Le monde de la Santé
Si la santé a longtemps été considérée comme un don du ciel, les soins s’y rapportant relevant d’une prise en charge personnelle achetée ou reçue par charité, relevant d’art profane ou religieux, elle est considérée en France, aujourd’hui, comme un droit servi par une technologie toujours grandissante pour répondre à la notion de risque. L’hôpital a eu longtemps une fonction de charité, les premiers hospices ayant vocation au sixième siècle à accueillir les pèlerins (hostis : l’étranger) ; au Moyen Age cette dimension hospitalière s’oriente vers les populations pauvres et malades, gérée par l’Eglise à un moindre cout grâce au bénévolat des soignants, et, les dons et legs. Même si l’Etat cherche à coordonner l’activité 121 Arrêté du 2 septembre 2015 122 Professuer, doyen de la faculté de médecine de l’université de lorraine 123 An International Association for médical éducation 124Nombre d’étudiants très variables, structures hospitalières plus ou moins nombreuses, attractivité variable… Le monde de la Santé 62 des hôpitaux dès le seizième siècle125, le pouvoir religieux perdure jusqu’à la Révolution qui nationalise les hôpitaux, le Directoire transférant leur gestion aux communes. Les lois d’assistance promulguées entre 1890 et 1920 ainsi que le développement de mouvements mutualistes font naître la notion de droit aux soins. L’Etat reprend le contrôle de l’hôpital dont la fonction de direction relève du préfet ou du ministre. La notion de charité disparait totalement en 1941 et 1943 avec le paiement des actes126, les dons et legs devenant minoritaires par rapport au prix de journée et la cotation des soins. La période 1945-1980 se caractérise par le développement du système qualifié d’hospitalo-centrisme [DOMIN-2015], avec un accroissement majeur du parc immobilier, technologique et des personnels. Cette dynamique prend fin avec le Septième plan en raison d’une nécessaire rigueur budgétaire et d’une logique entrepreneuriale qui se fait jour. Le pouvoir politique pose petit à petit une transformation managériale. La loi du 19 janvier1983 introduit le système de « budget global », fixant un cadre réglementaire de gestions par objectifs à partir de projet d’établissement. Celui-ci tient compte aussi bien de la prise en charge des patients que de la formation, la recherche et la gestion. Jusqu’en 2003 les établissements publics et privés participant au service public hospitalier sont donc dotés d’une enveloppe de fonctionnement annuelle et limitative, calculée sur l’exercice précédent peu négociée avec les autorités de tutelle. A contrario, les établissements privés facturent directement à l’Assurance Maladie les prestations et soins sur la base de tarifs régionaux. Cette disparité entre établissements de santé (nouvelle dénomination), rendant opaque les offres de soins et leur cout, est effacée par la T2A127 : depuis 2002128, les ressources sont calculées à partir d’une mesure de l’activité produite conduisant à une estimation de recettes, l’application totale s’achevant en 2012. Chaque pathologie est tarifée, le but étant une maitrise des couts et une recherche d’efficience. En ce qui concerne les missions « hors soins » de l’hôpital , elles sont financées par les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation interne (MIGAC), dont les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (MERRI). Ces missions sont clairement identifiées et rémunérées par établissement, d’après une liste nationale.129 Pour les missions d’enseignement et de recherche, référence et innovation, le financement tient compte des publications (SIGAPS), du nombre d’étudiants, du nombre de brevets et logiciels déposés. Il est donc évident que la régulation des couts est devenue prioritaire que ce soit dans le domaine de la prise en charge des patients que dans les missions « hors soins » des hôpitaux. La T2a 125 Création par François 1er du grand Bureau des pauvres qui coordonne l’activité hospitalière du royaume 126Loi du 24 décembre 1941 relative aux hôpitaux et hospices publics, complétée par le décret du 17 avril 1943 127 Tarification à l’acte 128 Plan hôpital 2007 129 Site du ministère de la santé 63 impose une responsabilité conjointe de gestion aussi bien de la part du corps médical et que des administratifs. Si les nouvelles orientations économiques tendent vers une simplification des lignes budgétaires dans le domaine de la santé, le système de soins français reste complexe tant sur le plan médical qu’administratif, à l’exemple des structures hospitalières construites « au fil de l’histoire, par strates successives qui se sont empilées au gré des réformes et de l’évolution des rapports politiques, économiques et sociaux » [BONNICCI-2007].
