Le modèle DHIVINE
I Pour évaluer les impacts hydrologiques des pratiques, on cherche à modéliser dynamiquement les actions culturales spatialement distribuées sur un bassin versant qui contribuent à modier soit l’inltrabilité du sol, soit la concentration en matières actives au sol. Cette partie présente le modèle qui a pour vocation de simuler le calendrier des actions culturales qui aectent les propriétés de ces deux variables (inltrabilité, concentration en pesticides) pour chaque parcelle de la zone étudiée. L’étude des processus de gestion technique de la partie précédente montre que la répartition spatio-temporelle des opérations auxquelles on s’intéresse dépend de la quasi totalité des actions culturales réalisées au cours d’un cycle. La conceptualisation de la conduite technique utilisée pour l’étude montre que les processus qui conduisent à la réalisation des actions peuvent être exprimés par un ensemble structuré de variables et de règles pour l’action. On a pu voir que ces variables/règles ont des modalités diérentes selon les exploitations en fonction des méthodes de mise en oeuvre des objectifs. De plus, elles sont dépendantes d’indicateurs dynamiques (e.g. état des parcelles : stade phénologique, humidité du sol pour le travail ; avancement de travaux ; climat ; etc.). Elles s’appliquent aux parcelles regroupées en lot, qui constituent alors des unités de gestion, suivant leurs caractéristiques permanentes ou temporaires. Finalement, elles mettent en jeu les ressources de l’exploitation. Par conséquent, pour étudier l’eet des opérations culturales, il faut mobiliser un modèle de conduite technique d’exploitation capable de simuler temporellement et spatialement des actions de plusieurs exploitations, selon des plans d’action variables entre exploitations qui se réalisent dynamiquement sous contraintes de facteurs extérieurs incontrôlables et en fonction des ressources de l’exploitation. On se situe dans une approche systémique : l’exploitation étant un système incluant au moins un système biophysique, un système de décision et un système opérant qui exécute les décisions en mobilisant les ressources. De nombreux modèles décisionnels de simulation de système de production agricole ont été développés dans les quinze dernières années (e.g. McCown et al., 2002 ; Chatelin et al., 2005). Cependant ces modèles font souvent abstraction des aspects spatiaux, temporels ou de gestion des ressources (Garcia et al., 2005) ou ils ne traitent que des niveaux stratégiques des systèmes de production (Martin-Clouaire et Rellier, 2003). Les formalismes les plus adaptés à la représentation des processus impliqués dans la conduite technique des exploitations agricoles se situent dans le champ de l’intelligence articielle. On y trouve la modélisation d’agents 87 88 Chapitre 3 : Le modèle DHIVINE intelligents opérant dans un environnement dynamique et partiellement imprévisible ainsi que des langages pour exprimer une organisation procédurale des actions (e.g. De Giacomo et al., 2000 ; Woolbridge, 2002 ; Morley et Myers, 2004 ; Smith et al., 2005). Cependant, ces langages ne permettent pas à ce jour de gérer des raisonnements temporels sur des actions concurrentes en environnement incertain (Garcia et al., 2005 ; Martin-Clouaire et Rellier, 2006). Par conséquent, parmi les moyens actuels, trois outils ont semblé pouvoir répondre à nos besoins de modélisation : le modèle OTELO (Attonaty et al., 1993), l’environnement de modélisation DIESE (Martin-Clouaire et Rellier, 2009) et un environnement de modélisation développé par Guerrin (2009). Le modèle OTELO (Organisation du Travail Et Langage à Objets) est un simulateur pour raisonner l’organisation du travail dans l’exploitation agricole. Le cadre de représentation du modèle s’appuie largement sur le modèle conceptuel pour l’action : les actions simulées dépendent des règles de constitution des chantiers, des règles d’enchaînement et des règles d’arbitrage 1 dénies par périodes. Un test du modèle pour notre cas d’étude a révélé que son orientation pour l’organisation du travail et sa fonction d’outil d’aide à la décision dans un processus d’échange avec un agriculteur ne permettait pas de fournir un cadre de modélisation adéquat. En eet, OTELO a été construit pour simuler une exploitation à la fois, il est adapté pour les grandes cultures et pour répondre à des questions d’organisation du travail se posant sur des périodes temporelles limitées (par exemple, le semis de blé). Par conséquent, l’expression des règles, bien que reposant sur un vocabulaire et une grammaire, est fastidieuse et insusamment riche pour une situation de modélisation de plusieurs exploitations et les moyens pour dénir dynamiquement les lots de parcelles tout au long du cycle sont limités car la représentation du système biophysique est extrêmement simpliée voire absente. Les environnements de modélisation dédiées à la simulation des actions agricoles se sont donc avérées plus adaptées à nos besoins de représentation de la conduite technique de l’exploitation. L’environnement de modélisation proposé par Guerrin (2009) est particulièrement adapté aux systèmes dont la dynamique s’exprime par des équations diérentielles (par exemple pour des gestion de stocks), ce qui n’est pas notre cas. De plus des travaux de modélisation des systèmes viticoles avaient été initiés sous DIESE (Ripoche et al., 2009), c’est donc l’outil qui a été choisi pour le développement du modèle pour l’action. Une présentation de l’environnement est eectuée dans la partie suivante avant de présenter le modèle DHIVINE produit dans le cadre de la thèse.
