Phénoménologie et modélisation de l’atomisation
Instabilité et pulvérisation d’un jet liquide
Le jet de carburant liquide en sortie d’un injecteur Diesel peut être considéré comme un jet plein, sortant d’un orifice cylindrique (extrémité de la buse), injecté dans un milieu gazeux au repos. Ce jet va d’abord subir un fractionnement primaire, qui correspond à la formation de fragments liquides, sphériques ou non, à la surface du jet, puis un fractionnement secondaire, qui se traduit par une désintégration ultérieure de ces éléments liquides déjà détachés du jet.
Les grandeurs caractéristiques
Dans un premier temps, il est important de définir précisément des grandeurs pouvant servir à caractériser un jet liquide. En régime stationnaire, on distingue deux longueurs caractéristiques pour un jet liquide. A basse vitesse d’injection, la colonne liquide issue de l’injecteur reste intacte en surface sur une certaine distance, appelée longueur de surface intacte (L1 sur la figure 1.1), avant de donner naissance à des gouttes plus en aval. Pour de fortes vitesses d’injection (comme dans le cas des moteurs Diesel ID), cette distance est J.B. Moreau, Thèse de Doctorat, INP Toulouse, 2005 Phénoménologie et modélisation de l’atomisation 26 Chapitre 1 : Phénoménologie et modélisation de l’atomisation quasiment nulle. En aval de cette première longueur caractéristique, le scénario le plus connu considère que la colonne liquide se rétrécit par arrachements de fragments liquides en surface : la longueur de cœur liquide (L2 sur la figure 1.1) est, en général, définie comme la distance sur laquelle le jet est continu sur son axe. Fig. 1.1 – Longueurs caractéristiques du jet : L1 est appelée longueur de surface intacte et L2 longueur de cœur liquide [98] En régime instationnaire, la longueur de pénétration d’un spray est définie comme la distance maximale entre le nez de l’injecteur et le front liquide. Pour les sprays à haute pression, cette distance est bien souvent approximative car il convient de fixer un critère sur les gouttes dont on va tenir compte ou pas. Lambert [99] considère par exemple la longueur de pénétration comme la distance, sur l’axe du jet, entre le point d’injection et la particule liquide qui précède 95 % de l’ensemble des fragments liquides. On définit l’angle du spray θ comme l’angle du plus petit cône contenant tous les fragments représentatifs du spray. Il s’agit, là encore, d’une grandeur approximative qui nécessite de fixer un critère de sélection des particules liquides. Enfin, le diamètre des gouttes liquides est évidemment une grandeur à considérer. Le SMD 1 [78] est couramment utilisé pour caractériser les jets en évaporation : SMD = a3dn a2dn (1.1) où dn est le nombre de gouttes dont le diamètre a est inclus entre a − da/2 et a + da/2.
Les régimes de fractionnement
D’après Reitz [137], le fractionnement d’un jet liquide injecté dans du gaz est fonction de sa vitesse d’injection u0. Une très faible vitesse conduit à la formation de gouttes à la sortie immédiate de l’injecteur (régime goutte-à-goutte). A mesure que la vitesse d’injection croît, Reitz identifie quatre régimes de fractionnement (figure 1.2) : – Régime de Rayleigh : pour de faibles vitesses d’injection, le fractionnement a lieu à une très grande distance du nez de l’injecteur et des gouttes de diamètre supérieur à celui de la buse apparaissent. 1SMD : Sauter Mean Diameter Modélisation de l’écoulement polyphasique à l’intérieur et en sortie des injecteurs Diesel
Instabilité et pulvérisation d’un jet liquide
27 – Premier régime induit par l’aérodynamique (ou First wind-induced breakup) : lorsque la vitesse d’injection est plus forte, le fractionnement du jet a lieu à une distance plus faible, mais encore assez grande par rapport au diamètre d’injection, et les gouttelettes ont un diamètre voisin de celui de la buse. – Second régime induit par l’aérodynamique (ou Second wind-induced breakup) : le fractionnement apparaît alors à une distance très faible, de l’ordre de quelques diamètres d’injection, et les gouttelettes sont plus petites que l’orifice de l’injecteur. – Régime d’atomisation : à forte vitesse d’injection (nombre de Reynolds supérieur à 3000, selon Mansour et Chigier [108]), le jet