Une histoire des instruments et machines à calculer

Une histoire des instruments et machines à calculer

La particularité pour nous est que l’histoire de la mécanisation du calcul est au carrefour de l’histoire des techniques et de celle des mathématiques, avec les concepts et priorités de chaque domaine. Mentionnons tout d’abord que  » l’histoire de la machine à calculer reste à écrire, histoire certes difficile, tant les sources sont partielles, parcellaires  » (Decaillot, 1999, p 141). Afin d’éviter toute ambiguïté sur le vocabulaire que nous employons, nous nous référons à la classification (en histoire des techniques) de Marguin (1994) sur les instruments et machines à calculer. Pour l’auteur, les tables de comptes, jetons et bouliers sont considérés comme des instruments primitifs ; les bâtons et réglettes ainsi que les additionneurs rectilignes sont des instruments arithmétiques. Viennent ensuite les machines arithmétiques : additionneuses, inscripteurs, multiplicatrices… Les machines se distinguent des instruments par leur automatisation de la retenue. C’est cette charnière entre l’opération humaine du report de la retenue et son automatisation que nous allons particulièrement explorer. De plus, l’auteur distingue :  » – les instruments et machines numériques qui, par définition traitent de nombres entiers et dont la précision dépend uniquement du nombre de digits pris en compte ; – les instruments et machines analogiques basés sur des mesures de grandeurs continues, géométriques (longueurs, angles, etc.) ou physiques (force, poids, etc.) et dont les résultats ne sont qu’approchés. Ensuite, sont introduites les notions d’instrument et de machine, puis d’autres critères comme la nature des opérations effectuées (addition et multiplication) et enfin des caractères anatomiques (type de reporteur ou d’entraîneur) et morphologiques (forme rectangulaire ou circulaire). On obtient ainsi une classification arborescente. À cette classification méthodique, il manque la perspective du temps.  » (Marguin, 1994, p 198) Reprenons une chronologie sur les instruments et machines à calculer en privilégiant ceux qui nous intéressent particulièrement : le boulier, les bâtons à multiplier, l’additionneuse et la règle à calcul. 

L’évolution des instruments pour calculer 

Les outils naturels

 » Le plus ancien auxiliaire de calcul est la main, origine probable de la numération décimale  » (Marguin, 1994, p 17). Le calcul digital (avec les dix doigts de la main) permet de représenter un nombre et il remplace le calcul mental. Ensuite viennent des outils naturels c’est-à-dire des cailloux et des bâtons, le mot calcul provient du latin calculus qui désigne un petit caillou. Ces outils, utilisés pour dénombrer du bétail ou tenir des comptes sont à l’origine du calcul médiéval aux jetons, des abaques et des bouliers. Ils ont vraisemblablement favorisé l’apparition de la numération écrite, en Mésopotamie au troisième millénaire avant notre ère. Dès la plus haute Antiquité, des outils spécialement fabriqués pour la manipulation des nombres sont mis au point : des entailles dans des tiges de bois ou des os, ce procédé pourrait avoir donné naissance à la numération romaine : V, X, M peuvent être représentés par des entailles croisées. Citons aussi plus tard, les nœuds sur des cordes : les Quipus des Incas, au 15ème siècle. Les premiers instruments de calcul sont l’abaque, le calcul aux jetons et le boulier. L’abaque à poussière avec un stylet date de l’Antiquité et l’abaque avec des cailloux date, pour le plus ancien retrouvé, du 4ème siècle avant J.-C. Quant à l’abaque portatif romain fabriqué avec des rainures et des boutons liés à l’abaque, il n’est pas impossible qu’il soit  » à l’origine des bouliers russes et persans, puis asiatiques, puis chinois et japonais  » (Schärlig, 2001). Ensuite, au Moyen-Âge, le calcul aux jetons (proche du calcul avec un boulier) sera très utilisé par les commerçants en Europe occidentale jusqu’à la fin du 18ème siècle. Celui-ci coexistera plusieurs siècles avec le calcul écrit qui se répand en Europe à la fin du 19ème siècle. Une autre méthode employée par les Babyloniens et les Égyptiens pour faciliter les calculs, était de constituer des tables pour répertorier les calculs usuels afin de ne pas les effectuer à chaque utilisation.

