Modélisation lagrangienne stochastique de la dispersion
Modélisation stochastique de la vitesse du fluide vu Us
Mouvement brownien et équation de Langevin
Comme nous l’avons mentionné au chapitre 2, la turbulence atmosphérique revêt un caractère aléatoire, et sa modélisation par les méthodes lagrangiennes stochastiques est ainsi issue historiquement d’une analogie avec la théorie du mouvement brownien. Cette théorie est originellement basée sur les études du botaniste Brown (1828), qui, en observant la suspension de grains de pollen immergés dans de l’eau, remarque que les grains y sont agités de mouvements très chaotiques et irréguliers. En réalisant de nouvelles expériences sur la suspension d’autres types de particules fines que le pollen, Brown observe que les mouvements chaotiques persistent et déduit ainsi que le phénomène n’est pas du ressort de la biologie mais de la physique. En 1905, Einstein publie une première description mathématique du mouvement brownien basée sur la théorie cinétique de la chaleur (Einstein, 1905). Il établit une équation de diffusion pour les particules browniennes, dans laquelle le coefficient de diffusion est lié au déplacement quadratique moyen. Smoluchowski, par des méthodes différentes, obtient des résultats similaires en 1906 (Von Smoluchowski, 1906). En 1908, Langevin propose une solution alternative à la description du mouvement brownien en considérant le problème d’un point de vue mécanique, selon lequel les trajectoires des particules browniennes sont régies par une équation exprimant le théorème fondamental de la dynamique (Langevin, 1908). Dans l’approche de Langevin, une particule immergée dans un fluide est ainsi soumise à l’effet de deux termes distincts :— un terme déterministe, correspondant à un frottement dynamique −aU(t) associé à la viscosité du fluide environnant, et tendant à immobiliser la particule ; — un terme stochastique, correspondant à une force aléatoire propre au mouvement brownien appelée bruit blanc gaussien et exprimée via une fonction aléatoire ξ(t), qui tend à maintenir en mouvement la particule.
Outils probabilistes
Dans ce paragraphe nous introduisons des concepts mathématiques probabilistes nécessaires à la définition des modèles stochastiques lagrangiens que nous présentons dans la suite de ce chapitre. Processus stochastique : En reprenant la définition donnée par Rodean (1996), un processus stochastique (en temps continu) est par définition un modèle mathématique d’un processus empirique régi par des lois probabilistes. Autrement dit, il représente l’évolution d’une variable aléatoire : dans notre cas, l’évolution temporelle de la variable aléatoire Us. Mathématiquement, ce processus stochastique est défini par la famille des variables aléatoires {Us(t)}t≥0. Densité de probabilité associée à un processus stochastique : Comme l’explique Pope (2000), puisque les Us(t) sont des variables aléatoires, il est impossible de prédire leurs valeurs particulières. En revanche, il est possible d’établir la probabilité qu’un événement tel que A = {Us(t) < 10 m/s}, pour un instant t donné, se réalise par exemple. En suivant ce raisonnement, nous obtenons la probabilité que la vitesse Us(t) se trouve dans un intervalle. Ensuite, par intégration, nous pouvons aboutir à l’estimation de la probabilité que la position des particules se trouve dans un volume donné – ce qui revient à obtenir notre concentration en polluant dans le domaine. Cette information est riche, et représente naturellement bien plus que l’estimation des deux seuls premiers moments de la concentration donnée par l’approche eulérienne RANS, car elle donne, en chaque instant t, la loi de la variable aléatoire Us(t), ce qui permet d’obtenir tous les moments. Dans cette optique probabiliste, nous introduisons ici le formalisme des fonctions de densité de probabilité de variables aléatoires.
