Modélisation de la rupture fragile par clivage
Dans ce chapitre, on propose de modéliser l’ensemble des éprouvettes du bas de la zone de transition ductile-fragile présélectionnées dans le chapitre (§4) par le modèle statistique de Beremin présenté dans l’étude bibliographique §2). Ce modèle d’approche locale nécessite le calcul de la contrainte de Weibull notée 𝜎𝑤 afin d’évaluer la probabilité de rupture cumulée. Le modèle étant sensible au calcul de cette contrainte, on propose dans une première partie de ce chapitre, une méthodologie d’évaluation de cette contrainte sur une éprouvette donnée. Plusieurs considérations seront détaillées dans cette méthodologie à savoir le dimensionnement des rayons d’entailles, le dimensionnement du maillage et la taille des éléments, le filtrage des contraintes des éléments très déformés et au final le passage 2D/3D par une correction d’épaisseur. Ensuite, cette méthodologie sera appliquée pour évaluer l’effet de géométrie et de température sur 𝜎𝑤. Une corrélation entre la position de la contrainte maximale et le niveau du chargement appliqué est proposée. Cette corrélation est ensuite utilisée pour placer les résultats des observations fractographiques par rapport à la prédiction des simulations. Une discussion sera présentée suite à cette comparaison. Suite aux résultats de l’étude expérimentale (§3.4.3), des effets de géométrie et de température ont été observés sur les valeurs de ténacités dans la zone de transition ductile-fragile. La dernière partie de ce chapitre se concentrera alors à la description de ces deux effets et à l’identification des paramètres du modèle de Beremin. Les deux versions de ce modèle à savoir la version standard et la version modifiée Ruggieri-Beremin présentées dans l’étude bibliographique seront exploitées. On montrera que le modèle de Beremin modifié nous permettra de tenir compte des différences en termes de déformations plastiques observées entre les éprouvettes 𝐶𝑇𝐵 et les éprouvettes 𝑆𝐸𝑁𝑇0.5 et ainsi de fournir une meilleure description de la rupture fragile que le modèle de Beremin de base. Finalement, on étudiera l’effet de la température et du palier de Lüders sur cette identification. Les calculs dans ce chapitre seront effectués dans le Code_Aster avec le modèle de plasticité dont les paramètres ont été identifiés dans le chapitre précédent (§1). On fera le choix d’utiliser les éléments à 5 champs non locaux en formulation logarithmique présentés dans l’étude bibliographique (§2). Ces éléments seront utilisés avec un paramètre non local 𝑐 = 0𝑁 puisque qu’on ne modélisera pas l’endommagement ductile. Néanmoins, le choix de ces éléments est fait dans la perspective de décrire la partie haute de la zone de transition ductile-fragile à partir du couplage de l’endommagement et du clivage dans une étude à venir. 