L’intégration régionale au Maghreb : le rôle de l’électricité dans le processus d’intégration
Les déficits d’intégration régionale au Maghreb
. Après un positionnement théorique et une proposition méthodologique pour évaluer le processus d’intégration régionale (A), nous questionnons l’état de la coopération maghrébine dans le cadre de l’UMA, union politique et économique, au travers d’une étude des accords de coopération multilatéraux et bilatéraux mis en place depuis les indépendances, en particulier dans le domaine de l’énergie (B). L’analyse du rôle de l’énergie dans la coopération maghrébine se focalise sur un domaine clef, celui de l’électricité. L’électricité est présentée comme un moyen concret d’intégration régionale (C). A- L’intégration régionale : une approche par les réseaux. Afin de s’intégrer aux dynamiques de la mondialisation et de répondre aux exigences de la compétitivité globale (Lévy, 2007), les Pays du Nord (PN) et la majorité des Pays Émergents et des Suds (PES) se regroupent et coalisent au sein d’associations, d’unions ou de groupements d’intégration économique et/ou politique. La structuration du monde actuel, mondialisé et multipolaire, s’opère par conséquent dans le cadre de grands espaces régionaux présentant des degrés d’intégration différenciés comme l’UE ou encore l’Accord de LibreÉchange Nord-Américain (ALENA). Pour appréhender ce phénomène de régionalisation, le lexique et les méthodes utilisés dans les différentes disciplines académiques ne sont pas fixés. Dans la littérature, les définitions de termes aussi importants que « régionalisation », « intégration régionale » et « régionalisme » restent floues et ne font pas l’objet d’un consensus (Bairoch, 1998 ; Baghwati, 1992 ; Mashayekhi, Ito, 2007 ; Richard, 2014). Pour Richard et Zanin (2009), on entend par régionalisation une densification des échanges entre des unités géographiques distinctes mais contigües. Au sein d’un processus de régionalisation, les relations internes à un espace se multiplient jusqu’à devenir parfois prépondérantes par rapport aux relations externes de ce même espace. La régionalisation est dans ce cas un fait établi. Dans certains cas cependant, la part des échanges internes peut rester minoritaire mais leur augmentation être plus rapide que celle des échanges externes. La régionalisation est alors un processus en cours (Richard, 2014). Ces relations peuvent être analysées sous l’angle des échanges de marchandises, de services et d’investissements mais aussi sous celui des flux touristiques, des migrations/mobilités etc. La régionalisation procède par regroupements ou par une agrégation d’entités territoriales (Taglioni, 2003). Il convient dès lors de parler de « macro-régions » plutôt que de régions (Gana, Richard, 2014). Ces zones réunissent le plus souvent des pays présentant des niveaux de développement différents (Zriouli, 2012). La régionalisation peut être le résultat d’une action concertée entre des acteurs ou un phénomène spontané (Nicolas, 2003). Les pratiques sociales telles que les mobilités, par Chapitre 5 – L’intégration régionale au Maghreb : le rôle de l’électricité dans le processus d’intégration – 139 – exemple, relèvent de ce dernier phénomène. Il est, toutefois, nécessaire de distinguer le processus de régionalisation de ce qui peut éventuellement en constituer l’effet ou le corollaire, l’intégration régionale (Mansfield, Milner, 1997 ; Sachwald, 1997 ; Siroën, 2000 ; Le Cacheux, 2002). L’une des causes du processus de régionalisation avancées par Richard (2014) est la mise en place d’accords régionaux [cf. encadré 2]. En effet, « Les accords d’intégration ne progressent pas uniquement par extension géographique, mais aussi par extension des domaines de négociation » (Sachwald, 1997, p.259) L’intégration (économique) régionale peut prendre plusieurs formes : ▬ [1] la Zone de libre-échange (ou ZLE) dans laquelle les pays membres éliminent entre eux les obstacles aux échanges de biens (ALENA par ex) ; ▬ [2] l’Union douanière qui reprend l’idée d’une zone de libre-échange avec en plus un tarif douanier commun aux pays membres appliqué aux pays tiers ; ▬ [3] le Marché commun qui correspond à une union douanière à laquelle il faut ajouter