Introduction aux méthodes PDF
Lorsque l’on traite de processus stochastiques, il y a basiquement deux manières de voir les choses : soit nous nous intéressons à l’équation vérifiée par toutes les réalisations du processus (équation différentielle stochastique, approche particulaire), soit 46 3.1. Modélisation lagrangienne de la dispersion turbulente nous regardons l’équation satisfaite par la densité de probabilité du processus (équation aux dérivées partielles, approche continue). Le processus {Us(t), Up(t), Xp(t)} est supposé markovien. Moyennant cette hypothèse, et en supposant par ailleurs des particules lourdes, les réalisations de ce processus sont alors modélisées via les équations suivantes : dXp,i = Up,i(t)dt , (3.23a) dUp,i = Us,i − Up,i τp dt + gidt , (3.23b) dUs,i(t) = ai(Xp(t), Us(t), t)dt + bij (Xp(t), Us(t), t)dWj . (3.23c) où les dWj sont des processus de Wiener de moyenne nulle et tels que : hdWi(t)dWj (s)i = δijδ(t − s)dtds (3.24) avec δ(t − s) la fonction δ de Dirac de dimension t −1 . L’équation (3.23c) correspond à l’équation de Fokker-Planck : ∂f ∂t + ∂ ∂xi (Vif) = − ∂ ∂Vi (aif) + ∂ 2 ∂ViVj 1 2 Bijf , (3.25) où f = f(Vs, Vp, x, t) est la densité de probabilité (lagrangienne) associée au processus {Us(t), Up(t), Xp(t)} et B le tenseur b tb. Au sens faible, c’est-à-dire si l’on ne s’intéresse qu’aux statistiques, on peut parler d’équivalence entre les équations de Fokker-Planck et de Langevin (Peirano et al., 2006). Résoudre l’une ou l’autre de ces équations nous apportera la même information. Résumons la situation. La résolution de l’équation de Fokker-Planck nous fournit f(Vs, Vp, x, t). Avec la donnée de cette densité de probabilité, nous avons complètement caractérisé la loi du processus {Us(t), Up(t), Xp(t)}, c’est-à-dire que nous pouvons obtenir toutes les statistiques sur les particules que nous souhaitons. Cependant, dans la pratique, la résolution numérique de l’équation de Fokker-Planck est ardue (Peirano et al., 2006). Il est en fait plus aisé d’estimer numériquement la densité de probabilité f(Vs, Vp, x, t) au travers de la résolution des équations de Langevin. Ceci est possible puisque nous avons vu qu’au sens faible, les équations de Fokker-Planck et de Langevin sont équivalentes. Lorsqu’elles sont résolues, les équations de Langevin ainsi que les autres équations du système (3.23) nous donnent, à chaque instant t et pour chacune des particules, les 47 Chapitre 3. Modélisation lagrangienne stochastique de la dispersion vitesses Us(t), Up(t) et Xp(t). Or, comment, à partir de cette information, retrouver la densité de probabilité du processus {Us(t), Up(t), Xp(t)} ? L’approche numérique proposée se base sur une méthode de Monte-Carlo, c’est-àdire que nous allons simuler un grand nombre N de particules et, à chaque pas de temps, la densité de probabilité discrète fn(Vs, Vp, x, t) pourra être obtenue via l’ensemble des processus stochastiques indépendants que nous aurons simulé : {U(1) s (t), U(1) p (t), X (1) p (t)}, {U(2) s (t), U(2) p (t), X (2) p (t)}, …, {U(N) s (t), U(N) p (t), X (N) p (t)}. fn(Vs, Vp, x, t) sera alors exprimée par : fn(Vs, Vp, x, t) = 1 n X N k=0 δ(Vs − U(k) s (t))δ(Vp − U(k) p (t))δ(x − X (k) p (t)) . (3.26) Plus N sera grand, plus l’erreur commise entre la densité de probabilité discrète fn et la densité de probabilité f solution de l’équation de Fokker-Planck sera faible. Comme nous sommes limités par nos capacités de calcul, il s’agira de trouver un compromis entre nombre de particules simulées et erreur commise. Dans la pratique, nous allons résoudre les équations de Langevin pour chaque particule simulée, et ce à chaque pas de temps. Depuis le début du chapitre, nous avons simplement donné la forme générale de ces équations : il s’agit maintenant d’en expliciter les termes ai et bij . De nombreux modèles ont été développés dans la littérature. Nous commencerons par présenter les modèles à la base de ceux qui sont implémentés dans Code_Saturne. Ces modèles sont issus des travaux de Pope (2000) et de Minier et Peirano (2001), et sont très largement utilisés dans les domaines de la combustion turbulente et des écoulements diphasiques. A notre connaissance, ils n’ont pas été exploités dans le contexte de la dispersion atmosphérique de polluants.