L’exil un phénomène en quête de communication.
Les études de communication ont remarqué que la mondialisation a généré un renouveau de ses objets : les messages étant transmis plus facilement ceux-ci entraînent de nouveaux usages et pratiques des médias172, mais la mondialisation vient également renouveler les études des rencontres interculturelles173 et des partages mondiaux. Notre objet de recherche est dépendant de la généralisation des déplacements de population au cours du XXe siècle et de son caractère croissant dans le XXIe siècle. Nous souhaitons placer ces déplacements au cœur de notre recherche, puisque comme le note Paul Rasse, ils deviennent un enjeu de compréhension du contemporain. L’homme voyage comme jamais auparavant, même quand il reste immobile, et cela conduit aussi à stimuler de vrais déplacements en voiture, en avion, en quête de l’autre, pour des rencontres de courte durée, mais toujours fortes et stimulantes. Les affiliations en communautés sont momentanées ; l’homme libre écartelé, à l’identité incertaine, fragmentée, passe de l’une à l’autre, avant de poursuivre sa course solitaire.À la lecture de cet extrait, il est possible de se demander si l’exilé se déplace de la même façon que le voyageur, si l’on lui ôte sa dimension pathétique. En effet, l’exilé rencontre l’autre, mais cette rencontre s’installe dans la durée. Peut-être même que l’exilé ne s’installe dans une fixité désirée uniquement lorsqu’il ne rencontre plus l’autre, mais le découvre comme un « même ». En outre, l’exil génère également des affiliations en communautés et expose l’individu qui en est acteur à une « identité incertaine », s’exprimant, au minimum, par une définition de soi duelle entre le territoire d’origine et celui d’arrivée. Enfin, l’exilé semble également être celui qui poursuit sa route en tant que solitaire, mais l’exil n’est-il pas un mouvement qui cherche à refonder une communauté et donc à fuir la solitude ? Ainsi l’exil est-il un voyage paroxystique, ou expose l’individu à une situation différente ? L’ensemble de ces questionnements montre qu’avant de pouvoir étudier des exils spécifiques, il faut revenir sur la définition même que nous attribuons à ce vocable, définition qui permettra de stabiliser notre objet d’enquête, mais également d’éclairer la position spécifique qu’occupe l’exilé dans la mondialisation des déplacements. Devenant mondialisé, l’exil acquiert une dimension polysémique175 décrivant des parcours tels que celui de l’apatride fuyant la guerre, ou de l’expatrié176 choisissant de réaliser son ascension économique dans un autre pays. Ainsi, comme le note Kołakowski, l’exil en recouvrant une pluralité de destins tend à perdre son caractère marquant d’une expérience singulière et se distingue, dès la guerre froide, de sa définition antique.
Du stéréotype au prototype : la relation de l’exilé avec les membres de la communauté rejointe
Selon nous, si l’exil se distingue du voyage c’est en partie parce qu’il suppose une installation dans le pays d’arrivée, aussi l’exil implique la mise en place d’une relation avec la communauté d’accueil. Afin de spécifier notre étude sur l’ethos exilique et la relation avec le public de la communauté rejointe, il faut, selon nous, revenir sur la position communicationnelle singulière qu’occupe l’étranger au sein de la scène communicationnelle. Notre conduisons notre travail en lien avec les chercheurs de l’École de Chicago qui ont souhaité s’interroger sur la figure de l’étranger et la position singulière qu’il habite. Nous ouvrons notre travail sur la définition de la place de l’exilé dans la communauté française par l’évocation du texte de G. Simmel « Digressions sur l’Étranger » 185. Il fait reposer la condition d’étranger non pas tant sur un rapport territorial, que sur un rapport relationnel fait de distances et de proximités au sein du groupe rejoint. Les relations spatiales ne sont que la condition, d’une part, et le symbole, d’autre part, des relations humaines. Ainsi, l’étranger dont nous parlons ici n’est pas ce personnage qu’on a souvent décrit dans le passé, le voyageur qui arrive un jour et repart le lendemain, mais plutôt la personne arrivée aujourd’hui et qui restera demain, le voyageur potentiel en quelque sorte : bien qu’il n’ait pas poursuivi son chemin, il n’a pas tout à fait abandonné la liberté d’aller et venir. Il est attaché à un groupe spatialement déterminé ou à un groupe dont les limites évoquent des limites spatiales, mais sa position dans le groupe est essentiellement déterminée par le fait qu’il ne fait pas partie de ce groupe depuis le début, qu’il y a introduit des caractéristiques qui ne lui sont pas propres et qui ne peuvent pas l’être.186 En distinguant l’étranger du voyageur, Simmel introduit une distinction que nous faisons nôtre dans cette thèse. En effet, en étudiant le voyageur nous serions conduits à nous intéresser aux relations faites d’exotismes et de découvertes de l’autre, au contraire, notre recherche sur l’exil entend s’intéresser à l’habitabilité et à la mise en place d’une relation durable avec les membres de la communauté rejointe. Ainsi, la relation et la position vis-à-vis du groupe rejoint ne sont pas les mêmes de l’instant de la rencontre à l’installation dans une relation ayant pour but de créer un partage. La position dans le groupe devient alors un objet de négociations pour que l’extériorité ne soit pas un facteur d’exclusion, mais permette une intégration spécifique. C’est d’ailleurs selon cette distinction que nous parlons d’auteurs exiliques et non de participants à la littérature migrante. Comme le remarque Alexis Nouss187, une analyse linguistique permet d’opérer la différence entre le migrant et l’exilé. Si le participe présent marque une action toujours en cours, le migrant est toujours en migration, l’usage du participe passé pour définir l’exilé, quant à lui, démontre que le mouvement s’arrête pour s’installer dans une habitation particulière. Notre thèse entend s’intéresser à l’installation, plus qu’au voyage migratoire. La spécificité de l’installation de l’exilé au sein de sa nouvelle société repose, selon Simmel, sur le fait qu’il dispose d’un regard objectif en son sein, il est celui qui n’est pas héritier des valeurs transmises dans la culture et peut donc les observer selon un regard extérieur188. Ce que relève Simmel et qui viendra marquer constamment notre étude est ce rapport de distance-proximité qui marque la position de l’étranger dans sa nouvelle communauté. Si l’étranger est reconnu, contrairement au barbare , il est toujours menacé par une possibilité d’exclusion ou d’effacement de sa singularité.