LE CHANGEMENT DISCOURS, NECESSITE OU MODE ?

 LE CHANGEMENT DISCOURS, NECESSITE OU MODE ?

L‘examen de la littérature et des discours stratégiques des dirigeants montrent que le changement constitue aujourd‘hui une préoccupation majeure à l‘instar du changement social qui occupe depuis fort longtemps une place de choix en sociologie. En outre par un processus complexe d‘aller-retour le changement est tantôt abordé de l‘extérieur tantôt de l‘intérieur des organisations sans que les séquences out → in ou in →out n‘obéissent à un logique simple et aisément identifiable. En effet les séquences sont les suivantes : changements de / dans l‘environnement→ changements de / dans l‘organisation et changement organisationnel→ changement dans le positionnement externe. Cela suppose que l‘on puisse clairement borner les organisations ce qui pose un certain nombre de problèmes lorsque l‘on envisage les relations inter-organisationnelles ( F.Frery, 1994) Lorsque l‘on se penche sur l‘évolution de la pensée stratégique (P.Joffre et G.Koening, 1985), on observe que l‘objet de la recherche qu‘est le changement organisationnel apparaît implicitement assez vite sur la scène, mais dirions-nous de manière dérobée. Durant les années 60 en effet le courant dit de « contingence structurelle » focalise son attention sur les formes organisationnelles dont il s‘agit d‘expliquer les caractéristiques et l‘évolution. Si les processus internes ne sont pas la préoccupation essentielle de ces travaux, une des idées centrales (notamment avec les travaux de E.Emery et E.Trist, 1965 et P.R.Lawrence et J.W.Lorsh, 1967) est la très forte dépendance des organisations aux contextes dans lesquelles elles opèrent. Ces théories de l‘adaptation aux évolutions de l‘environnement conduiront tout naturellement dans les années 70 à présenter le changement comme une stratégie de survie. Curieusement ou peut être par un effet de balancier classique les années 80 présenteront comme argument de compétitivité. D‘exigence le changement devient défi ou opportunité selon que l‘on se rattache à une vision réactive ou proactive des « comportements organisationnels ». Au cours du temps le changement occupe dont un statut très fluctuant semblant osciller entre les deux extrêmes que sont : une vision contrainte et passive dans laquelle la latitude d‘action des organisations est  limitée face à leur environnement. S‘il ya changement, c‘est essentiellement un changement induit et subi. -2- Une vision plus volontariste dans laquelle le changement est présenté comme un argument stratégique à construire et à exploiter. Cette oscillation ne fait que traduire l‘opposition classique en stratégie entre capacité de choix vs adaptation contrainte (P.Joffre et G.Koening, 1992). Entre adaptation pure et volontarisme pur, la question-clé qui se pose est bien celle de la latitude des dirigeants à conduire le changement. Le schéma ci-dessous résume notre démarche. Le changement : du hasard aux choix volontaristes1 Poids de l’environnement capacité des acteurs (L‘organisation réagit et s‘adapte) (L‘organisation construit des compétences Et organise le changement) Vision déterministe Vision volontariste (Sélection naturelle) Approches approches Rationalistes processuelles Logique exogène Approches cognitives Logique endogène Notre argumentation se fera en trois volets :  le premier montre que le changement organisationnel trouve sa place entre les deux extrêmes que sont la sélection par l‘environnement et le choix programmé. Si la première position souligne l‘impuissance des dirigeants/stratèges, la seconde en prend le contre-pied : les organisations sont conçues comme des entités finalisables/organisables selon une logique de choix rationnel. L‘une comme l‘autre de ces positions traduisent une représentation dévaluée du changement organisationnel : qu‘‘il soit subi ou induit, il n‘apparaît pas comme un objet de recherche particulièrement intéressant. Or nous verrons qu‘‘une telle représentation conduit à des paradoxes et des impasses.   A l‘inverse de la position précédente, le second volet situe le changement comme thème central de recherche et comme pratique stratégique-clé. Effet de balancier ou de mode, tout un courant de pensée associé à des critiques plus ou moins virulentes des milieux des affaires, soulignent la nécessité de penser (et de gérer) le changement préalablement en termes de processus plutôt que de finalité/résultat. L‘accent est mis sur l‘action et sur le caractère socialement construit des processus stratégiques.  Le troisième volet très lié au précédent souligne les processus de mise en scène stratégique : représentations, communication, symbolique, discours constituent les points d‘ancrage essentiels. Le changement en tant qu‘actions n‘y est pas dissocié des processus cognitifs individuels et collectifs qui le suscitent et qui s‘en enrichissent en retour. Cette troisième section pose alors la question-clé de la possibilité de conduire/maîtriser le changement dans la mesure où les (vices et) vertus de l‘action collective en interdisent une représentation strictement mécaniste. Cette trilogie emprunte directement aux représentations de la stratégie proposées par A.Ch.Martinet [1994]. Si les référentiels désignés sont des cadres d‘analyse gouvernés par une logique dominante, ils ne constituent en rien des classes ou des écoles homogènes. En revanche on peut penser que ce sont ces mêmes cadres d‘analyse qui définissent et structurent les pratiques du changement organisationnel. Enfin si l‘on tente de procéder à un repérage temporel, on s‘aperçoit que ces différents registres n‘apparaissent que chronologiquement ; ils semblent bien davantage alterner et / ou se superposer qu‘évoluer dans un consensus général.