la libre circulation des capitaux et des personnes (MERCOSUR par ex) ; ▬ [4] l’Union économique est un marché commun dotées de politiques économiques supranationales ; ▬ [5] l’Union économique et monétaire qui renvoie à une union économique dans laquelle circule une monnaie unique (UE par ex). Encadré 2 – Les formes d’intégration économique régionale L’intégration atteint un niveau avancé lorsqu’elle est politique. Les processus d’intégration politiques impliquent des concessions de souveraineté au profit d’instances supranationales gérées de manière conjointe selon des règles admises par les parties prenantes, les États membres. Les pays regroupés se dotent ainsi de compétences, de normes voire d’institutions communes dont le domaine d’action ne se limite pas à la dimension économique mais concernent d’autres domaines tels que la politique étrangère, la coopération judiciaire et policière en matière pénale, le développement des régions et les politiques environnementales72 . Le sentiment d’appartenance des populations à un territoire commun est également évoqué dans la littérature autour de l’intégration politique. De ce point de vue, l’intégration régionale devient un processus à appréhender à partir d’éléments quantifiables comme non quantifiables (Richard, 2014). Les Sciences Humaines et Sociales (SHS) n’accordent une attention assidue au phénomène de régionalisation que depuis une période récente. La géographie a d’ailleurs longtemps été en retrait lorsqu’il s’est agi de l’analyser. Ce processus impose pourtant une échelle intermédiaire des territoires, qui se situe entre l’échelle globale et l’échelle locale/nationale, et convoque, en outre, le concept de « région ». D’abord entendu comme une échelle infra-étatique (Vidal de la Blache, 1903), le concept de région comme échelle macrorégionale est entré dans les problématiques de la discipline dans les années 1950 et 1960, notamment autour des travaux de Claval (1965). Cependant, ces travaux n’ont pas été prolongés et ne susciteront à nouveau l’intérêt des géographes que dans les années 1990. Diverses approches et méthodes sont depuis développées et appliquées sur de nombreuses parties du 72 Traité de Lisbonne de l’UE de 2007 Chapitre 5 – L’intégration régionale au Maghreb : le rôle de l’électricité dans le processus d’intégration – 140 – monde, de surcroît lorsque ces ensembles régionaux jouent un rôle structurant dans l’espace mondial. Certains travaux choisissent des pays proches les uns des autres, qui forment a priori un ensemble régional, afin d’en examiner l’organisation interne. Ils cherchent ainsi à affirmer ou infirmer l’hypothèse d’un processus de régionalisation au sein de l’ensemble étudié (Taillard, 2004 ; Beckouche, Richard, 2005).
L’UMA : une tentative d’intégration régionale inaboutie
1- Présentation générale du Maghreb. La région du Maghreb a pour frontières naturelles la mer Méditerranée au Nord, l’Océan atlantique à l’Ouest et le désert du Sahara au Sud. On distingue habituellement le « Maghreb central » composé du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie « qui forme un ensemble relativement homogène » (Pliez, Semmoud, 2014, p. 1) du « Grand Maghreb » qui inclut en plus la Mauritanie et la Libye. Tous les pays maghrébins ont pour hinterland le désert du Sahara. « C’est donc bien le Sahara, son intégration dans les espaces et […] son rôle de pivot géostratégique entre Méditerranée et Afrique Noire qui constituent un élément commun aux pays du Maghreb » (Troin, 2006, p. 6). La population du Maghreb central compte en 2015 plus de 85 millions d’habitants avec 33,6 millions d’habitants au Maroc, 40,4 millions en Algérie et 11,1 millions en Tunisie. Le peuplement de l’espace maghrébin accuse une forte littoralisation et est majoritairement urbain. Du Sud vers le Nord, le Maghreb central couvre une superficie de 3 millions de km2 et présente les grandes divisions structurales suivantes : au Sud, le bouclier saharien, qui occupe les trois-quarts du territoire maghrébin et se caractérise par une hyper-aridité ; au milieu, la chaîne intracontinentale des Atlas et la zone des Hautes Plaines. Les Hautes Plaines sont totalement intégrées au domaine atlasique et doivent leur nom à