Le monde de la naissance
Aborder la naissance par le prisme de la sociologie s’impose car on s’intéresse non seulement à un fait social mais surtout à un évènement éminemment humain, chargé de symbole et de valeur même si aujourd’hui , il est géré en grande partie par le monde médical. La sociologie, en étudiant les phénomènes sociaux humains, s’intéresse de fait à des activités pourvues de sens. Elle « est foisonnante d’approches des hommes ou des sociétés, elle multiplie les angles de regard et les méthodes pour donner sens à l’action ou expliquer les mouvements incessants du social. Chaque analyse sociologique en traduit une facette sans parvenir tout à fait à en épuiser les gisements possibles de sens. Chaque point de vue suggère sa lecture du social, sans être nécessairement contradictoire avec un autre, chacun privilégiant des données singulières, insistant sur le rôle de l’acteur ou du système. Toute analyse sociologique est une interprétation du social »[LE BRETON2007]. Aborder la sociologie de la naissance, c’est resituer celle-ci dans une histoire en évolution, se confronter au rapport des sociétés à la naissance, comprendre que ce rapport est dépendant de structures symboliques dépassant largement le champ strict de la médecine. Histoire et naissance sont intimement liées et « c’est en fait la société tout entière, à mesure qu’elle évolue, qui doit réapprendre sans cesse à traiter la femme enceinte et le fœtus, la parturiente et le bébé, et même les nouveaux pères… ; réapprendre sans cesse à accueillir sa progéniture, à prolonger sa descendance » [KNIBIEHLER-1984]. Durant des millénaires, le monde de la naissance n’a guère évolué. Qualifiée d’« Histoire immobile »138 notamment en France, elle s’est déroulée à domicile, dans un environnement familier et essentiellement féminin. L’arrivée des premiers accoucheurs (dix-septième et dix-huitième siècles) 138Selon MOREL.MF, présidente de la Société d’histoire de la naissance 68 puis les progrès de l’obstétrique, de l’anesthésie et de l’hygiène (dix-neuvième siècle), entrainant la délocalisation de l’accouchement vers l’hôpital, concourent à la médicalisation de la naissance du vingtième siècle. Jusqu’au dix-huitième siècle, la naissance est à la fois un évènement intimiste et communautaire : elle s’inscrit dans l’histoire d’une lignée familiale et villageoise. Vécu dans un cadre familial, il fait appel à l’entraide et au savoir profane féminin. Huit clos géographique (pièce chauffée) et humain (entourage exclusivement féminin) la naissance, marquée par la solidarité féminine, représente une véritable épreuve physique parfois mortelle (dix pourcent de femmes en âge de procréer meurent alors en couches). Comme le souligne LAGET (1982) l’accouchement est « ni figé ni contraint », les femmes acceptant les conseils de l’entourage mais cherchant instinctivement les postures les plus favorables et antalgiques : allongées sur le dos, le bassin surélevé par des coussins, sur le côté au bord du lit (Angleterre), assises sur une chaise, debout ou à genoux… L’arrivée des « hommes de l’art » dans les chambres de gésine, initialement pour pallier à des difficultés d’accouchements « contre nature », va peu à peu transformer les pratiques. La pièce, autrefois close, va être ouverte (pour faire circuler l’air), vidée des voisines et amies et faire place à la suprématie de l’accoucheur qui apporte, notamment par l’usage de forceps, sécurité aussi bien pour la mère que pour l’enfant. Les pères, réticents dans un premier temps à une présence masculine auprès de leur épouse, l’admettent pour réduire la mortalité. Cette démarche sécuritaire, pour elles et leurs enfants, s’opère aussi chez les femmes qui acceptent une moindre liberté de posture. « Grâce à la pratique instrumentale, l’accouchement cesse d’apparaitre comme un acte naturel : il nécessite le recours à un homme de l’art, à la fois savant et fort. C’est un premier pas vers la médicalisation de la naissance » [MOREL-2007]. De nouveaux conformismes vont se faire jour comme la notion d’indécence, entretenue par des médecins qui décrivent comme bestiales certaines positions d’accouchement. Malgré le développement de la formation des sages-femmes remplaçant petit à petit les matrones réputées incompétentes, la place des accoucheurs va grandissante (création du corps des accoucheurs des hôpitaux en 1881) mais les accouchements s’effectuent encore à domicile. La surmortalité dans les hôpitaux fait peur jusqu’ à la fin du dix-neuvième siècle où les travaux de SEMMELWEIS à Vienne, de LISTER à Edimbourg et de PASTEUR à Paris permettent enfin de connaitre l’étiologie des fièvres et d’envisager les moyens pour les endiguer. L’asepsie mais aussi le début de l’usage de drogues anesthésiantes notamment dans les pays anglo-saxons139 vont changer la vision de la naissance en milieu hospitalier et même y attirer les femmes pour un accouchement plus technicisé [MOREL-2007]. La souffrance vue souvent comme un rachat du péché de chair ou une 139 L’accouchement à la reine : la reine Victoria donne naissance à son huitième enfant sous chloroforme en 1853. Les médecins français seront longtemps réticents à l’usage de l’analgésie obstétricale 69 fatalité, voire une valorisation humaine [KNIBIEHLER-1984] régresse dans les esprits. C’est dans les années trente que l’accouchement, notamment dans les grandes villes, se délocalise vers les établissements hospitaliers. Les aides étatiques (prise en charge forfaitaire de l’accouchement et indemnités de maternité pour les femmes qui travaillent) pour enrayer la baisse de la natalité, contribuent à faire de l’accouchement un acte médical reconnu. « On se soucie en effet davantage du bien-être de l’individu, la fatalité devant la mort recule et l’homme de moins en moins soumis à l’ordre divin, tente d’aménager son existence » [BEAUVALET-BOUTOUYRIE, 1999]. Cependant les patientes aisées et les femmes issues du monde rural optent encore de nombreuses années pour la naissance à domicile avec l’aide d’une sage-femme ou d’un médecin généraliste. L’absence de consensus autour du lieu idéal de la naissance de l’entre deux guerre évolue dans les années cinquante et en 1962, quatre-vingt-cinq pourcent des accouchements ont lieu dans les maternités. Celles-ci sont désormais des établissements modernes à la fois sur le plan des installations techniques mais aussi innovantes en matière d’approche d’accompagnement. La maternité des métallurgistes (des Bluets) à Paris propose à l’initiative du Dr LAMAZE une méthode d’accouchement « sans douleur » issue d’une préparation psychique et physique ramenée d’URSS. Méthode plébiscitée par les femmes, elle est cependant violemment critiquée, de par ses origines politiques, par des médecins conservateurs et/ou catholiques. Il faudra l’autorisation de Pie XII en 1956, le remboursement de six puis huit séances de préparation, pour que les femmes puissent bénéficier pleinement de cette nouvelle approche.