LA KINESITHERAPIE L’HISTOIRE D’UN CORPS QUI SE TRACE A L’ENCRE ET A L’ECRAN

LA KINESITHERAPIE L’HISTOIRE D’UN CORPS QUI SE TRACE A L’ENCRE ET A L’ECRAN

La masso-kinésithérapie est un métier manuel, paramédical, où le thérapeute est auprès de son patient et travaille avec lui, afin de lui rendre son autonomie. Étymologiquement, kinésithérapie provient de kinêsis, qui signifie mouvement en grec, et thérapie qui vient du grec therapévô qui signifie soigner, traiter. La masso-kinésithérapie est donc la thérapie par la gestuelle humaine. Le masseur-kinésithérapeute doit restaurer la gestuelle, l’entretenir, ou l’adapter. Masseur-kinésithérapeute est une dénomination française, la plupart des pays utilisent le terme de physiothérapeute. La première guerre mondiale est une période d’institutionnalisation fondatrice pour la physiothérapie et la reconnaissance de son efficacité, en France et dans le reste de l’Europe. La physiothérapie34est l’art de soigner sans médicaments, en utilisant des agents physiques ou naturels. La physiothérapie et la masso-kinésithérapie prennent leurs origines dans la gymnastique suédoise de Pehr Henrik Ling et différentes techniques d’agents physiques, comme l’électrothérapie ou la mécanothérapie. Presque tous les auteurs travaillant sur l’histoire de la physiothérapie ou de la kinésithérapie, Sudmann35 pour les Norvégiens, Raposo Vidal et Fernández Cervantes et Martínez Rodríguez et Sáez Gómez et Chouza Insua et Barcia Seoane pour les Espagnols, Gwyneth36 pour les Anglais et Rémondière pour les Français, travaillant sur l’histoire de la physiothérapie ou la masso-kinésithérapie, reconnaissent Pehr Henrik Ling comme l’un des pères fondateurs de la thérapie par le mouvement, qui va ensuite s’étendre à l’utilisation de techniques qui constitueront la physiothérapie. La principale différence entre les deux terminologies, masseurkinésithérapeute et physiothérapeute, résulte de l’importance donnée à la technique du massage. Alors que la France a préféré associer le terme de massage à la kinésithérapie, d’autres pays ont décidé de le considérer comme une technique de physiothérapie, au même titre que l’électrothérapie et l’hydrothérapie et d’adopter le terme de physiothérapie. L’Espagne, par exemple, a créé le diplôme de physiothérapie, en 1980, par un décret royal et la formation est délivrée à l’Université. Auparavant, les praticiens étaient des assistants en physiothérapie. Les historiens français de la masso-kinésithérapie sont, soit des masseurskinésithérapeutes comme Rémondière37, Monet38 et Macron39, soit des médecins comme Estradère40. Ils ont axé leurs travaux sur les origines de la kinésithérapie et sa scission avec la médecine, sur l’histoire du massage et sur l’évolution juridique de la profession. Ils n’ont pas ou très peu abordé le thème du genre des premiers assistants qui ont pratiqué la physiothérapie. Un courant de recherche anglo-saxon met, pour sa part, l’accent sur le fait que la physiothérapie est, historiquement41 une profession féminine et que cela a eu une influence sur les rapports avec le corps médical42 de sexe plutôt masculin. Hammond43 a travaillé sur l’impact du genre dans la construction de l’identité professionnelle, pendant la deuxième année d’étude de physiothérapie, dans une université en Angleterre. Les médias véhiculent une image plutôt sportive et masculine du physiothérapeute, qui fait fi de la présence de femmes physiothérapeutes. Cette recherche montre qu’il y a un impact non négligeable de la question du genre dans la construction identitaire des étudiants physiothérapeutes. Même si cette question est souvent éludée par les étudiants, Hammond a pu observer les répercussions dans leurs relations à l’université ou dans les milieux cliniques Cette thèse de l’influence du genre sur l’évolution de la physiothérapie est reprise par d’autres chercheurs comme Ottosson. Ses travaux confirment que l’histoire de la physiothérapie prend naissance avec la mécanothérapie et la gymnastique de Ling, et que ces premiers physiothérapeutes ont enseigné aux médecins. Il explique que: « La difficulté à voir l’histoire de la physiothérapie provient, je crois, du fait que ces histoires écrites dans une perspective féministe corroborent si bien notre compréhension de l’histoire de la médecine professionnelle et ses domaines de connaissances connexes. Tout d’abord, la perspective féministe de la physiothérapie en tant que secteur semi-qualifié correspond bien à la grande histoire du monopole de la profession médicale et de l’évolution intellectuelle de la science. Deuxièmement, il convient aussi parfaitement avec l’histoire tout aussi convaincante de médecins de sexe masculin supplantant les connaissances et le travail médical des femmes44 ». (Traduction personnelle) Les femmes ont investi le massage et les techniques de physiothérapie parce que ces pratiques étaient, du point de vue de la société, reconnues comme respectables. Mais cette « dé-masculinisation » a eu un impact négatif sur le métier de physiothérapeute et son développement, car ces femmes travaillaient avec des médecins, qui eux, étaient des hommes.