une planéité presque parfaite et à une altitude moyenne élevée. Au Nord, enfin, se trouve la chaîne alpine des Maghrébides, et notamment les tronçons rifains et tello-kabyles. Cette dernière partie s’inscrit dans la frange méridionale des pays riverains de la Méditerranée occidentale (climat méditerranéen). La situation géographique du Maghreb vis-à-vis du Monde Arabe, de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne ne peut se concevoir sans avoir à l’esprit la triple inscription du Maghreb (euroméditerranéenne, africaine et arabe) (Troin, 2006 ; Duran-Delga, 2014). Les pays du Maghreb sont des États unitaires et non des États organisés sur la forme d’une fédération. Cela se traduit par une unité des organes de l’État : un seul Chef d’État, un seul gouvernement, un seul Parlement etc. Les décisions émanent, en principe, du centre du pouvoir. Toutefois, même dans le cadre d’un État unitaire, la nécessité de rapprocher les organes de décisions des administrés s’impose. Deux configurations sont possibles : la déconcentration et la décentralisation des pouvoirs. Dans les deux cas, le pouvoir local s’exerce sur des territoires infra-étatiques. Cependant, dans un système déconcentré, le pouvoir local est exercé par un agent nommé par l’État tandis que dans le cadre de la décentralisation des pouvoirs, le pouvoir local appartient à des organes élus. La déconcentration des pouvoirs renvoie au transfert de certaines attributions administratives ou de services spécialisés du pouvoir central vers l’échelon local. Les décisions prises dans ce cadre sont soumises au contrôle de l’État. Dans le cadre de la décentralisation des pouvoirs, il s’agit également d’attributions administratives mais au bénéfice, cette fois, d’organes élus appelés collectivités Chapitre 5 – L’intégration régionale au Maghreb : le rôle de l’électricité dans le processus d’intégration – 144 – locales ou territoriales et qui disposent d’une personnalité juridique. Ce processus permet d’accroître le pouvoir des collectivités locales, sans pour autant affaiblir celui de l’État qui détient tout de même un contrôle sur l’entité décentralisée, placée sous sa tutelle. Pour octroyer un réel pouvoir aux collectivités locales et leur permettre de jouir pleinement des prérogatives prévues par la loi, la décentralisation doit s’accompagner d’un transfert – de l’État vers les structures décentralisées – d’enveloppes budgétaires. Lorsque ces dernières s’ajoutent à une autonomie de décision concédée par l’État, les collectivités locales sont en mesure de gérer librerment l’admnistration et la gestion des affaires locales (Vulbeau, 2005 ; Labiadh, 2016). Au Maroc, l’organisation administrative repose sur trois niveaux territoriaux : les communes urbaines ou rurales (premier niveau), les provinces et les préfectures (deuxième niveau) et les régions (troisième niveau). Cette organisation est à la fois composée d’autorités élues représentant les citoyens et des autorités nommées par l’État. Elle est dominée par le niveau provincial et préfectoral, qui a un rôle politico-administratif mais ne possède pas d’autonomie budgétaire. Des assemblées provinciales et préfectorales sont élues – ainsi que leurs présidents – au suffrage indirect au scrutin de liste à la proportionnelle par des collèges électoraux (conseillers communaux et représentants des chambres socio-professionnelles). À la tête des provinces et préfectures, on trouve par ailleurs les gouverneurs nommés par l’administration centrale. Au niveau régional, les conseils régionaux sont élus au suffrage indirect74 . Les conseillers régionaux élisent leurs présidents. Parallèlement aux conseillers et présidents, des walis de régions, qui sont dans le même temps des gouverneurs de préfectures et de chefs-lieux des régions, représentent l’État. Au niveau communal, on trouve, d’une part, les conseils communaux élus et leurs présidents respectifs et, d’autre part, les représentants de l’État constitués par les chefs de cercles (super caïds) et caïds pour les arrondissements urbains et les communes rurales. Ces trois niveaux sont interdépendants les uns des autres mais tous dépendent de l’administration centrale qui veille à garder une main mise sur les décisions.