Le brunissement des pigments à base de cuivre
Le but de ce chapitre est d’exposer les hypothèses préliminaires pour expliquer le procédé de brunissement. Avant de présenter les facteurs qui peuvent être responsables des modifications chromatiques et d’exposer les connaissances actuelles sur le sujet, il est important de donner une définition générale de la couleur et de montrer le lien que cette couleur peut avoir avec la présence de complexes de cuivre (II) (II.1). Le système Métal/ligand peut être considéré comme un matériau organique-inorganique dont chaque partie peut être responsable de la variation de couleur. Le changement chromatique que l’on peut observer sur des œuvres d’art peut être du à : – Une modification de l’environnement de l’ion cuivre (II) dans le complexe – Une oxydation de la matrice organique, ligand lié à l’ion cuivre (II) Pour tenir compte de ces deux aspects, après une description de l’origine de la couleur et du rôle de cuivre dans ce phénomène, seront décrites les hypothèses préliminaires existant en littérature pour expliquer le brunissement. En considérant le rôle du liant, le procédé de séchage de l’huile sera exposé, et l’effet du « vert de gris » sur les réactions décrites sera pris en compte. Une deuxième partie présentera les modifications possibles de l’environnement du cuivre décrites dans la littérature (changement d’état d’oxydation, d’hydratation ou de type de complexes).
Origine de la couleur d’un complexe métallique
Pour un observateur donné la couleur d’un objet éclairé par une source lumineuse est reglé par l’ensemble des rayonnements que celui-ci renvoie. C’est l’ensemble des rayonnements lumineux que celui-ci n’a pas absorbé. Dans le cas de composés contenant des métaux de transition, l’absorption s’explique principalement par des transitions électroniques d-d pour laquelle un électron passe d’un niveau d’énergie à un autre. Cette transition a un niveau assez faible Le brunissement des pigments à base de cuivre Etat de l’art et hypothèses préliminaires Chapitre II : Le brunissement des pigments à base de cuivre : Etat de l’art et hypothèses préliminaires 40 d’absorbance car elle correspond à des transitions permises de spin mais interdites de géométrie. Cependant il existe des transitions entre cent et mille fois plus intenses de celles electroniques d-d, qui correspondent soit à des transferts de charge (TC) entre métal et ligand, soit à des transitions électroniques type π→π* dans le ligand [Jolivet, 1995]. II.1.1 Transitions d-d : l’ion libre et la théorie du champ cristallin Les métaux de transitions d sont caractérisés par le remplissage incomplet des couches d. Pour un ion libre toutes ces orbitales sont dégénérées (ont la même énergie). Mais si des molécules, dites « ligands », s’approchent, jusqu’à ce qu’une liaison se forme, le champ d’ion central est modifié et une levée de dégénérescence des orbitales d a lieu (éclatement du champ cristallin). Cet éclatement des orbitales vise à minimiser les répulsions des électrons d de l’ion par les doublets électroniques des ligands. Les orbitales qui pointent vers les ligands sont déstabilisées, les autres orbitales sont quant à elles stabilisées (conservation de l’énergie). Par exemple, dans le cas d’un champ octaédrique (approche de 6 ligands suivant les directions xx’, yy’ et zz’), les orbitales dxy, dxz et dyz sont stabilisées, alors que les orbitales dx 2-y2 et dz 2 sont déstabilisées comme le montre la figure II-1. En symétrie octaédrique, une seule transition (Figure II-1, flèche noire) devrait être observée. Cependant, pour les complexes octaétriques de configuration d9 (cas du cuivre (II)), une stabilisation du complexe apparaît (effet Jahn-Teller). Elle se traduit par une élongation des liaisons suivant l’axe z. Le complexe passe alors de la symétrie octaédrique à la symétrie plan carré. Figure II-1: Levée de dégénérescence des orbitales 3d d’un élément de la série de transition en environnement octaédrique Lorsque l’on tient compte de la distorsion due à l’effet Jahn-Teller, trois transitions sont théoriquement observables (Figure II-1, flèches bleues). Cependant il arrive souvent que la transition de plus haute énergie se situe dans l’Ultra Violet, proche du visible, et qu’elle soit masquée par des transitions beaucoup plus intenses (TC par exemple). En effet l’intensité de la couleur produite par une transition d-d en environnement octaédrique est relativement faible pour les métaux de transition. La différence d’énergie entre les orbitales impliquées dans le transport d’électrons est liée à la longueur d’onde absorbée, selon la relation : abs hc λ ∆E = où ∆E représente la différence d’énergie entre deux niveaux, h la constante de Planck, c la vitesse de la lumière dans le vide et λabs la longueur d’onde absorbée. La position des bandes d’absorption est sensible à la coordination, l’environnement et au type de liaison de l’ion métallique.