Le Changement Hasard Ou Nécessite ?

Une première position possible pour traiter du changement organisationnel c‘est de l‘exclure en tant que problème ou bien de le considérer comme pouvant être sous-traité à d‘autres (notamment les psychosociologues). Cette position est implicitement ou pas celle du courant de pensée dit de l’écologie des populations (The population Ecology of organizations) courant directement affilié à celui de la contingence évoqué ci-dessus (A.Asquin). Nous verrons que ce courant subordonne le changement organisationnel à une logique de sélection naturelle ; toute stratégie d‘acteur étant minorée par rapport à des processus de sélection naturelle. Une autre représentation dévaluée du changement trouve sa source dans le courant dit « rationaliste » de la stratégie dans lequel stratégie s‘identifie largement à « planification stratégique » certes à l‘opposé de la vision précédente la capacité des acteurs (l‘organisation, les dirigeants) est ici majorée mais l‘une comme l‘autre de ces représentations concourent à donner du changement une vision très pauvre et subordonnée. Le changement organisationnel ne constitue qu‘une résultante souvent sommairement appréhendée, d‘autres interrogations plus fondamentales. a- l’écologie des populations Filiation plus ou moins directe du courant de la contingence structurelle « l‘écologie des populations » renvoie à une vision néo-darwiniste ou l‘adaptation contrainte est la règle pour les organisations. L‘idée de départ somme toute banale est qu‘il existe un très grand nombre de limitations à la capacité des organisations à s‘adapter à l‘environnement (notamment concurrentiel). Loin d‘être homogène, ce courant oscille entre les deux versions suivantes : -une version radicale (M.T.Hannan et J.Freeman) , 1977 ; H.E.Aldrich , 1979) majorant le déterminisme environnemental et minorant la portée des choix stratégiques. A l‘état pur elle pose que les dirigeants n‘ont aucune latitude de pouvoir, idée qui rappelle le point de vue lapidaire de C.Perrow [1979] sur les managers comme baudruches qui s‘auto-congratulent. -Une version plus nuancée et moins déterministe ( J.Pfeffer et G.R.Salancik, 1978) attribuant un rôle symbolique aux dirigeants , capables de personnifier l‘organisation et ses résultats, susceptibles aussi d‘identifier par leurs capacités cognitives, la nature des contraintes qui opèrent Le cadre général de ce courant1 vide à expliquer les processus de changement parmi les populations d‘organisations non au sein de ces dernières. Un tel niveau d‘analyse permet de comprendre pourquoi le changement organisationnel (comme le management) n‘y tient aucune place (ou une place très relative). S‘agissant d‘un niveau d‘analyse agrégé (les communautés d‘organisations) et d‘un horizon long, on est nécessairement conduit à majorer ( par construction) le déterminisme environnemental. C‘est très précisément ce que R.Boudon [1977] appelle un effet de position dû aux limites de l‘observation et à l‘unité de temps choisie. Plus l‘on raisonne sur un horizon court, plus on aura tendance à privilégier la discontinuité et à mettre en lumière la « main visible du management ». Sur un horizon long, en revanche on sera porté à s‘interroger sur les effets émergents, les processus de régulation, la continuité. La main visible du management dont parle A.Pettigrew après A.D.Chandler n‘a donc pas ou peu de  place dans ce courant de l‘écologie des populations. b- les approches rationalistes de la stratégie A l‘opposé en quelque sorte de la position précédente on trouve ce que de nombreux auteurs ont appelé l‘approche « rationaliste » ou planificatrice de la stratégie ( G.Johnson, 1987 ; A.Ch.Martinet , 1994 ). Cet amalgame donne à penser que l‘on n‘a pas toujours clairement distingué la stratégie dans ses approches classiques et la planification stratégique ( A.Ch.Martinet, N.Claveau, F.Tannery, 1994). La stratégie y est considérée comme une démarche analytique censée réduire incertitude et complexité à travers un recueil d‘informations, une analyse moyens-fins, une formulation centralisée et une mise en œuvre dévolue aux niveaux opérationnels. La planification stratégique est un outil « naturellement privilégié quelquefois l‘apanage d‘une technocratie , exercice souvent perçu comme instrument de contrôle non de créativité ( A.Ch.Martinet et alii 1994). Largement utilisée par les grandes entreprises dés les années 60, la planification stratégique par son perfectionnement méthodologique et sa sophistication succombera souvent à des écueils bureaucratiques contre-productifs. Elle contribuera alors à renforcer le fossé entre ceux qui conçoivent les stratégies (souvent au niveau des directions générales et des cellules de planification) et ceux qui les exécutent ou du moins sont supposés les exécuter ou les mettre en œuvre selon la terminologie consacrée1 . Les choix stratégiques externes via les différents outils d‘analyse seront privilégiés les thèmes clés sont ceux des choix produits x marchés x technologies, du positionnement stratégique, des forces et faiblesses, des forces concurrentielles… L‘optique est normative (quels choix doit-on effectuer ?) ; le schéma canonique de la décision est celui de la programmation de prescriptions stratégiques en termes d‘activités (transactions avec l‘environnement concurrentiel). Les questions de mise en œuvre sont évoquées comme des sous-produits de la décision, le postulat implicite étant que « l‘organisation suivra » (Ch.Barnard, 1983). Dit autrement, la logique est exclusivement de type technico-économique, excluant la manière dont les choix se constituent au cours du processus de planification. Implicitement ou explicitement l‘entreprise parle en une voix   unique composée de dirigeants et cadres omnipotents ou héroïques munis de préférences stables et cohérentes ( A.Pettigrew, 1985). 