6.1 Méthodologie d’évaluation de la contrainte de Weibull L’évaluation de la contrainte de Weibull nécessite un calcul minutieux du champ de contraintes et de déformations dans la zone de plasticité active devant la fissure. En petites déformations, ces champs sont singuliers et peuvent conduire pratiquement à une dépendance au maillage de la contrainte de Weibull comme expliqué dans l’étude bibliographique (§2.1.7). Cette singularité n’est pas réaliste et devrait disparaitre à cause de l’émoussement de la fissure. Néanmoins, un fort gradient peut encore subsister devant la fissure émoussée ce qui nécessite d’adapter la taille des éléments dans la zone d’élaboration afin de capter ce gradient. La modélisation d’une fissure par une entaille pose le problème du choix du rayon d’entaille initiale qui est un paramètre qui peut influencer les valeurs de la contrainte de Weibull. (McMeeking, 1977) et d’autres ont montré que les champs mécaniques deviennent indépendants du rayon de l’entaille initial considéré lorsque celle-ci est suffisamment émoussée. Autrement dit, au-delà d’un certain chargement, l’effet du rayon d’entaille initiale évoqué sur la contrainte de Weibull disparait. Par conséquent, on propose dans la suite de modéliser la fissure dans les éprouvettes de rupture par une entaille et de ne retenir que les valeurs de la contrainte de Weibull calculées après qu’un émoussement suffisant ait été atteint par l’entaille. Pour simuler une éprouvette qui a une certaine valeur de ténacité, on utilise une entaille initiale qui permet d’atteindre un émoussement suffisant pour que l’indépendance au rayon initial soit établie. Plus précisément, le rayon d’entaille initial proposé devrait s’émousser 5 fois pour que les champs de Modélisation de la rupture fragile par clivage 112 contraintes ne dépendent plus de l’entaille initiale (McMeeking, 1977). Lorsque le rayon choisi ne permet pas de couvrir toutes les valeurs des ténacités de la base expérimentale à cause des problèmes de divergence du calcul, un rayon supplémentaire sera proposé à la base du dernier émoussement atteint. Dans la suite, on détaillera davantage la méthodologie du choix des rayons d’entailles pour simuler un ensemble de valeurs de ténacités, puis on s’intéressera au dimensionnement de la zone de raffinement du maillage et de la taille des éléments dans cette zone. Ensuite, on proposera une comparaison du calcul de la contrainte de Weibull en utilisant les éléments à 5 champs avec les résultats du calcul obtenus en utilisant des éléments classiques quadratiques réduits. Finalement, on présentera deux méthodes qui permettent de filtrer les valeurs de contraintes ainsi qu’une quantification de l’erreur du filtrage. Dans un premier temps, on utilise un modèle de Beremin classique tel présenté dans (§2.1.5). On rappelle les équations de ce modèle : 𝑷𝑓 = 1 − exp (− ( 𝜎𝑤 𝜎𝑢 ) 𝑚 ) ; 𝜎𝑤 = ( 1 𝑉0 ∫ 𝜎eff 𝑚 𝑑𝑉 𝑉𝑝 ) 1 𝑚 ; 𝜎eff(𝒙,𝑡) = max [0,𝑡] 𝜎𝐼(𝒙,𝑡) (6.1) Les paramètres de Beremin utilisés dans cette partie sont : 𝑚 = 20 ; 𝜎𝑢 = 2900 𝑀𝑃𝑎 ; 𝑉0 = (50µ𝑚) 3 (6.2) 6.1.1 Dimensionnement de l’entaille et du maillage Pour une éprouvette donnée, on propose de calculer la contrainte de Weibull qui correspond à une ténacité 𝐾𝐽𝐶 de l’intervalle (𝐾𝐽𝐶𝑚𝑖𝑛;𝐾𝐽𝐶𝑚𝑎𝑥). Afin de déterminer les rayons d’entailles nécessaires, cet intervalle est transformé en son équivalent en termes de 𝐶𝑇𝑂𝐷 i.e. (𝐶𝑇𝑂𝐷𝑚𝑖𝑛; 𝐶𝑇𝑂𝐷𝑚𝑎𝑥) avec : 𝐶𝑇𝑂𝐷 ≝ 2𝑢𝑦 (𝑁𝑜𝑡𝑐ℎ 𝑇𝑖𝑝) (6.3) Figure 76 : Schéma de l’entaille. 𝑢𝑦 est le déplacement d’ouverture du nœud correspondant à la fin de courbure de l’entaille initiale. Selon McMeeking (McMeeking, 1977) les champs de contraintes en pointe de l’entaille ne dépendent plus du rayon initial de l’entaille, lorsque le rayon initial est émoussé au moins 5 fois.
