LA RECHERCHE DE LA PERENNITE CONTRACTUELLE PAR LES PARTIES
L’INADAPTATION DU PRINCIPE D’IMMUTABILITE CONTRACTUELLE A L’OBJECTIF DE PERENNITE CONTRACTUELLE
A l’épreuve du temps (§1) et de la diversité des intérêts (§2), le principe d’immutabilité contractuelle permet difficilement de garantir l’efficacité durable du contrat.
L’IMMUTABILITE DU CONTRAT A L’EPREUVE DU TEMPS
En raison de l’imprévision qu’il introduit dans le contrat, le temps exerce une influence sur sa stabilité (A). Si l’on peut le regretter, il faut néanmoins convenir que ce facteur d’instabilité résulte de l’indifférence dont la durée du contrat a été l’objet lors de la rédaction du Code civil (B). A- L’INFLUENCE DU TEMPS 469. La conception volontariste du temps. La consécration du principe d’immutabilité contractuelle est d’abord à mettre en relation avec la perception du temps que les volontaristes ont. A les suivre, le temps est linéaire et homogène et, par suite, sans influence sur le contrat 470. La prise en compte de l’évolution des circonstances. En effet, loin d’être statique, le temps est influent39 et il ne peut être traversé en toute quiétude40. En effet, si le temps contribue à consolider la relation entre les parties 41, il perturbe également la stabilité d’un contrat42 qui ne peut prétendre résister à l’évolution des circonstances économiques, sociales, politiques, monétaires, commerciales, technologiques 43 et légales44 . 471. L’impossible presentiation contractuelle45. Or, puisque les volontaristes considèrent les parties aptes à maîtriser le temps, celles-ci sont tenues de fixer définitivement le contenu obligationnel de leur contrat dès l’échange des consentements. Or, dès lors que l’on prend conscience de l’influence conséquente exercée par le temps sur le contrat, il n’est plus possible de concevoir que les parties puissent enfermer « dans leurs stipulations, tout l’avenir de leur relation contractuelle » 46 . Parce que « le futur gagé n’est pas nécessairement un futur garanti » 47, le contrat ne peut plus prétendre être un véritable « instrument de maîtrise du futur » . La reconnaissance de l’incomplétude du contrat. En conséquence, l’adaptation du contrat aux évolutions qui le traversent commande de permettre aux parties de le compléter afin de lui permettre de continuer à produire durablement ses effets juridiques. Puisque l’écoulement du temps rend vaine toute tentative d’appropriation du futur, les parties doivent pouvoir procéder à sa réécriture progressive. Autrement dit, parce que le principe d’immutabilité « immobilise toute perspective d’évolution » 49, il doit être remis en cause au nom d’une certaine incomplétude du contrat. Les parties ont d’ailleurs bien conscience de leur incapacité à maîtriser ab initio l’évolution future. Preuve en est l’accroissement des clauses d’adaptation dans les contrats de durée, telles les clauses de force majeure, de hardship ou encore d’indexation50 . Toutefois, si de telles clauses permettent effectivement d’anticiper les risques liés à l’évolution de certaines circonstances51, elles ne sont pas pour autant totalement satisfaisantes. D’abord, s’agissant des clauses automatiques, telles les clauses d’indexation ou les clauses-recettes, leur domaine est restreint52. Ensuite, s’agissant des clauses de hardship, elles requièrent des parties de « prodigieuses qualités d’anticipation » 53 pour pouvoir prévoir un nombre important d’évolutions et faire montre de suffisamment de précision pour éviter tout contentieux relatif à leur future mise en œuvre54 . L’on prend d’autant plus conscience de la nécessité de remettre en cause le principe d’immutabilité que les contrats durables s’accroissent.
LA DURÉE DU CONTRAT
Récemment pris en considération par le droit privé (1), les contrats durables présentent des spécificités qui rejaillissent nécessairement sur leur régime juridique (2). 1- La prise en compte récente des contrats durables par le droit privé 474. L’ignorance traditionnelle des contrats durables. Traditionnellement, la formation et l’extinction du contrat se conçoivent de manière concomitante55. Le contrat n’entretient qu’un rapport très restreint avec le temps. A peine a-t-il pris effet que le contrat s’évanouit déjà56. Il n’apparaît, par suite, pas étonnant que les classifications fondées sur la durée soient absentes du Code civil57. Les législateurs ne se sont guère préoccupés d’élaborer une réglementation générale relative à la durée contractuelle58. Les références à la durée se révèlent ponctuelles59 et ne figurent pas parmi les dispositions de droit commun des contrats60. C’est dire que le « contrat durable » fait traditionnellement figure d’intrus en droit privé61. Il n’est dès lors pas étonnant que la société, présumée de longue durée62, ait échappé à la qualification contractuelle pour adopter celle d’institution63. Alors que le contrat est associé par les volontaristes à la brièveté, l’institution, elle, incarne la durée64. Une dichotomie s’est ainsi naturellement imposée entre la société et le contrat. Alors que les associés ont vocation à rechercher l’efficacité durable de la société et admettent une adaptation permanente de la société à l’évolution de circonstances exogènes, les contractants sont traditionnellement présumés s’engager dans une aventure éphémère et censés s’accommoder du principe d’immutabilité contractuelle65. En réalité, si les volontaristes n’envisagent pas que les parties puissent durablement se lier, c’est parce qu’ils perçoivent le contrat comme le creuset d’intérêts opposés qui empêchent la relation de perdurer66 . Partant, dès lors que l’on prend conscience que le contrat, comme la société, est susceptible de poursuivre un véritable intérêt commun, il devient possible de l’inscrire dans la durée.