Le changement comme technologie

Par construction, le perfectionnement méthodologique de la planification associé à une vision singulière de l‘organisation exclut donc la composante organisationnelle et managériale des stratégies, le clivage entre le corps social et les stratèges est donc maximal. Cette séparation stratégies / opérations, formulation/ mise en œuvre donnera lieu à de très nombreux débats depuis plus de 20 ans mettant en exergue le divorce entre des stratèges-planificateurs et des réalités organisationnelles souvent reléguées au rang de variables subordonnées et/ou d‘intendance 1 . Un tel divorce suscitera alors une vague de scepticisme et de critiques à l‘encontre de cette vision rationaliste tant en provenance des milieux professionnels que de certains universitaires américains. Comme le soulignent P.Joffre et G.Koenig , 1985 : « les responsables de certaines entreprises comparent avec inquiétude le temps et l‘argent consacrés à planifier et les résultats obtenus. Ils constatent avec amertume que la planification accroît paradoxalement la vulnérabilité de l‘entreprise aux assauts de concurrents utilisant des méthodes de gestion moins orthodoxes ». Désillusions et critiques toucheront autant certaines grandes entreprises pionnières dans l‘utilisation de modèles stratégiques que les institutions universitaires grandes productrices de manuels de stratégie 2 . Avec une telle représentation programmable de la stratégie le changement est tantôt externalisé (changement de/dans l‘environnement) tantôt considéré comme allant de soi. L‘organisation est censée s‘adapter au changement de manière quasi-spontanée. Les organisations sont volontiers présentées comme des systèmes dotés de téléologie et de rationalité substantielle (moyens-fins). Le changement est constitué par une collection plus ou moins sophistiquée de prescriptions normatives et techniques focalisées sur la mise en place de nouvelles structures , de systèmes de gestion et la définition d‘objectifs d‘efficacité. La dure réalité empirique des affaires donnera raison à Ch.Barnard, 1983 qui il ya plus de 50 ans dénonçait déjà l‘hypothèse héroïque selon laquelle les organisations suivent. Ces dernières ne suivent pas nécessairement et révèlent les limites d‘une représentation naïve : faible mobilisation des acteurs, incompréhension des enjeux du changement…

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