgos, le San Francisco Javier578 , firent ce voyage. Durant tout le XVIIème siècle, tous les navires eurent des noms de saints: suivant la coutume espagnole, les galions, comme les villes, se mettaient sous la tutelle et la protection divine579, ce qui montre bien la difficulté et les risques de cette dangereuse route de navigation, la plus longue de l’époque. Dans cette seconde partie, nous verrons le galion de Manille sous un autre angle: nous traiterons des exigences que ce bateau, moyen de survie des Philippines, union avec l’Empire espagnol par l’intermédiaire de la Nouvelle Espagne et d’Acapulco, devait suivre quand il se trouvait en mer, durant le trajet aller comme au retour, et des hommes qui menèrent à bien cette navigation transpacifique, apprise et dominée grâce à d’énormes efforts et de nombreuses larmes durant tout le XVIIème siècle, ce qui nous amènera à découvrir les raisons des exigences liées à l’utilisation du galion qui se répercutèrent sur Manille tout comme sur Acapulco.
Les préparatifs au départ de Manille
L’équipage embarqué avec sus cajas de marinero, les logements affectés, l’armement terminé, les canons sur leurs affûts, les munitions, les provisions, le bois et l’eau à bord, le galion, mouillé au lieudit el Pozo de la pointe de Cavite à l’intérieur de la grande baie de Manille, se préparait à recevoir son chargement. A l’aube, aux trois sonneries de cloche de la garde, la manœuvre commençait, surveillée par deux officiers désignés par le capitaine du galion et un Officier Royal. Sur le pont de quelques grandes embarcations appellées champanes , comme celles que l’on utilisait en Chine et au Japon, on disposait un filet ou un palanquín sur lequel on arrangeait le chargement del permiso composé de cajones, fardos, medios fardos, medios cajones, fardillos, de tancalillos de loza, d’escribanía, camas, biombos, escitorios, churlas de canela, de saquetes de especias, etc. Les champanes se rapprochaient et s’amarraient le long de la coque. Commençait alors le processus d’embarquement: pour pouvoir hisser la charge sur le bâtiment, on apiquait582 une vergue de voile principale ou un bourdon583 particulier, qui, inclinée, était utilisée comme une grue orientable vers l’embarcation accostée, faisait descendre une corde jusqu’au champan pour attacher le fîlet qui contenait les marchandises et le monter à l’aide du cabestan mis en œuvre par l’équipage. Chacun des mouvements et des manœuvres était dirigé par un contremaître qui donnait ses ordres au chifle, un sifflet en argent, le même qui était utilisé pour rendre les saluts et les honneurs aux personnalités584 . L’espar apiqué était manœuvré par l’équipage au moyen de manoeuvres: en le brassant585, on pouvait orienter la vergue pour faire passer directement le chargement des embarcations jusqu’au fond de la première soute, descendre le filet à travers les écoutilles, et ranger les marchandises de telle manière que le bateau garde sa stabilité. Une fois le filet vide et le palanquin libéré, on répétait l’opération en sens inverse pour le renvoyer sur le champan. Les opérations se continuaient jusqu’à la montée de la garde du second quart. Ensuite on sonnait la soupe composée de légumes secs, la menestra, et de viande; suivait une période de repos, et on reprenait les opérations jusqu’à la sonnerie de la prière qui marquait l’heure de l’arrêt du travail. Si on travaillait le dimanche, on autorisait la double ration de vin et on célébrait la messe586. En général, durant tout le XVIIème siècle, le galion de Manille partait surchargé, malgré la loi qui limitait la valeur autorisée de la charge à 250.000 pesos. Comme on a déjà mentionné, les marchandises étaient rangées dans les coursives sous le pont couvert, avec les caisses des marins, les provisions, les gréements et les voiles de rechange. Ainsi, l’espace qui restait pour les passagers était toujours réduit. Une fois prêts pour le voyage, devant les murailles de Manille, alors que la capitana arborait le pavillon de l’Amiral y General, les navires envoyaient le pavillon distinctif de l’Empire espagnol, blanc avec l’écusson du Roi en son milieu. Les équipages mis à la bande saluaient par trois fois en poussant les vivats Viva el Rey. La capitana tirait onze coups de canon à l’embarquement du General de Mar y Guerra. Tous confessés et ayant reçu la communion, sous la protection de la patronne des voyages du galion, la vierge de la Paz y el Buen Viaje, avec la bénédiction de l’archevêque et le carillon des cloches de la ville, le galion de Manille devait appareiller comme le demandait la Loi, vers le mois de juin, quand soufflaient les vents favorables au navire jusqu’à l’embouchure; il était certain que ceux qui partaient en juillet ou en août rencontreraient une période de tempêtes durant leur voyage.