Modélisation des émissions de CO2 du transport pour la création de modèles d’optimisation logistique
A la différence de la plupart des travaux qui cherchent à optimiser la logistique par rapport à un objectif économique, le premier but de ce travail de recherche est de minimiser les émissions de CO2 de la logistique en se focalisant sur le transport de fret, puis d’évaluer l’impact économique des solutions obtenues et de les comparer à l’optimisation économique classique. A cette fin, il est nécessaire de modéliser les émissions des moyens de transport et les coûts logistiques pris en compte afin de construire les modèles d’optimisation. Les transports routiers et ferroviaires sont les deux moyens de transport étudiés dans ce travail du fait de leur importance dans le transport terrestre de marchandise. Au niveau de la modélisation des émissions, il existe actuellement de nombreuses références portant sur les émissions globales liées à ces modes de transport. Cependant, la revue de littérature sur ce sujet laisse entrevoir de nombreuses différences au niveau du calcul des facteurs d’émission entre les méthodologies recensées, ce qui est problématique. En effet, la variance des références amènera une incertitude non négligeable sur les résultats d’optimisation. C’est la raison pour laquelle, dans un premier temps, nous allons modéliser de manière analytique les émissions de CO2 pour obtenir des facteurs d’émissions des camions et des trains qui se conforment au besoin des modèles d’optimisation et de l’évaluation de la performance écologique de la mutualisation. Quant à l’évaluation économique dans le contexte de la grande distribution, plusieurs composantes des coûts logistiques seront considérées, à savoir, le coût du transport, le coût de stockage, le coût de passage du flux par plateforme et le coût d’arrêt d’un véhicule à un point de livraison lors d’une tournée. Les valeurs quantitatives de ces composantes proviennent essentiellement des données fournies par les partenaires des études réelles que nous avons menées pour expérimenter le concept de mutualisation et qui seront développées dans le quatrième et le cinquième chapitre. En tout état de cause, il s’agit donc de coûts réalistes mais confidentiels. Ensuite, nous passerons à la formalisation des nouveaux modèles d’optimisation fondés sur la minimisation des émissions de CO2 liées au transport, car comme nous le soulignerons, la recherche bibliographique montre qu’il n’existe pas encore de modèles d’aide à la décision Modélisation des émissions de CO2 du Modélisation des émissions de CO2 du transport pour la création de modèles d’optimisation logistique Shenle PAN 92 qui visent à concevoir un réseau logistique en minimisant les émissions de transport. Il s’agira donc d’un apport important de ce travail doctoral. Pour ce faire, nous allons d’abord mener une revue de littérature sur la typologie des réseaux et sur les modèles existants qui intègrent le problème du transport dans la conception d’un réseau de distribution. Puis, nous choisirons les modèles les plus adaptés pour formuler le problème. Il nous faudra par la suite intégrer les fonctions d’émissions aux modèles retenus, afin de créer de nouveaux modèles d’optimisation qui viseront à définir des schémas logistiques qui génèrent un minimum de CO2 mais sans mettre en cause le taux de service. Ce chapitre est donc organisé en trois parties. Les deux premières parties identifient et expliquent les méthodologies de modélisation des émissions de CO2 des moyens de transport considérés et les principes d’élaboration des coûts logistiques. La dernière partie définit les modèles d’optimisation utilisés dans ce travail.
Modélisation des émissions de CO2 des moyens de transport de marchandises
Comme nos cas d’application concernent le transport des produits pour la grande distribution en France, le Transport Routier de Marchandises (TRM) et le Transport Ferroviaire de Marchandises (TFM) sont les deux modes de transport pris en compte dans cette thèse, même si le raisonnement peut être transposé à d’autres moyens de transport. Ce choix se base sur deux raisons. Premièrement, la route et le chemin fer sont les deux canaux les plus concernés pour le transport de fret en France, voir les Chapitres 2 et 3. Deuxièmement, le report modal de transport de fret de la route vers les autres modes, et spécialement le ferroviaire, est considéré comme une solution qui rend les transports moins polluants. Cela constitue un autre intérêt de ce travail de recherche. Une fois les moyens déterminés, il faut ensuite connaître leur performance au niveau des émissions de CO2. Dans cette partie, nous allons d’abord illustrer les méthodologies d’estimation des émissions existantes liées aux deux modes de transport afin de montrer la nécessité de modéliser analytiquement les facteurs d’émissions pour répondre aux objectifs de notre recherche.
