Évaluation des CGF à l’ai de d’un modèle musculosquelettique
Le développement et la validation de formalismes permettant d’évaluation des CGF présente un grand intérêt dans des domaines tels que l’ergonomie ou la réhabilitation en caractérisant les directions d’application des forces optimales en fonction de la posture et des capacités physiques d’un individu. Plusieurs études ont été menées pour déterminer les CGF au niveau de la main (Carmichael et Liu, 2013; Oshima et al., 2000; Sasaki et al., 2011; Tanaka et al., 2005), des doigts (Inouye et al., 2012; Kutch et Valero-Cuevas, 2011, 2012; Valero-Cuevas, 2009) ou du pied (Komura et al., 1999; Tanaka et al., 2006). Les approches proposées sont soit basées sur les modèles de type articulaire (Sasaki et al., 2010; Tanaka et al., 2006; Tanaka et al., 2005) ou musculosquelettique (Carmichael et Liu, 2011; Inouye et al., 2012; Komura et al., 1999; Kutch et Valero-Cuevas, 2011; Oshima et al., 2000; Valero-Cuevas, 2009). Les modèles articulaires, objets du chapitre III, ont été utilisés pour prédire les CGF à l’extrémité du membre supérieur, en fonction de la posture et des hypothèses sur les couples articulaires maximaux admissibles. Bien qu’intéressants pour prédire la direction optimale d’application des efforts, ces modèles présentent plusieurs inconvénients. Tout d’abord, les procédures pour déterminer les couples articulaires aux différents ddl sont complexes et nécessitent un appareillage conséquent (Sasaki et al., 2010; Tanaka et al., 2006). De plus, ils ne prennent pas en compte certaines caractéristiques du système musculosquelettique humain. En effet, les couples articulaires dépendent de la posture du fait des variations des bras de levier ainsi que des paramètres des UMT notamment leur longueur (Carmichael et Liu, 2013). Enfin, en raison de la présence de muscles multi articulaires et des mécanismes de cocontraction, les couples articulaires générés autour des différents ddl sont couplés entre eux (Pinter et al., 2010a; Valero-Cuevas, 2009). Les conclusions du chapitre III nous ont montré que l’utilisation de la modélisation musculosquelettique est pleinement justifiée, car elle permet de satisfaire les conditions mentionnées ci-dessus du fait de la prise en compte de la géométrie musculaire (Delp et al., 2007; Holzbaur et al., 2005; Oshima et al., 2000; Valero-Cuevas, 2009). Cependant, aucun des modèles de CGF relatifs au membre supérieur n’a été validé de manière exhaustive en 3D. Certaines études ont porté sur la comparaison entre les forces prédites et mesurées, mais se limitent au seul plan horizontal et à un modèle musculosquelettique comportant uniquement 6 muscles dont 4 monoarticulaires et 2 biarticulaires, (Oshima et al., 2000). D’autres ont comparé les prédictions avec des données de la littérature (Carmichael et Liu, 2013) ou encore aucune validation n’a été effectuée (Komura et al., 1999). L’étude de Carmichael et Liu (2013) est pertinente, mais présente une autre limitation relative à la méthode utilisée pour déterminer les CGF. En effet, il s’agit d’une méthode d’optimisation tributaire de la complexité du modèle et dont les temps de calcul augmentent avec le nombre de ddl et de muscles pris en compte. Les études portant sur les CGF déterminées au moyen de modèles musculosquelettiques présentent donc deux limitations : le caractère partiel des validations et la technique de calcul utilisée. Dans ce cadre, la contribution originale de la présente étude est double. Tout d’abord, un nouvel algorithme simple et rapide, non tributaire de la complexité du modèle, est présenté pour calculer les CGF sous la forme d’un PFMS. Ensuite, celui-ci sera comparé au polytope de force mesurée (PFM) représenté sur la base de mesures de forces mesurées au niveau de la main pour un ensemble de directions. La validation portera sur les mêmes paramètres descriptifs que ceux employés dans le chapitre III : l’isotropie, la force maximale et l’orientation globale. Enfin, pour un ensemble de directions, l’erreur RMS entre les deux polytopes a été calculée et représentée sous la forme d’une sphère à gradient de couleur.