Procédure de Filtrage de la contrainte de Weibull
L’utilisation de la formulation mixte permet de retarder le verrouillage volumique des éléments. Les mailles locales verrouillées produisent des contraintes importantes et perturbent la solution éléments finis dans leur voisinage. Un filtre permet de réduire la contribution de ces éléments dans le calcul de 𝜎𝑤. On propose dans un premier temps de comparer deux stratégies de filtrage des contraintes : un filtrage des contraintes par un critère de déformation plastique et un filtrage par moyenne de la pression par élément. La première stratégie de filtrage consiste à réduire la contribution de la contrainte principale des éléments excessivement déformés dans le calcul de la contrainte de Weibull. On désigne par 𝑓 la fonction définie par : 𝑓(𝑝) = 𝐻(𝑝 − 𝑝𝑐 ) (exp (− 𝑝 − 𝑝𝑐 𝜏 ) − 1) + 1 (6.13) 𝐻 est la fonction classique de Heaviside, 𝑝𝑐 est la déformation plastique seuil, et τ un paramètre qui caractérise la tolérance du filtre : 𝜏 → ∞ signifie que les éléments déformés au-delà de 𝑝𝑐 (Figure 82) ne sont pas inclus dans le calcul de 𝜎𝑤. Le filtre agit sur les valeurs principales du champ de contraintes. La contrainte de Weibull est calculée à partir du champ de contraintes modifié 𝑻̌ : 𝑇I ̌ = 𝑓(𝑝) ∙ 𝑇I 𝜏 = 0.002 et 𝑝𝑐 = 0.2 (6.14) – Figure 82 : Illustration de la fonction 𝑓(𝑝). 𝜏 contrôle la pente de la décroissance au-delà du seuil 𝑝𝑐 La deuxième stratégie consiste à corriger le champ de contrainte dans les points de Gauss par éléments. Cette stratégie est couramment utilisée avec les éléments classiques. En effet, dans un élément verrouillé, les contraintes hydrostatiques fluctuent significativement d’un point de Gauss à un autre. On propose donc de remplacer la pression aux points de Gauss par la pression moyenne de l’élément. Autrement dit, pour un point de Gauss donné, le champ de contraintes devient : 𝑻̅ = 𝑻𝑫 + 𝑰〈𝑇𝐻〉|𝑒𝑙𝑒𝑚 〈𝑇𝐻〉|𝑒𝑙𝑒𝑚 = 𝑇𝐻 (1) + 𝑇𝐻 (2) + 𝑇𝐻 (3) + 𝑇𝐻 (4) 4 (6.15) 𝑻𝑫 est le déviateur de la contrainte 𝑻, et 𝑇𝐻 (𝑖) est la contrainte hydrostatique du (𝑖 è𝑚𝑒) point de Gauss donnée par : 𝑇𝐻 (𝑖) = 1 3 𝑡𝑟(𝑻 (𝑖) ) (6.16) 119 Ces deux méthodes de filtrage sont appliquées à l’éprouvette 𝐶𝑇12.5 à −100°𝐶. Dans la Figure 83 on compare les résultats de ces deux filtres avec le calcul sans filtre. Cette comparaison montre que le filtrage basé sur la fonction 𝑓 produit de meilleurs résultats pour les éléments 5champs aussi bien que pour les éléments classiques en termes de régularité de la contrainte de Weibull. Ce filtre n’a aucun effet avant le début du verrouillage. En revanche, le filtrage basé sur la technique de la moyenne donnée par l’équation (6.15) produit des résultats meilleurs pour les éléments classiques. Ce filtre n’est pas adapté aux éléments à 5 champs qui traitent intrinsèquement le verrouillage volumique. Les fortes contraintes calculées sont donc attribuées aux déformations excessives des éléments. On note que les courbes 𝜎𝑤(𝑻̅ ) et 𝜎𝑤(𝑻̌) se superposent (Erreur relative Δ𝜎𝑤/𝜎𝑤 = 0.1%) pour ces éléments. L’utilisation des éléments à 5 champs avec le filtre basé sur la fonction 𝑓 semble être le plus adapté. Par ailleurs, 𝜎𝑤(𝑻̅) calculé avec les éléments classiques semble être identique à 𝜎𝑤(𝑻̌) calculée avec les éléments à 5 champs.