La recherche-développement cas particulier de la recherche-action appliquée aux TIC
L‟origine de la recherche-développement revient, comme le précise Guichon (2007: 38) au secteur industriel particulièrement sensible au progrès technologique. Comme le note Latour (2005: 410), la recherche-développement est une méthodologie majoritairement utilisée dans l’industrie. C’est particulièrement le cas du secteur industriel producteur de biens et de services à forte valeur ajoutée, c’est-à-dire présentant des innovations ou des améliorations d’ordre technologique. (Guichon, 2007: 38) Telle qu‟elle la voit Guichon (2006: 8), et nous souscrivons à cette perspective, la caractéristique de la recherche-développement dans le domaine de la DLC consiste à définir un cadre théorique aussi précis que possible pour fixer les axes du développement informatique. Cela signifie que la technologie est au service de la pédagogie et pas l‟inverse, même si les deux domaines s‟enrichissent mutuellement par cette confrontation. En effet, il est important de disposer dès le départ d’une base solide afin de garantir des retours multiples fructueux au cours de la création et après les phases de tests. C’est par conséquent cet ancrage théorique qui garantit l’adéquation de l’environnement d’apprentissage proposé aux objectifs pédagogiques envisagés. Le chercheur-développeur est ainsi lui-même dans un processus actionnel, il mobilise ses connaissances théoriques et les teste au fur et à mesure de l’évolution La recherche-développement cas particulier de la recherche-action appliquée aux TIC de son outil. En revanche, l’aboutissement d’un projet présentant une valeur ajoutée pour l’apprentissage médiatisé d’une langue étrangère est conditionné par la mise en place d’un cadre théorique élaboré dans un aller-retour entre les savoirs mobilisés pour l’action et ceux construits dans l’action. (Guichon, 2006: 8) Il serait erroné de croire, dans le cadre des TIC appliquées à la didactique des langues et cultures, qu’il suffit d’utiliser un outil technique prêt à l’emploi. Le web 2.0., comme l’expliquerons, s’éloigne justement de cette idée technocratique en donnant à l’acteur plus de liberté qui permet une réelle créativité. On peut dès lors distinguer plusieurs phases de développement. Guichon propose 7 étapes fondamentales (figure suivante). En réalité, et c‟était également le cas de cette recherche, les va-et vient entre l‟exploration et le questionnement de départ, entre la problématisation et l‟exploration, entre l‟analyse des informations et la construction de la version du prototype, entre l‟analyse des informations et les évaluations intermédiaires, peuvent être fréquentes et de nature répétitive comme le présente le schéma suivant. Figure 2-1. Les étapes d’une recherche-développement selon Guichon (2006: 8), schéma inspiré de Quivy et Van Campenhoudt (1995: 36)
Chercheur-développeur multimédia et praticien réflexif
Il est intéressant de remarquer comment le fait de mener une recherchedéveloppement change un didacticien et à quels risques il l‟expose. Le découragement et l‟enfermement peuvent en être des conséquences, mais de l‟autre côté une culture technique enrichissante est acquise (Guichon, 2006: 21). Étape 1 Question de départ Étape 2 – Exploration Lectures Analyse de l‟existant Analyse du contexte et définition des besoins Étape 3 – Problématisation Étape 4 – Construction du scénario et de la version prototype Étape 5 – Évaluation intermédiaire Étape 6 – Analyse des informations Étape 7 – Finalisation de la réalisation 197 Le cas de la mise en place d‟un blogue, un des outils du Web 2.0, met le chercheur en situation particulière. Une partie du travail informatique a été déjà réalisée par la communauté de concepteurs et d‟utilisateurs avancés. La prise en main d‟un modèle neutre tout prêt à utiliser ne nécessite qu‟une conception de la médiation adéquate aux objectifs et l‟arrangement sur la page d‟accueil des outils intégrés par défaut. Une approche prévoyant des adaptations et une extension du modèle expose le chercheur à la confrontation des problèmes relevant de l‟ergonomie, du graphisme, du développement informatique. Dans les deux cas le questionnement par rapport à l‟ensemble du dispositif et la méthodologie d‟enseignement/d‟apprentissage qu‟il souhaite proposer (apprentissage autonome, semi-autonome, en paires ou un apprentissage collaboratif) s‟impose inévitablement. Dans les deux cas, également, une excellente maîtrise fonctionnelle des possibilités et des limites technologiques de l‟outil devrait contribuer à une réflexion pédagogique et se traduire en médiation exploitant pleinement le potentiel du dispositif conçu. Nous partageons le point de vue de Guichon (2006: 26), selon qui l‟immersion dans les actions de développement informatique modifie l‟éventail de compétences de l‟enseignant et la façon dont il envisage l‟enseignement. Ainsi, un projet de conception provoque une reconfiguration des compétences, en génère de nouvelles et, dans tous les cas, amène à une complexification du métier d’enseignant de langue. (Guichon, 2006: 26) Le chercheur-concepteur ou l’enseignant de langues qui se lance dans cette aventure technologique n’a pas besoin de devenir un technicien pointu, ce n’est pas son rôle. Cependant, grâce à cette entrée TIC, il s’engage dans une réflexion double, sur les TIC et sur l’apprentissage avec les TIC. Il ne s’agit pas de transformer l’enseignant de langues en spécialiste de technologie ni, moins encore, en informaticien. Il est plutôt question, dans une logique de formation ou de requalification, de donner l’occasion de construire des « savoirs d’action » (Barbier, 1996), c’est-à-dire de confronter la théorie à la pratique par l’entremise d’un projet de conception multimédia. Ce processus de recherche-développement devrait fournir l’opportunité de repenser la technologie, de se l’approprier, et, par un choc en retour, d’envisager autrement l’apprentissage des langues.
