Le modèle de Ramsey
Les théories de la croissance économique s’interrogent sur les fondements de l’amélioration du niveau de vie, et mettent en avant l’accroissement du produit par tête qui a lieu avec l’accumulation de capital. Le modèle standard de R. Solow50 (1956), démontre sous certaines hypothèses que l’épargne réinvestie à chaque période permet d’accumuler du capital par tête, mais uniquement jusqu’à un certain niveau d’équilibre. L’économie arrive à ce stade sur son sentier stationnaire, où le produit agrégé croît simplement au rythme de la population, et où le progrès technique devient seul déterminant d’une croissance supérieure. La théorie de la croissance optimale intervient sur la phase transitoire qui précède ce niveau stationnaire, afin de lever l’hypothèse d’une propension à épargner fixe et exogène dans le modèle. Elle tente d’apporter des fondements microéconomiques, décrits par Ramsey51 (1928), qui portent sur la question du choix optimal du niveau de l’épargne dans une économie. Ce choix résulterait d’un programme d’optimisation résolu du point de vu d’un planificateur social, et consistant à maximiser la consommation des agents sous une contrainte statique de budget, et sous une contrainte dynamique d’évolution du capital. Dans ce chapitre, nous montrons qu’en général le taux d’épargne n’est pas constant, mais qu’il est au contraire fonction du stock de capital par tête, . le modèle de Solow-Swan se trouve alors modifier de deux manières : d’une part, il faut maintenant trouver quel est le niveau moyen du taux d’épargne, et d’autre part, il faut rechercher s’il augmente ou diminue avec le développement de l’économie. La tendance des taux d’épargne à augmenter ou baisser en fonction du développement économique affecte la dynamique des états de transition, notamment la vitesse de convergence vers l’état régulier. Si le taux d’épargne augmente avec k, alors la vitesse de convergence est plus lente que dans le modèle de Solow-Swan, et vice-versa. Nous verrons toutefois que le modèle de Ramsey, même lorsque le taux d’épargne augmente, la convergence reste vérifiée, sous des conditions assez peu restrictives. Autrement dit, l’économie tend toujours à croitre, d’autant plus vite, en terme de variable par tête, qu’elle est initialement éloigné de son état régulier
Présentation du modèle
Le modèle de Ramsey (1928) constitue la seconde référence (avec le modèle de Solow) des modèles de croissance, dans la mesure où il endogénéise le taux d’épargne. Ce taux devient expliqué par les comportements d’optimisation des agents. Le problème de la croissance est un problème de choix entre consommation présente et consommation future. Comprendre comment ce fait ce choix est donc fondamental. Ramsey a cherché à déterminer l’épargne qu’une nation doit effectuer dans une perspective dynamique. La connaissance du niveau moyen du taux d’épargne est importante d’abord parce-que c’est lui qui détermine le niveau des autres variables sur le sentier de croissance d’état régulier. D’autre part, parce-que dans le modèle de Ramsey, ce sont les conditions d’optimisation qui permettent d’exclure l’épargne excessive et inefficiente qui pouvait exister dans le modèle de Solow-Swan. L’intérêt de l’endogénisation de l’épargne est double. Elle permet de comprendre pourquoi l’équilibre est à gauche de , elle permet de juger la politique d’augmentation du taux d’épargne. Nous présentons successivement l’équilibre concurentiel, l’état régulier et enfin la dynamique transitoire.
Hypothèses du modèle
Nous allons maintenant étudier un modèle de croissance qui intègre explicitement un comportement de consommation des ménages. L’épargne ne sera donc plus déterminée à travers une propension moyenne exogène. Nous allons considérer que les individus ont un horizon infini. Plutôt qu’une vie infinie, cela correspond à une prise en compte, par chaque génération, de l’intérêt des générations futures, de manière altruiste. Ce modèle peut être formulé de manière à peu près standard de la façon suivante : H1: L’agent représentatif maximise la somme actualisée de ses utilités sur un horizon infini, l’argument de la fonction d’utilité est la consommation de l’agent. Celle-ci étant un prélèvement sur le produit net, sachant qu’il n’y a qu’un seul bien qui sert à la fois de bien de consommation et de bien de production et que l’économie est fermée. 109 H2 : Le capital évolue selon ce qui reste après la consommation des agents. H3 : La fonction de production, à deux arguments, est à rendements d’échelle constants et à rendements de facteur décroissants. Les arguments sont le capital productif et le travail ; ce dernier est offert de façon inélastique, il peut être constant ou croître à taux constant ou être affecté par un progrès technique neutre au sens de Harrod. Nous allons comparer deux mécanismes d’allocation différents : D’abord, en suivant le travail de Ramsey, nous allons considérer que l’allocation des ressources est effectuée par un planificateur central qui cherche à maximiser le bien-être de l’agent représentatif. Ensuite, nous allons intégrer une allocation décentralisée, par les marchés. Nous allons observer en particulier qu’avec un horizon de décision infini, des rendements d’échelle constants, des agents homogènes et des marchés concurrentiels, les deux mécanismes conduisent à la même allocation des ressources.
L’équilibre concurrentiel
Deux types d’agent se distinguent par la poursuite d’un objectif différent, l’un étant la maximisation de profit du côté des entreprises, et l’autre la maximisation de satisfaction pour les ménages. La modélisation est effectuée sous les hypothèses concurrentielles. La présentation de Barro et Sala-i-Martin (1995), distingue le problème des consommateurs de celui des producteurs.