 Les masseurs-kinésithérapeutes: une prophétie initiale en remaniement

Il est difficile de retracer l’histoire de la masso-kinésithérapie française, sans la remettre dans le contexte du monde de la santé. La création du diplôme d’état de masseurkinésithérapeute date de 1946. Voilà 70 ans que cette profession a vu le jour juridiquement. C’est donc une profession assez récente qui prend ses sources dans des techniques assez populaires comme le massage, la gymnastique et les bains.

Les racines

L’histoire de la masso-kinésithérapie est complexe. Elle prend ses origines dans le massage, la balnéothérapie ainsi que la gymnastique avec les mobilisations articulaires. Le massage, étymologiquement, du grec « massein », de l’hébreu « mashen » et de l’Arabe « mass », signifie presser légèrement. Cette technique est une des plus vieilles thérapies populaires. Elle était très répandue en Grèce et dans la Rome antique. En Occident, pendant de longs siècles la pratique des massages et des exercices physiques est tombée dans l’oubli. C’est Ambroise Paré, père de la chirurgie, qui va réutiliser ces techniques en médecine vers la fin de la Renaissance. Les bains, eux aussi pratiqués chez les Grecs et les Romains pour leurs vertus curatives, sont redécouverts au XVIIIe siècle par les armées françaises. Dans la haute antiquité grecque, Hérédicos de Sélymbre47 a utilisé les exercices physiques comme moyen thérapeutique, après en avoir expérimenté les bienfaits sur lui-même suite à une infirmité. Le massage et les mobilisations des articulations étaient des techniques populaires utilisées par des « rebouteux », en France, dès le Moyen Âge. Puis le massage avec des onguents a été utilisé dans des endroits liés à la prostitution. Ces techniques ont été remarquées par les médecins qui devant certains résultats ont commencé à les utiliser et à les soumettre à des recherches cliniques. Elles ont ensuite permis de produire des thérapeutiques plus codifiées et de former des thérapeutes spécialisés se regroupant en professions paramédicales. Ces techniques sont des pratiques très répandues dans les campagnes françaises des XVII-XVIIIe et XIXe siècles, mais sans théorisation, et avec peu d’écrits sur ces sujets48 . Ceux qui les pratiquaient n’écrivaient pas, soit par analphabétisme, soit par manque de théorie ou pour éviter toute publicité pouvant créer des problèmes avec la loi ou les médecins. Le savoir était transmis oralement, sans support écrit, et obtint la faveur du public, alors qu’il était décrié par les médecins. C’est d’ailleurs en raison de cette nonscientificité que les médecins les dénigraient. Les seuls écrits sur ces techniques émanent du corps médical et de certains textes juridiques. En 1643, la faculté de médecine de Paris reconnaît les étuvistes (ancêtres des balnéothérapeutes) ; en 1789 les infirmières, issus des ordres religieux, existent déjà mais n’ont pas de formation définie .