Recherche-développement contextualisée ou recherche-développement sectorielle?
Une autre question qui se pose par rapport à une recherche intégrant un projet de conception du dispositif numérique est celle de son paradigme dans l‟ensemble de la recherche en DLC. Comme le dit Guichon (2006: 23) elle emprunte « à l’appareil théorique de la recherche-action les notions d’utilité sociale et de confrontation avec le réel tandis qu’elle recourt à la notion de processus rationalisé propre à la recherche-développement ». Il nous semble qu‟il n‟y a pas de conflit, mais plutôt une grande complémentarité – contrairement à ce que suggère Guichon lorsqu‟il parle de « l’opposition entre pratique et recherche » et propose le terme de recherchedéveloppement contextualisé (Guichon, 2006: 23) pour la dépasser. Le terme « contextualisée », selon nous, signifie pour Guichon un rétrécissement temporaire du cadre de conception imposé par l‟institution précise, le public précis et leurs besoins éducationnels. Cette limitation temporaire permettant de concevoir un dispositif utile dans un seul contexte serait une épreuve à court terme si une réflexion théorisante et des ajustements confrontant les résultats acquis au cadre théorique admis n‟étaient pas envisagés après une période de tests. Ainsi se fait la sortie du contexte et la réflexion sur l‟utilité de cette recherche spécifique pour d‟autres terrains et l‟ensemble de la recherche-développement en DLC. (…) une recherche contextualisée ne prend tout son sens que lors de sa décontextualisation et que le praticien n’est réellement réflexif, pour reprendre les termes de Schön (1994), qu’au terme d’un cycle entier de conception. (Guichon, 2006: 26) Nous pourrions nous demander si au lieu d‟employer le terme de recherchedéveloppement contextualisée, il ne serait pas justifié d‟employer le terme de recherche-développement sectorielle. Même si ce dernier terme pourrait suggérer l‟existence évidente des frontières entre certains secteurs éducatifs (et de ce fait l‟enfermement des dispositifs conçus), alors que de vraies frontières se précisent avec les besoins d‟un groupe spécifique de destinataires du dispositif, même à l‟intérieur d‟un secteur, il fait peut être plus rapidement comprendre que le recours au cadre théorique, à la conception et à la conceptualisation mais surtout à la généralisation des résultats de la recherche ne pourra se faire que dans l‟étendue du secteur donné. Cette distinction renvoie à une discussion pertinente sur les notions de ressource et de médiation. En effet, à l‟époque où l‟accès aux ressources – documents authentiques devenait universel, la discussion sur le sens de ces termes est devenue urgente. Nous nous y référerons également dans la suite de notre réflexion. Notre méthodologie de conception converge avec la méthodologie de conception décrite par Guichon (2006) au niveau des phases de processus, c„est pourquoi il nous sera possible de la décrire avec les mêmes termes. Cependant, elle s‟en distingue au niveau du secteur couvert par la recherche-développement et, par conséquence, au niveau de plusieurs éléments concernant les dispositifs conçus. Le tableau 2.1 illustre quelques oppositions principales entre les dispositifs conçus. Cependant, le retour réflexif après la conception de ces deux dispositifs, aux savoirs rassemblés avant cette action de conception et au cours d‟elle, permettrait une réelle confrontation des apports de l‟ensemble de ces deux recherches-développement. Il reste à présupposer que certaines généralisations pourraient être faites et rester valables pour l‟ensemble de la recherche-développement, d‟autres par contre ne seraient exploitables que dans un contexte ou un secteur précis. Des théories concernant l‟apprentissage individuel et celles concernant l‟apprentissage collaboratif s‟exprimeront autrement au cours de la recherche prenant en compte l‟apprentissage instrumenté du dispositif numérique local et au cours de la recherche prenant en compte l‟apprentissage instrumenté d‟un dispositif numérique en réseaux, intégré à la plateforme globale du Web 2.0. Il ne serait pourtant pas impossible de voir ce que l‟une recherche apporte à l‟autre et comment les deux font avancer l‟ensemble de la recherche-développement.