Sujets
Neuf sujets, tous masculins et droitiers, ont participé à ce protocole expérimental. Les données anthropométriques des participants sont présentées dans le Tableau 12. Au moment des expérimentations, les sujets ne présentaient aucune pathologie au niveau du membre supérieur droit pouvant affecter leurs capacités à générer une force maximale. Ils ont été préalablement informés de l’intégralité du protocole expérimental, des données mesurées et du matériel utilisé. Les sujets ont participé volontairement au protocole après signature d’un formulaire de consentement. Chapitre IV : Évaluation des CGF à l’aide d’un modèle musculosquelettique 148 Tableau 12 : Caractéristiques anthropométriques des sujets participants (moyenne (écart-type)) II.2. Calcul du PFMS Cette partie présente maintenant les étapes nécessaires pour effectuer la détermination des CGF en utilisant un modèle musculosquelettique. En particulier, le nouvel algorithme de calcul significativement plus rapide que les méthodes existantes sera détaillé. (Carmichael et Liu, 2011, 2013). Dans cette étude, un modèle musculosquelettique du tronc et du membre supérieur droit est utilisé (Holzbaur et al., 2005). Sa manipulation et les calculs s’effectuent à l’aide de la plateforme logicielle OpenSim (Delp et al., 2007) par l’intermédiaire d’une interface de communication (Application Programming Interface – API) permettant d’utiliser des scripts MATLAB. OpenSim est un logiciel libre (Open Source) de développement de modèles musculosquelettiques doté d’une communauté importante et active en ligne (https://simtk.org). Plusieurs dizaines de modèles gratuits sont mis à disposition et un espace d’échange en ligne stimule la collaboration entre chercheurs, cliniciens et étudiants du monde entier. La version simplifiée du modèle du membre supérieur droit de Holzbaur et al. (2005) a été utilisée. Elle est disponible gratuitement sur le site : https://simtk.org et inclut p = 29 muscles basés sur le modèle de Hill avec l’addition d’une composante passive parallèle à l’élément contractile (Schutte et al., 1993). Le modèle complet qui comporte 50 muscles inclut toute la musculature intrinsèque des doigts qu’il n’était pas nécessaire de considérer dans notre étude. La structure de la chaine cinématique utilisée comprend n = 7 ddl. L’articulation gléno-humérale comprend 3 ddl (plan d’élévation, angle d’élévation et rotation axiale), le coude 2 ddl (flexion/extension et pronation/supination de l’avant-bras) et le poignet 2 ddl (flexion/extension et déviation ulnaire/radiale). Les séquences de rotations articulaires sont conformes aux recommandations de l’ISB (Wu et al., 2005). Âges (années) Taille (cm) Masse (kg) Sujets 28,2 (6,1) 179,3 (7,9) 79,4 (9,9) CL’exploitation du modèle musculosquelettique pour le calcul des CGF nécessite plusieurs étapes qui comprennent : – La cinématique inverse qui permet : la mise à l’échelle de la géométrie du modèle générique pour chaque sujet, la détermination les angles articulaires à partir des positions des marqueurs obtenues par le système optoélectronique ainsi que l’extraction de la matrice des bras de leviers musculaires, – La personnalisation des forces maximales isométriques de chacun des muscles du modèle, – Le calcul des couples articulaires maximaux, – Le calcul des CGF sous la forme du PFMS.
Cinématique inverse
Le logiciel OpenSim intègre un module de cinématique inverse qui permet de déterminer les paramètres articulaires (angles et translations) des différents ddl à partir de données de marqueurs expérimentaux. Sa mise en œuvre nécessite plusieurs étapes. La première étape consiste à placer des marqueurs virtuels directement dans l’interface 3D d’OpenSim sur des points anatomiques correspondants aux positions des marqueurs employés lors des expérimentations (Wu et al., 2005). La seconde consiste à mettre à l’échelle le modèle générique en tenant compte des spécificités anthropométriques du sujet. Pour ce faire, une première mesure appelée « statique » contenant tous les marqueurs doit être réalisée. À partir de cette dernière, le logiciel adapte les dimensions des segments sur la base des distances relatives entre les marqueurs virtuels et ceux enregistrés. La masse de chacun des segments peut également être recalculée proportionnellement à la masse du sujet ou être entrée manuellement si elle a été déterminée par une autre méthode comme les tables de Dumas et al. (2007) dans la présente étude. Enfin, la longueur des muscles, leurs bras de levier ainsi que la longueur des tendons et des fibres musculaires sont également remis à l’échelle en même temps que celle des segments. La troisième étape consiste à utiliser les données expérimentales afin de déterminer les coordonnées généralisées (vecteurs d’angles et de translations) du modèle de la chaine cinématique. Cette tâche est accomplie en minimisant l’erreur entre la position des marqueurs attachés au modèle et celle des marqueurs enregistrés expérimentalement. Cette mise en correspondance se fait au moyen de « l’optimisation globale » (Lu et O’Connor, 1999).