Les prémices d’une profession

Au début du XIXe50siècle, les médecins n’ont pas pléthore de traitements à proposer aux malades et devant les effets positifs du massage, de la gymnastique et de la balnéothérapie, ils prennent conscience de leur efficacité et décident d’utiliser ces techniques empiriques. La gymnastique jusqu’alors très fortement en lien avec le monde militaire, s’autonomise. En 1840, les sociétés de gymnastique se développent et cette technique entre, en 1845, à l’hôpital de Strasbourg, puis à l’hôpital de Paris en 1847 grâce à Heiser puis Laisne51, tous deux professeurs de gymnastique. La balnéothérapie commence à être utilisée dans les hôpitaux, mais les avis médicaux divergent sur la température optimale de l’eau ainsi que sur les produits à ajouter dans l’eau, en fonction des bienfaits attendus. Le massage est alors une technique employée souvent avec des onguents, fabriqués à l’aide de plantes, et utilisés par les rebouteux ou par les femmes dans les milieux de la prostitution.

La massothérapie

En 1818, Piorry52, médecin Français, conduit les premières recherches sur les effets physiologiques du massage. Piorry utilise le terme de « massement » pour désigner le massage et le terme « kinésithérapie » est utilisé dans le titre d’un ouvrage médical en 184753 : Kinésithérapie ou traitement des maladies par le mouvement selon la méthode Ling. Cet ouvrage fait référence à Ling qui est le fondateur de l’école suédoise basée sur la gymnastique et le massage. Le terme « kinésithérapie » d’usage purement médical existe donc déjà cent ans avant la profession et est associé au massage. Les médecins, en attribuant ces termes « plus scientifiques », s’approprient ces techniques sur lesquelles ils vont mener des recherches. Le Docteur Estradere, dans sa thèse de médecine, en 186354 : Du Massage, son historique, ses manipulations, ses effets physiologiques et thérapeutiques, classe le massage en deux catégories différentes. La première est le « massage hygiénique » qui est censé améliorer, ou entretenir la santé et qui s’adresse au corps en bonne santé. Ce massage doit être effectué par des masseurs professionnels. Le deuxième massage est le « massage thérapeutique » qui demande la présence d’un médecin qui s’adresse aux personnes malades, l’objectif étant curatif. Les médecins commencent à utiliser cette technique populaire, ils étudient ses effets, la classifient, mènent des recherches, des expérimentations et vont même en modifier le vocabulaire. On voit, ici, une médicalisation du massage, qui va être nommé « massothérapie », notamment par le Docteur DujardinBeaumetz55, membre de l’Académie de médecine, en1886. Lucas-Championnière 56 publie en 1889 : Le massage et la mobilisation dans le traitement des fractures. Castex57 écrit en 1891 une Etude clinique et expérimentale sur le massage ou il évoque le « diagnostic massothérapique ». Les médecins veulent que le massage devienne un acte médical, ils créent donc des écoles de massage. La première est ouverte par le Docteur Archambaud58 en 1895. Les médecins et les étudiants en médecine étudient « l’orthopédie manuelle », qui regroupe du massage et du « reboutement médicalisé ». Ces formations sont aussi suivies par des étudiants non médecins. L’examen d’entrée porte sur des notions d’hygiène et d’anatomie. Cette école payante délivre un certificat qui atteste des capacités des étudiants à soigner par le massage, sur prescription médicale uniquement. Le certificat est un document écrit, une preuve de compétence qui contraste avec les pratiques antérieures plus ou moins clandestines. La délivrance de ce certificat a pour objectif d’assujettir la pratique du massage thérapeutique à une commande médicale. Cela assure au corps médical un pouvoir sur ces masseurs, car les médecins forment ces praticiens.

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