Le boulier

Avant l’apparition du boulier, les Chinois utilisaient des baguettes à calculer vraisemblablement positionnées sur des tables de compte (Martzloff, 1987). Les plus anciens manuels chinois dans lesquels figurent des indications sur les techniques de calcul datent du premier millénaire avant notre ère. Les calculs s’effectuent avec les baguettes à calculer et se commencent par l’unité d’ordre le plus élevé, ce qui permet d’avoir rapidement un ordre de grandeur du résultat, mais cette technique pose problème pour reporter des retenues… Il semble évident que cet instrument, qui ne permet pas un report facile des retenues n’ait pas pu se développer. Les règles de calcul misent au point pour les baguettes s’utilisent aussi sur le boulier (divisions, extraction de racines…) sur lequel il est aussi nécessaire de connaître les tables de multiplication pour effectuer des calculs. Le boulier est formé d’un cadre et de boules fixées sur des tiges, ce qui permet une utilisation aisée. Il forme un objet complet pour le calcul depuis le 12ème siècle en Chine. À la fin du 16ème siècle, les mathématiques chinoises  » se réduisaient à presque rien, à peine plus que le calcul au boulier « , et  » aux 17ème et 18ème siècles, rien ne pouvait être mis en parallèle avec les progrès révolutionnaires dont la science européenne était le théâtre  » (Martzloff, 1987). En fait, d’importants travaux mathématiques datant du 2ème siècle avant J.-C. n’ont été redécouverts qu’à partir du dernier quart du 18ème siècle en Chine (puis dès le début du 19ème Chapitre 3 48 en Europe). En Chine, au milieu du 15ème siècle, le boulier, l’instrument des marchands remplace progressivement les baguettes à calculer. La région Centre-Ouest est un terrain favorable à l’apparition du boulier car elle forme un carrefour commercial et novateur important à cette époque. Le boulier japonais semble être apparu au 15ème siècle (au Japon) mais il ne se popularisera que deux siècles plus tard et coexistera jusqu’à la fin du 19ème siècle avec le boulier chinois ; c’est donc à cette période que la pratique du boulier au Japon devient exclusivement celle du soroban. Aujourd’hui, même la Chine s’initie au soroban. En Chine et au Japon, les techniques du boulier sont enseignées à l’école encore de nos jours. Actuellement, trois types de bouliers sont d’usage courant : le stchoty russe (dix boules par tiges avec les cinquièmes et sixièmes d’une couleur différente), le suan-pan chinois (sept boules réparties sur deux rangées) et le soroban japonais (cinq boules triangulaires réparties sur deux rangées). Les calculs avec le boulier pour un utilisateur expert s’effectuent très rapidement, parfois même plus rapidement qu’avec une calculatrice :  » On estime généralement que le calcul mental basé sur l’utilisation du boulier est deux fois plus rapide que le calcul à la main au boulier qui est lui-même plus rapide, après un certain entraînement, que le calcul sur machine électronique pour l’addition et la soustraction. Avec un entraînement plus poussé, la multiplication devient elle-même plus rapide sur boulier ; pour la division, tout dépend de la précision souhaitée  » (Cumin et Hossenlopp, 1994, p 61). Marguin (1994) présente le boulier comme  » le premier véritable instrument de calcul autonome et portatif  » (p 23). Il poursuit en remarquant que  » les techniques et doigtés des bouliers orientaux sont encore systématiquement enseignés aux écoliers. Les automatismes gestuels, acquis dès le plus jeune âge, déchargent le calculateur de toute réflexion et font de ces instruments des aides efficaces et sûres  » (p 25). L’utilisation du boulier devient donc machinale, automatique. Il nous paraît donc possible de nommer machine l’ensemble formé par un boulier et un utilisateur averti. La frontière entre machine et instrument est poreuse, du moins il est possible de considérer le boulier comme un instrument et c’est là que l’utilisateur semble pouvoir réaliser un apprentissage : visionner une écriture décimale, effectuer un calcul, vérifier avec le calcul mental. Il nous faut donc distinguer le boulier-instrument qui est un instrument d’acquisition du calcul et le boulier-machine qui est une machine arithmétique.

Les additionneuses

Dans la lignée des bouliers, on trouve les additionneuses. Celles-ci juxtaposent des échelles graduées (rectilignes ou circulaires), coulissant sous des lucarnes. La plus ancienne additionneuse (Caze, 1720) est composée de réglettes mobiles que l’on déplace avec un stylet mais aucun dispositif de retenues n’est prévu. En 1847, Kummer munit  » la partie supérieure des rainures où coulissent les réglettes, d’une crosse qui permet, sans lever le stylet, de faire avancer d’un cran la réglette d’ordre supérieur. Le report manuel devenait si naturel qu’il supprime la nécessité d’un report mécanique  » (Marguin, 1994, p 27). Là aussi la limite entre instrument et machine se rétrécit, la retenue devient un réflexe de la main et le couple additionneuse-utilisateur se confond dans la définition de la machine arithmétique. Chapitre 3 49 L’additionneuse à crosse inspirera nombre d’inventions, des additionneuses de poche (Addiator, Addimax, Tasco…) seront fabriquées jusque dans les années 1960. L’additionneuse est d’usage simple pour réaliser des additions et des soustractions, mais moins pertinent pour les multiplications et divisions. Remarque sur le principe de fonctionnement des additionneuses : Nous avons réalisé un modèle géant en carton, en démonstration aux Domaines. Pour écrire un nombre, on descend les tirettes de chaque colonne. Pour additionner, on réécrit par-dessus, si on bute en bas, il faut remonter la tirette et passer à la tirette immédiatement à gauche (on passe la retenue). Par exemple pour effectuer le calcul 27+4, on écrit 27, et comme 27+4=31 il y a une retenue et le +4 s’effectue en –6+10 c’est-à-dire –6 unités et +1 dizaine. Pour soustraire, on remonte les tirettes. Pour multiplier, c’est le principe des additions successives. On peut aussi inscrire les résultats partiels des multiplications sur la machine (à la place de le faire sur papier) et lire le résultat final.

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