La mondialisation des tâches informatiques
Délocalisation informatique
La mondialisation touche aujourd’hui l’ensemble des domaines de l’informatique. Les raisons à cela ne sont guère différentes de celles qui poussent les autres secteurs de la production à délocaliser : produire plus à budget constant, voire à budget réduit, produire plus rapidement pour arriver les premiers ou au meilleur moment sur les marchés les plus profitables, saisir les occasions sur des marchés toujours plus éphémères. Ces critères valent particulièrement pour la production du matériel informatique, des ordinateurs, des cartes informatiques et plus généralement de tous les matériels électroniques. La mondialisation des tâches informatiques Conduite de projets informatiques offshore 8 Plus personne aujourd’hui ne considère que cette production délocalisée est de qualité inférieure. Les plus grandes marques, jouissant de la meilleure réputation de fiabilité et de qualité, fabriquent en grande partie leurs matériels dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère. Dans ce domaine du matériel informatique, la concurrence est telle que les marges font l’objet d’une attention extrême à toutes les phases de fabrication, du transport et de la distribution. L’objectif est de conserver à toutes les étapes un niveau de profitabilité tel que les revendeurs finals, les fabricants et les concepteurs disposent d’un produit compétitif et d’une marge suffisante. Personne ne s’attend à trouver la mention Made in France sur un ordinateur, un modem ou une carte informatique. Tout au plus, trouve-t-on les mentions Assemblé en France sur certains matériels. On aurait même plutôt tendance à considérer qu’une fabrication locale serait de qualité inférieure, car on ne pourrait y trouver les économies d’échelle et la rigueur des procédures qui sont appliquées dans les pays qui se sont spécialisés dans ces fabrications. La fabrication de matériel informatique égratigne au passage une idée reçue voulant que la mondialisation ne touche que des domaines à faible qualification. L’informatique nécessite en effet une main-d’œuvre qualifiée dans des domaines de pointe, où l’évolution technologique est extrêmement rapide et la qualité un critère essentiel. Ceux qui pensent que les ressources offshore ne peuvent rivaliser en connaissances, compétences et créativité avec les ressources des États-Unis ou des pays de l’Europe de l’Ouest ont clairement tort
La recherche de la compétitivité
Les éditeurs de logiciels, comme les sociétés de services, sont entrés dans une ère où la compétitivité de leurs services et produits est le moteur essentiel du profit. Les développements informatiques requièrent des ressources souvent importantes et emploient une main-d’œuvre qualifiée et recherchée, au coût élevé. Un projet informatique se chiffre en année/homme (une année d’un homme). Il n’est pas rare que certains projets dépassent la cinquantaine d’années/homme lorsqu’on intègre les tâches en amont du développement (élaboration de la vision, spécifications et préparation du projet) et les tâches en aval (test, déploiement, performance et maintenance corrective et évolutive). Si l’on considère en première estimation qu’une année/homme de développement en France revient, tout compris, à 75 000-100 000 euros par an, un projet de dix années/ homme coûte entre 750 000 et 1 000 000 euros. Si l’on peut réduire ces coûts de 40 % ce qui correspond au taux de réduction moyen du coût d’un projet réalisé en offshore constaté aux États-Unis , on peut espérer 300 000 à 400 000 euros d’économie. Une société de services peut trouver dans cette réduction des coûts un nouveau souffle pour remporter des marchés, parfois même en augmentant sa marge propre. L’économie réalisée par une société qui fait appel à l’offshore peut ne pas être totalement répercutée sur le coût des prestations facturées à son client. Un éditeur de logiciel consacre habituellement entre 14 et 25 % de son chiffre d’affaires aux développements de nouveaux produits. Si, par exemple, il réalise un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros, il consacre donc entre 2 100 000 et 3 750 000 euros à ses développements. L’éditeur est le plus souvent en concurrence avec d’autres, qui visent la même cible et rivalisent de créativité et de réactivité. Celui qui délocalise ses développements en offshore en réalisant 40 % d’économie voit ses capacités pratiquement doubler. Sa capacité à réaliser davantage de produits, plus rapidement et de meilleure qualité, car avec plus de tests, lui permet de mieux se positionner sur son marché et, dans le meilleur des cas, d’y prendre des parts décisives. Ce même éditeur qui réalise 15 000 000 euros de chiffre d’affaires peut donc investir, grâce à l’offshore, un budget de développement qui aurait représenté, s’il avait été réalisé en local, 3 500 000 à 6 250 000 euros. Sa puissance de production se situe entre 23 et 41 % de son chiffre d’affaires, alors que son investissement n’est que de 14 à 25 % de ce même chiffre d’affaires. Ces valeurs et pourcentages, évidemment considérables pour un éditeur de logiciel, montrent clairement le dynamisme de celui qui a su passer en offshore et en retirer tous les fruitsElle peut, par exemple, être partagée entre une réduction du coût de la prestation pour se positionner de façon plus agressive et une augmentation de la marge.