est fractionné très près de la sortie de l’injecteur et les gouttelettes sont très fines. Pour les deux premiers régimes (Rayleigh et First wind-induced breakup), les longueurs de surface intacte et de cœur liquide coïncident. Reitz [137] trace la longueur de surface intacte en fonction de la vitesse d’injection (figure 1.2a), tandis que les différents régimes de fractionnement sont représentés par Faeth [58] (figure 1.2b). La fragmentation d’un jet Diesel injecté à haute pression appartient au régime d’atomisation proprement dit. (a) Longueur de surface intacte (L1) en fonction de la vitesse d’injection (u0) : écoulement goutte-à-goutte (ABC), régime de Rayleigh (CD), régime du First wind-induced breakup (EF), régime du Second wind-induced breakup (FG ou FH), régime d’atomisation (au-delà de G ou H) [137] (b) Régimes caractéristiques de fractionnement de jet en fonction de la vitesse d’injection [58] Fig. 1.2 – Classification des régimes de fractionnement d’un jet liquide en fonction de la vitesse d’injection Si la vitesse d’injection joue un rôle déterminant dans le fractionnement d’un jet liquide, d’autres paramètres, comme la viscosité μl ou la tension superficielle σ du liquide, entrent également en jeu, de même que les masses volumiques du gaz ρg et du liquide ρl. Afin de tenir compte de ces effets, Faeth [58] propose ainsi, sur la figure 1.3a, de classer les régimes de fractionnement en fonction des nombres sans dimension de Weber du gaz Weg (équation 1.2) et d’Ohnesorge Oh (équation 1.3). Le nombre de Weber est défini comme le rapport entre les forces aérodynamiques et la tension capillaire [174], alors que le nombre d’Ohnesorge [127] s’écrit en fonction de Wel et du nombre de Reynolds Rel (rapport des termes dus à l’inertie sur ceux dus aux forces visqueuses [143]) : Weg = ρgu2a σ (1.2) Oh = We0,5 l Rel = μl √σρla (1.3) Rel = ρlua μl (1.4) où a est la taille caractéristique du jet (typiquement le diamètre). Reitz [137], quant à lui, propose une représentation, sur la figure 1.3b, incluant le rapport des masses volumiques des deux fluides ainsi que Oh et Rel. (a) Régimes de fractionnement en fonction de Weg et Oh (d’après [58]) (b) Limites qualitatives des trois régimes de fractionnement (d’après [137]) Fig. 1.3 – Classification des régimes de fractionnement d’un jet liquide en fonction de la viscosité, de la tension superficielle et du rapport de densités gaz / liquide Toutefois, les différentes terminologies et classifications utilisées jusqu’ici ne tiennent pas compte de la perturbation initiale (due à la géométrie interne de l’injecteur, par exemple) sur le comportement du jet. Modélisation de l’écoulement polyphasique à l’intérieur et en sortie des injecteurs
Les phénomènes physiques influençant l’atomisation
Pour le régime d’atomisation, plusieurs phénomènes physiques interviennent et sont étroitement liés les uns aux autres [99, 54]. C’est au sein même du liquide que se trouve l’origine du fractionnement du jet. Les structures tourbillonnaires qui s’y développent (perturbations initiales) créent des instabilités dans la couche de mélange, à l’interface liquide-gaz. Le gaz ambiant, en participant à l’amplification de ces instabilités, influence également l’atomisation. Dans le liquide Dès 1959, Bergwerk [17] constate que la cavitation, qui se développe à l’intérieur des injecteurs Diesel, influence fortement l’aspect du jet. Dumont et al. [55] consacrent à ce phénomène une étude bibliographique très complète et estiment qu’il s’agit du phénomène prépondérant apparaissant dans le liquide : la cavitation est une vaporisation du liquide sous l’effet de dépressions, généralement dues à de grandes vitesses d’écoulement [101]. Autrement dit, une rupture du milieu continu de liquide est amorcée sous l’effet de contraintes excessives [61]. L’écoulement est en effet soumis à un rétrécissement brusque à l’entrée de l’injecteur (rayon de la buse de l’ordre du dixième de millimètre) et il y a décollement de la couche limite le long de la paroi, créant une zone de recirculation [157] (figure 1.4). Si la dépression locale engendrée devient inférieure à la pression de vapeur saturante du carburant, le liquide est vaporisé et des poches gazeuses de carburant apparaissent.