L’équilibre des consommateurs
La population , croît au taux . On peut la voir comme une famille unique ou comme des familles identiques se développant dans le temps. Les adultes de la génération actuelle s’attendent à ce que la taille de leur famille élargie croisse au taux n > 0 du fait de la fécondité et de la mortalité. Pour simplifier, nous considérons n exogène est constant. Nous négligeons également les migrations de personnes. Si nous normalisons à l’unité le nombre des adultes existant au temps 0, la taille de la famille (c’est-à-dire la population adulte) au temps t est : Chaque ménage comprend au moins un membre adulte appartenant à la population active. Lorsqu’ils font des projets, ces adultes pensent également au bien être et aux ressources de leurs descendants réels ou éventuels. Bien que la vie des individus soit ellemême finie, nous pouvons nous placer dans le cadre d’une famille élargie « immortel » . Cette structure est appropriée si les parents sont altruistes53 et réalisent des transferts en faveur de leurs enfants, qui font ensuite de même, etc. 52 La famille immortelle est donc composée d’individus mortels liés entre eux par un mécanisme effectif de transferts entre génération, fondé sur l’altruisme Dans l’esprit de Robert Barro (1974), ce ménage représente une dynastie de générations liées par de l’altruisme et de l’héritage. Cette fiction autorise un bouclage par l’épargne relativement simple 110 Cette interaction entre les générations est prise en compte en supposant que la génération actuelle maximise son utilité sous une contrainte budgétaire dont l’horizon temporel est infini.
Les préférences inter temporelles
Les préférences inter temporelles sont définies sur l’ensemble des trajectoires de consommation C(t). Si C(t) est la consommation au temps t, alors est la consommation par adulte. Chaque ménage souhaite maximiser l’utilité globale, U, L’utilité inter temporelle s’écrit comme une somme des utilités instantanées u(t) de chaque tête du ménage. On a donc : A la date le « père fondateur » d’une dynastie, qui croit au taux maximise l’utilité par tête de tous les membres de sa famille vivant à chaque date . Ce critère d’optimisation est donc un critère utilitariste : on maximise la somme des utilités (ce qui présuppose une fonction d’utilité cardinale). la multiplication de par la taille de la famille, , correspond à l’addition des unités d’utilité de tous les membres de la famille vivants au temps t. Avec le niveau de consommation par tête du ménage. Cette formule présume que l’utilité des ménages au temps 0 est une somme pondéré de tous les flux futurs d’utilité, . La fonction relie le flux d’utilité par personne à la consommation par tête. Le multiplicateur, , fait intervenir le taux de préférence pour le présent, . Une valeur positive de ρ signifie que les unités d’utilité sont d’autant moins valorisées qu’elles sont obtenues tardivement54. Nous pouvons expliquer que ρ soit positif par la raison suivante : les unités d’utilité attendues d’un futur éloigné correspondent à la consommation des générations futures. Or, nous supposons que, partant d’un point où les niveaux de consommation par personne sont les mêmes à chaque générations, les parents préfèrent une unité de leur propre consommation à une unité de la consommation de leurs enfants. Cet « égoïsme » parental implique que ρ soit positif.
La fonction d’utilité L’économie démarre avec un capital/tête
L’utilité instantanée de la famille est donnée, en valeurs courantes, par : Avec ( est strictement croissante) ; ( est strictement concave) ; 54 Robert.J.Barro-Xavier Sala-i-Martin “La croissance économique” Ediscience international, 1996 p68. 111 vérifie les conditions d’Inada (u′(c) → ∞ quand c→0 et u′(c)→0 lorsque c→∞. « La concavité de indique que le ménage préfère les « mélanges inter temporelles » et cherche à « lisser » le sentier de consommation, c’est-à-dire à répartir la consommation sur les différentes générations »55. Les consommateurs préfèrent un profil relativement uniforme à celui où est très bas à certaines périodes et très élevé à d’autres.
La trajectoire optimale de la consommation du ménage
Le planificateur central cherche à maximiser le bien-être social à chaque moment du temps. Il doit donc déterminer un sentier de consommation optimale qui tient compte des caractéristiques de l’économie. Ce sentier doit établir, à chaque moment, un arbitrage entre la consommation présente et la consommation future qui va profiter de l’investissement et donc de l’épargne. On rapporte le produit et le capital au travail. Le problème de l’agent représentatif contient alors deux variables : la consommation par tête et le capital par tête. Selon la décision prise à tout moment sur le niveau de consommation, le devenir immédiat du capital est déterminé. De façon naturelle, la consommation est la variable de contrôle, tandis que le capital est la variable d’état. La décision de consommer une certaine quantité du produit entraîne, par le fait même, celle d’accumulation du capital productif. La consommation est donc bien la variable de commande. Le produit et la consommation viennent de la mise en œuvre du capital productif qui détermine donc l’état du système à tout instant. Sous les contraintes La solution de ce problème est un sentier de consommation optimale: . C’est donc une fonction du temps et non une valeur unique. Nous avons donc un problème de commande optimale. On résout ce type de problème en appliquant le principe de maximum de Pontryagin.