Offshore, outsourcing, délocalisation et développements distribués
La délocalisation des projets informatiques s’est tout d’abord appelée offshore par analogie avec les plates-formes pétrolières, qui sont situées loin de la rive, par opposition aux développements simplement externalisés, dits offsite. Le terme offsite désigne une externalisation locale mettant à disposition des équipes de développement en régie ou au forfait. Le terme offshore situe clairement ces équipes dans un lieu lointain. La figure 1.1 illustre le sens des termes onsite, offsite et offshore. En révélant la distance qui sépare les équipes de production du donneur d’ordres, le terme offshore laisse supposer que le lieu où l’on choisit d’utiliser les ressources informatiques offre des avantages importants. Du fait des délocalisations massives, qui touchent depuis quelques années certaines industries en s’accompagnant de milliers de pertes d’emplois, le terme offshore a acquis une connotation négative, associée à l’image d’informaticiens licenciés au profit d’équipes distantes très peu coûteuses.Contaminé par de telles images, l’offshore a été trop vite associé à des manœuvres patronales visant le seul profit des actionnaires au détriment des employés qui, d’un coup, se retrouvaient hors jeu. Nous verrons que de telles attitudes, lorsqu’elles existent, sont surtout répandues dans le monde de la fabrication et qu’elles concernent peu les projets informatiques. Nous verrons en outre comment, dans certains cas, l’offshore peut au contraire être source de création d’emplois. L’ampleur des développements confiés à l’offshore a retenu l’attention des grandes entreprises de marketing qui vendent des études de marché. Constatant la montée en puissance de la délocalisation des projets informatiques, ces dernières ont non seulement mesuré l’évolution des volumes des projets informatiques confiés à l’offshore mais également estimé les emplois perdus dans les années à venir au profit de l’offshore. Certaines de ces études donnent des chiffres alarmants, avec 10 à 20 % du nombre total d’informaticiens européens, canadiens ou américains qui seraient perdus au profit des pays de l’offshore. Le Canada, qui est souvent considéré comme un pays d’offshore pour les États-Unis, y apparaît comme doublement perdant : en tant que client d’offshore moins compétitif que d’autres pays et en tant que donneur d’ordres, un certain nombre d’entreprises canadiennes sous-traitant vers des pays moins coûteux. Les politiques n’ont pas manqué de monter aux créneaux, notamment aux États-Unis et au Canada, pour jeter l’anathème sur une pratique jugée « antipatriotique » et d’exercer toutes sortes de pressions pour maintenir les développements localement. À l’opposé, le CSPP (Computer Systems Policy Project), un groupe de pression et de communication américain réunissant les CEO (Chief Executive Officer) de HP, IBM, Intel, NCR, Unisys, Applied Materials, EMC et Motorola, défend l’usage des ressources en offshore. Alan Greenspan lui-même, directeur de la Réserve fédérale américaine, présente ouvertement l’outsourcing et la délocalisation comme des atouts pour l’économie américaine. Selon le CSPP, l’offshore est l’unique solution pour être réellement réactif face aux besoins du marché et fournir au plus vite le produit demandé par les utilisateurs (voir http://www.cspp.org/reports/ChooseToCompete.pdf). De plus, sans l’offshore, certains fleurons de l’industrie américaine seraient moins compétitifs et risqueraient de perdre leur position dominante.