La représentation des objets géométriques le statut du dessin
Dans son étude de la représentation de l’espace chez l’enfant, Piaget (1948) est parti des études de Luquet (1927) sur le dessin enfantin. On peut même remarquer dans les différentes La représentation des objets géométriques le statut du dessin 18 illustrations précédentes qu’il demandait aux enfants de réaliser les dessins à main levée sans utiliser de règle puisque cela aurait rajouté des difficultés liées à la motricité pour les enfants les plus jeunes. En mathématiques, on entend souvent parler de figure, de dessin, de représentation et d’objet géométrique. Il convient ici de clarifier un peu les choses avant d’aller plus loin.
Le statut du dessin en mathématiques : dessin vs figure
De nombreux didacticiens se sont penchés sur les différences entre figure, dessin et objet mathématique ou plus précisément géométrique. Arsac (1989, p.86) distingue la figure et le dessin de part leur appartenance à deux mondes différents que sont le « monde mathématique » et le « monde sensible » : « Nous distinguerons dans la suite le dessin et la figure, désignant par dessin le dessin concrètement tracé sur une feuille de papier (ou dans le sable pour Archimède) et par figure l’objet mathématique dont le dessin n’est qu’une représentation… Ainsi, la figure est un élément du « monde mathématique » et non du monde sensible. » De son côté, Parzysz (1988, 1989) différencie la figure qui correspond à l’objet géométrique théorique du dessin qui n’en est qu’une représentation parmi toutes celles possibles. En 1994, Laborde et Capponi affinent la différence entre figure et dessin : « En tant qu’entité matérielle sur un support, le dessin peut être considéré comme un signifiant d’un référent théorique (objet d’une théorie géométrique comme celle de la géométrie euclidienne, ou de la géométrie projective). La figure géométrique consiste en l’appariement d’un référent donné à tous ses dessins, elle est alors définie comme l’ensemble des couples formés de deux termes, le premier terme étant le référent, le deuxième étant un des dessins qui le représente; le deuxième terme étant pris dans l’univers de tous les dessins possibles du référent. Le terme figure géométrique renvoie dans cette acception à l’établissement d’une relation entre un objet géométrique et ses représentations possibles. Dans cette approche, les rapports entre un dessin et son référent construits par un sujet, lecteur ou producteur du dessin, constituent le signifié de la figure géométrique associé pour ce sujet. » Ces distinctions entre figure et dessin, nous semblent complémentaires. En effet dans l’enseignement de la géométrie dans l’espace au primaire et au collège les tâches demandées aux élèves portent sur trois types d’objets : – l’objet physique qui vient du monde sensible proposé par Arsac ; – l’objet géométrique qui est un objet mathématique rattaché à une théorie ; – le dessin qui est une représentation soit de l’objet physique, soit de l’objet géométrique. Figure 1.7 – Représentation des relations entre l’objet physique, l’objet géométrique et le dessin (Chaachoua, 1997). Chaachoua (1997) propose un schéma qui permet de visualiser l’ensemble des relations qui existent entre ces trois types d’objets (figure 1.7). Dans le même temps, il dégage aussi trois statuts différents du dessin dans l’enseignement de la géométrie : – le dessin comme objet physique : dans ce cas, il est considéré comme l’objet d’étude ; – le dessin comme modèle d’un objet géométrique : dans ce cas, il est considéré comme le signifiant d’un référent théorique au sens de Laborde et Capponi ; – le dessin comme modèle d’un objet physique, ce qui est particulièrement le cas en primaire avec la représentation des solides qui fait intervenir les axes (1), (2) et (3) de la figure 1.7.
L’utilisation des représentations en géométrie
Tout au long de la scolarité de l’élève et plus particulièrement sur la période allant de l’école primaire au collège, l’utilisation des représentations en géométrie évolue. Les élèves passent ainsi par trois types de géométrie : – la géométrie perceptive dans laquelle le simple fait de voir quelque chose sur un dessin suffit à justifier une affirmation (c’est un losange parce que je le vois) ; – la géométrie instrumentée dans laquelle l’utilisation des instruments permet de justifier son raisonnement (c’est un losange parce que j’ai mesuré les quatre côtés et ils sont de même longueur) ; – la géométrie déductive dans laquelle l’élève utilise les propriétés des figures au travers de démonstrations pour montrer un résultat (c’est un losange car ses diagonales se coupent en leur milieu et sont perpendiculaires). 21 Comme le souligne Parzysz (2006), le passage entre ces différentes géométries est souvent source d’erreur pour les élèves : « [. . . ] bien [que la représentation] constitue une aide précieuse dans les conjectures, elle peut également constituer un obstacle à la démonstration, car “l’évidence de la figure” peut être source de confusion dans l’utilisation des données. » Dans ce contexte, nous allons présenter les paradigmes géométriques de Houdemont et Kuzniak ainsi que l’approche plus cognitive de Duval.
Les trois paradigmes géométriques de Houdemont et Kuzniak
Houdemont et Kuzniak (2006) ont mis en avant trois paradigmes géométriques : – la géométrie naturelle – la géométrie axiomatique naturelle – la géométrie axiomatique
La géométrie naturelle (GI)
La géométrie naturelle (GI) repose sur une première modélisation du réel. Dans cette géométrie, la validation s’appuie sur la confrontation avec le monde sensible, c’est-à-dire le monde physique réel. Elle est donc principalement basée sur la perception et l’utilisation des instruments de géométrie sur les objets. Mithalal (2010) en accord avec Balacheff (1999) considère « qu’il est possible dans GI de substituer à l’action matérielle une action intériorisée, une expérience mentale dans laquelle la référence à l’action matérielle n’est pas moins présente. ». La géométrie naturelle englobe la géométrie perceptive et la géométrie instrumentée et se situe dans l’enseignement sur la période allant du primaire au début du collège. Dans cette géométrie, il n’y a donc pas de formalisation des objets géométriques à proprement parler et la démonstration n’a pas réellement de sens ici puisqu’elle reste basée sur les dessins et non sur les figures.
La géométrie axiomatique naturelle (GII)
La géométrie axiomatique naturelle (GII) repose sur un système axiomatique. Dans cette géométrie, la validation s’appuie sur les propriétés des objets mathématiques et des lois hypothético-déductives. Cette géométrie reste « naturelle » dans le sens où elle est attachée à une référence au réel par opposition à une géométrie purement formelle. Par ailleurs, son axiomatique vise à modéliser les problèmes spatiaux, ce qui la contraint à rester dans le domaine de la géométrie euclidienne.