Le système de production agricole dans DIESE
Le système de production agricole (gure 3.1) peut être caractérisé d’un point de vue systémique comme composé de trois sous-systèmes : le pilote, le système opérant et l’appareil producteur ou système biophysique. Le système est situé dans un environnement incluant, en particulier, le contexte climatique. Avant de présenter plus en détail les trois sous-systèmes on dénit les trois concepts fondamentaux de l’ontologie de DIESE qui seront évoqués par la suite : les entités, les processus et les évènements. Ils représentent les aspects structurel, fonctionnel et dynamique du système de production. Une entité décrit un objet (e.g. une plante), éventuellement abstrait, dans le domaine d’intérêt. L’état du système à un moment donné est la valeur des propriétés (attributs, héritages, associations) des entités qu’il inclut (e.g. le stade phénologique des plantes). Un processus est la spécication d’une partie du comportement du système, c’est-à-dire des entités qu’il inclut (e.g. le processus de développement phénologique des plantes). Typiquement, le processus spéciant ce comportement inclut l’utilisation de méthodes attachées aux entités aectées par le processus. Un processus provoque un changement d’état quand un évènement particulier arrive. Par conséquent, les évènements contrôlent la temporalité des processus (e.g. l’évènement 90 Chapitre 3 : Le modèle DHIVINE d’élévation de la température de l’air). Pour chaque modèle, on xe la longueur de l’unité atomique d’horloge. C’est la durée du plus petit intervalle de temps identiable et manipulable par le modèle. Toutes les durées sont un nombre entier d’unités atomiques d’horloge. L’appareil producteur est composé d’entités biophysiques (e.g. des plantes dans un milieu physique) qui ont leurs propres processus (e.g. photosynthèse, dynamique du micro-climat). Parmi les événements contrôlant ces processus se trouvent ceux résultant des opérations exécutées par le système opérant. Les entrées sont des intrants tels que les produits fertilisants introduits par le système opérant et l’énergie apportée par l’environnement ou le système opérant. Les processus biophysiques peuvent générer des événements déclenchés par des changements notables de l’état du système. L’appareil producteur est généralement équipé de capteurs et de dispositifs d’alarmes qui génèrent des informations exploitées par d’autres systèmes. Figure 3.1 Système de production agricole (exemple d’une production sous serre) Le pilote, ici le chef de culture, est responsable de la réalisation des objectifs de production. A cet eet, il possède une stratégie de conduite (voir paragraphe suivant) qui contraint la détermination des actions exécutées par le système opérant et oriente ainsi indirectement le comportement de l’appareil producteur. La stratégie de conduite spécie la façon exible d’organiser les activités, les adaptations qu’elle doit subir lorsque certains événements se produisent, et les principes à respecter par le système opérant pour établir précisément les actions à exécuter. Elle dénit aussi le rythme auquel le pilote doit l’examiner. Les processus attachés au pilote portent sur : la surveillance de l’occurrence d’événements décisifs et l’inspection de l’appareil producteur sur les aspects importants pour la conduite ; la révision de la stratégie dans des situations connues pour l’exiger ; la mise à jour des activités en fonction de l’avancée du temps et des changements survenus ; l’extraction par lecture de la stratégie des jeux d’activités (ensembles d’actions) candidats à exécution et la sollicitation du système opérant pour qu’il traite ces jeux. Ces processus sont activés soit à des dates programmées à l’avance soit en réponse à des alarmes réclamant un traitement immédiat. En plus d’avoir accès aux données issues des capteurs des autres systèmes, le pilote a accès à certaines informations sur les autres systèmes à partir desquelles il synthétise des indicateurs pertinents pour ses décisions. Le système opérant est en charge de la transformation des jeux d’activités candidats en un jeu complètement déterminé d’activités exécutables qui nécessite l’allocation de ressources
La représentation de la stratégie de conduite