Méthodologies actuelles pour estimer les émissions de CO2 des transports routiers et ferroviaires
Préalablement, nous précisons que les émissions considérées dans ce travail représentent le CO2 émis directement par les camions dû à la combustion des carburants, ainsi que le CO2 dû à la production d’énergie pour la traction des trains. En effet, du point de vue logistique, ces composantes des émissions sont celles sur lesquelles nous pouvons le plus agir du fait de leur relation importante avec les flux transportés et les schémas de transport retenus. Pour ce genre d’émissions, plusieurs références liées au Transport Routier (TR) et au Transport Ferroviaire (TF) sont disponibles dans la littérature, mais les méthodologies de calcul sous-jacentes sont hétérogènes ce qui les rend les comparaisons difficiles. Deux causes principales expliquent ces différences : l’usage de différentes unités de mesure et la méthodologie d’estimation des émissions. En premier lieu, trois unités sont fréquemment utilisées pour mesurer les émissions des GES ou du CO2 seul : Equivalent carbone (kg éq C) : c’est une unité pour mesurer le PRG (Pouvoir Réchauffant Global) des autres gaz par rapport au CO2. Puisque 1 kg de CO2 contient 0,2727 kg de carbone qui correspond au rapport (masse moléculaire du carbone)/(masse atomique du CO2), donc tout simplement 1 kg CO2 = 0,2727 kg éq C. Pour les autres gaz, par exemple le méthane qui est un GES 23 fois plus puissant que le gaz carbonique, si on prend le CO2 avec le PRG égal à 1 comme référence, alors 1 kg de méthane est égal à 6,2721 kg éq C (soit 23 x 0,2727 kg éq C). Ainsi, on peut avoir une unité identique pour présenter tous les GES. A noter que cette unité est la mesure officielle des émissions de GES, indiqué dans le Bilan Carbone de l’ADEME (Jancovici, 2007), p.11. Equivalent CO2 (kg éq CO2) : l’objectif de cette unité est identique à l’équivalent carbone mais elle est souvent plus utilisée dans l’industrie. La différence est que l’on ne convertit pas les émissions en carbone, mais en CO2. Donc, cette mesure donne des valeurs 3,67 fois supérieures à l’équivalent carbone, en raison du rapport (masse moléculaire du CO2)/(masse atomique du carbone). Emission de CO2 seul (kg CO2) : il s’agit de la quantité de CO2 émise directement. Il ne faut donc pas confondre « l’équivalent CO2 » avec « l’émission de CO2 seul ». Pour souligner cela, prenons l’exemple d’un camion roulant, 1 kg CO2 / km signifie que le camion émet 1 kg de CO2 par km sans tenir compte des autres GES. En revanche, 1 kg éq CO2 / km veut dire que l’ensemble des GES émis par le camion par km est équivalent à 1 kg de CO2. Par contre, si l’on mesure l’ensemble des GES émis par un camion convertis en équivalent CO2, cette valeur est alors supérieure à celle des émissions de CO2 seules. Dans cette thèse, tous les résultats présentés seront mesurés et exprimés en émission de CO2 seul. Outre l’usage des unités de mesure, le choix de la méthodologie est un autre facteur critique pour estimer les émissions. Si l’on examine le cas du TR, comme il s’agit d’un secteur soumis à la pression environnementale, un certain nombre de facteurs d’émissions de GES ou de CO2 sont disponibles. Concrètement, trois types de méthodologies existent pour estimer le facteur d’émissions : l’expérimentation, la statistique fondée sur des bases de données collectées et le calcul analytique. Le Tableau 4.1 recense les différentes méthodologies que nous avons pu identifier dans la littérature. Expérimentation Statistique Calcul analytique Caractéristiques Quantité émise réelle par un véhicule identifié sur un trajet donné Valeur moyenne sur l’ensemble d’un parc de véhicules Calcul basé sur les caractéristiques des différentes motorisations d’après les GuideBooks Inconvénients Expérimentation sur des véhicules particuliers et résultats spécifiques au cas Pas de détail sur l’impact des différents facteurs : condition de conduite, vitesse, chargement… Mise à jour des résultats conformément aux nouvelles motorisations et qui ne prennent pas en compte la performance réelle Références (Graham et al., 2008); NAEI36 (GB); EPA37 (Etats-Unis); (McKinnon, 1999) et (McKinnon et Piecyk, 2009) ; (Zanni et Bristow, 2009) ; Projet TERM (EEA, 2008); Projet Auto-Oil (Commission Européenne, 2000); Bilan Carbone (Jancovici, 2007); (CITEPA, 2010); Projet COPERT 1-4 de l’EEA (EEA, 1998), avec les projets MEET (Hickman et al., 1999), (Jorgensen et Sorenson, 1998) ; COST (Joumard, 1999); EMEP/CORINAIR (EEA, 2007); (Ubeda et al., 2010) Tableau 4.1 : Comparaison des trois méthodes pour déterminer le facteur d’émissions de CO2 liées au transport routier Estimation expérimentale : pour estimer les émissions de CO2 du TR, on peut directement tester la quantité de CO2 rejetée par le véhicule au démarrage. Au niveau 36 National Atmospheric Emissions Inventory : http://www.naei.org.uk/data_warehouse.php 37 United States Environmental Protection Agency : http://www.epa.gov/epahome/data.html Shenle PAN 95 technique, il s’agit de collecter proportionnellement les gaz émis par le puis de déterminer la masse de CO2. Le facteur d’émissions est obtenu en se basant sur de nombreuses expérimentations selon le type de véhicule et la condition de route particulière. C’est la raison pour laquelle les facteurs d’émissions obtenus par les expérimentations sont spécifiques à l’étude de cas et risquent de ne pas être génériques pour les autres catégories de véhicule, malgré le fait qu’ils fournissent des références plus précises que les autres approches. Estimation statistique : de façon différente, les émissions peuvent être estimées par des analyses statistiques sur les données collectées, autrement dit la méthodologie simple dans le GuideBook (EEA, 2007). L’estimation se fonde sur la somme des carburants consommés par des véhicules multipliée par le facteur d’émissions spécifique du polluant comme le CO2 par exemple (McKinnon et Piecyk, 2009). Ainsi, le facteur d’émissions peut être déterminé par les émissions totales divisées par les parcours totaux réalisés par le parc des véhicules sur l’horizon de temps considéré. Par exemple, l’US EPA (United States Environmental Protection Agency) donne un facteur d’émissions de CO2 du transport routier obtenu par les émissions totales nationales en route pour tous types de motorisation en 2005 divisées par les parcours totaux réalisés par le parc des véhicules nationaux à la même période, présenté dans (Gharzouzi et Baptiste, 2010). Il s’agit donc d’une valeur statistique pour tous les véhicules à un niveau national. Ce type de calcul s’appuie souvent sur les données collectées par des enquêtes dont les périmètres sont variables : type de véhicule, ancienneté du parc, chargement, km à vides, etc. Il est donc très difficile de comparer les facteurs obtenus par ce type de méthode, bien qu’ils reflètent correctement une réalité sur leur périmètre.