Le cuivre et ses cations
Dans le cadre de cette thèse nous nous sommes intéressés à comprendre le rôle du cuivre dans les phénomènes de coloration. Chapitre II : Le brunissement des pigments à base de cuivre : Etat de l’art et hypothèses préliminaires 42 Le cuivre est à l’origine de phénomènes de coloration dans de nombreux minéraux comme l’azurite et la malachite et il peut aussi colorer des structures amorphes, comme les verres. Le cuivre existe sous plusieurs états d’oxydation, Cu (II), Cu (I) et Cu (0) mais c’est l’ion Cu2+ (3d9 ) qui joue le rôle de chromophore, car son orbitale électronique est incomplète. La couleur apportée par la présence du cuivre va dépendre de plusieurs facteurs, tels que la nature des ligands, leur taille et la symétrie du site d’insertion du métal.
Colorations dues au transfert de charge métal-ligand
En plus des transitions d-d intervenant au niveau du cation métallique, il existe des « mouvements électroniques » d’amplitude plus grande pour lesquels un électron de valence d’un atome peut temporairement occuper une orbitale vide d’un autre atome. Le transfert est provoqué par une excitation lumineuse. Les orbitales du cation peuvent se combiner à celles des ligands pour former des Orbitales Moléculaires (OM) (Figure II-2). Les orbitales de valence ont une énergie qui dépend en première approximation de l’électronégativité des atomes [Jolivet, 1995], donc celles du métal ont en général une énergie supérieure à celles des ligands. Il en résulte que, quand les orbitales se combinent, les OM liantes, de plus basse énergie, ont le caractère marqué d’orbitales des ligands (orbitales σ et π, Figure II-2), alors que les orbitales anti-liantes (orbitales π* et σ*, Figure II-2), de plus haute énergie, possèdent le caractère d’orbitale de cation. L’excitation d’électrons depuis un niveau liant ou non liant de basse énergie vers un niveau vide ou partiellement vide d’énergie supérieure s’appelle un transfert de charge [Jolivet, 1995]. cation ligands σ π π∗ σ∗ d π σ Energie Figure II-2 : Schéma simplifié d’un diagramme d’orbitales moléculaires. Les orbitales anti liantes sont notées *. Les flèches indiquent les transitions de charge possibles [Jolivet, 1995] A noter que pour les ions dont la sous couche d possède la configuration d0 ou d10 , (cas du Cu+), la coloration est seulement imputable au transfert de charge. L’absorption due au transfert de charge est cent à mille fois plus intense que celle due aux transitions d-d, parce qu’elle n’est pas soumise aux mêmes règles de sélection et dépend de la covalence de la liaison. Par conséquent, des variations importantes de la couleur peuvent être obtenues avec de très faibles quantités de matière. Une forte électronégativité et une augmentation du pouvoir réducteur du ligand diminuent l’énergie du transfert de charge [Jolivet, 1995] et ont pour conséquence que l’absorption s’observe dans le visible. II.1.3 Colorations dues à la délocalisation électronique La coloration d’un très grand nombre de molécules organiques est due à la présence d’électrons qui peuvent se déplacer à travers un système conjugué de liaisons π (liaisons simples et doubles alternées). Les électrons sont distribués dans des orbitales moléculaires délocalisées sur l’ensemble d’atomes liés [Jolivet, 1995]. L’énergie d’excitation des électrons dans ces orbitales délocalisées peut être induite par l’absorption d’un rayonnement dans le visible.