Pour les aspects de pilotage (gure 3.2), l’ontologie dénit des particularisations des concepts d’entité, de processus et d’évènement. L’unité basique est l’activité. Dans sa forme la plus simple, une activité, appelée alors activité primitive, est une spécialisation d’une entité. Elle spécie quelque chose à faire sur une entité biophysique (par exemple une plante ou une parcelle) par un exécutant (un ouvrier, un robot ou un ensemble de ces entités). Une activité primitive est caractérisée par des conditions d’ouverture et de fermeture, dénies par des fenêtres temporelles et/ou des prédicats (fonctions booléennes) qui se réfèrent à des états biophysiques ou des indicateurs. Ces contraintes servent (avec d’autres) à déterminer les activités potentiellement exécutables ou à ne plus considérer. Le quelque chose à faire de l’activité primitive est une transformation intentionnelle appelée opération (e.g. la plantation). Le changement d’état, étape par étape du système biophysique au fur et à mesure que les opérations sont réalisées, constitue un attribut fonctionnel des opérations. Le changement causé par une opération peut être instantané ou se réaliser progressivement selon une vitesse d’exécution (le nombre d’objets ou de surface pouvant être traité dans une unité de temps). L’exécution d’une opération est contrainte par des conditions de faisabilité en relation avec l’état du système biophysique. Les activités peuvent ensuite faire l’objet de contraintes supplémentaires en utilisant des structures de programmation spéciant des relations temporelles, des itérations, des aggrégations et des exécutions optionnelles. Ces contraintes sont exprimées par des opérateurs, qui, 92 Chapitre 3 : Le modèle DHIVINE appliqués à des activités, donnent naissance à d’autres activités : les activités non primitives. Les opérateurs principaux sont : and, or, before, iterate, optional, co-start, meet, overlap. Toutes les activités sont ainsi connectées par ces opérateurs ; la seule activité qui n’a pas d’activité d’un niveau plus élevé (activité mère) est le plan nominal. Il est possible qu’il faille spécier pour un plan nominal des incompatibilités entre activités qui ne peuvent pas être exécutées simultanément (contraintes sur les engagements conjoints). Si plusieurs jeux d’activités sont candidats à l’exécution, du fait des restrictions sur l’utilisation des ressources, tout jeu ne pouvant être alloué complètement est remplacé par un ensemble de jeux contenant moins d’activités. Le choix du jeu le plus approprié se fait sur la base de règles de préférence qui représentent des critères divers basés, par exemple, sur des motivations de continuité dans l’exécution, sur des considérations de rentabilité ou encore d’urgence. Finalement, des adaptations de la stratégie sont possible via les ajustements conditionnels. La conséquence d’un ajustement conditionnel peut être n’importe quel changement sur le plan nominal (suppression ou insertion d’activités), sur les ressources à utiliser dans l’exécution de certaines activités, sur les règles opératoires attachées à une opération ou encore sur les ajustements conditionnels eux-mêmes. Son déclencheur est soit un prédicat temporel qui devient vrai dès qu’une date de référence est atteinte soit une condition relative à un état qui est satisfaite quand l’état courant correspond à la situation décrite par la condition. Figure
Composants du pilote et principales références aux autres sous-systèmes
Au niveau opérationnel, une stratégie décrit donc de manière à la fois déclarative et procédurale le comportement que les exécutants doivent avoir pour atteindre les objectifs selon la projection du pilote. Une stratégie, plus spéciquement son plan nominal, n’est pas simplement une séquence d’activités complètement spéciée à l’avance comme cela est supposé dans beaucoup de modèles de systèmes de production agricole. Lors de sa construction, la stratégie doit rester assez abstraite sur quelles opérations doivent être exécutées à un instant donné, et sur quelles entités précises elles doivent porter. La programmation des opérations dépend des conditions spéciques rencontrées au moment où l’exécution est envisagée. Il est impossible de dire à l’avance quand une opération sera exécutée, avec quelle durée et en parallèle avec quelles autres opérations. Les objets transformés par les opérations n’apparaissent pour certains qu’en cours d’exécution d’une stratégie. La partie de la stratégie correspondant à l’instant courant doit alors être expansée jusqu’à ce que soit complètement déterminé ce qu’il convient d’exécuter et comment ; c’est l’essence de la procédure d’interprétation présentée dans le paragraphe suivant.