Du concept de curriculum aux didactiques du curriculum
Dans son Dictionnaire de l’évaluation et de la recherche en éducation, de Landsheere (1979) définit le curriculum : « Un curriculum est un ensemble d’actions planifiées pour susciter l’instruction : il comprend la définition des objectifs de l’enseignement, les contenus, les méthodes (y compris l’évaluation), les matériels (y compris les manuels scolaires) et les dispositions relatives à la formation adéquate des enseignants. »
Cette définition donne une vision large du curriculum, qui englobe différents éléments et ne se limite pas aux contenus. En particulier, les « objectifs de l’enseignement » en font partie ainsi que les « méthodes ».
Pour Lange et Victor (2006) : « le concept de curriculum […] situe un programme d’enseignement dans le contexte de sa mise en œuvre ». Ici, le curriculum constitue le lien entre les contenus (implicitement inclus dans le « programme d’enseignement ») et leur présentation dans l’enseignement (« le contexte de sa mise en œuvre »). S’intéresser à un curriculum revient à interroger ce lien.
À ce propos, Martinand (2003) parle de problèmes de didactique curriculaire en prenant l’exemple de l’éducation technologique au collège. En effet, sa reconfiguration dans le cadre de la réforme générale des programmes du collège (1995-1999) a posé la question « de la conception et de la reconception du curriculum […] qu’on ne saurait réduire à des apprentissages de savoirs ». On perçoit que Martinand fait une distinction entre le curriculum et l’apprentissage de savoirs, ce qui le mène à définir une didactique curriculaire à côté de la didactique de la discipline. Il l’explique à propos des recherches sur les curriculums : si celles-ci existent et sont menées dans un contexte didactique et historique, indique Martinand (2014), ces recherches s’effectuent du point de vue des disciplines ou des matières d’enseignement des chercheurs.
Un outil d’investigation de l’évolution des disciplines
Les travaux dans le cadre des didactiques du curriculum reposent sur l’utilisation d’outils théoriques tels que la matrice curriculaire (Lebeaume, 1999). Martinand (2003) explique que c’est « la nécessité de définir ou redéfinir les contenus ou les démarches » d’une discipline qui impose de recourir à la matrice curriculaire.
D’après Lebeaume (2011), qui prend également comme point de départ l’éducation technologique au collège, il s’agit d’analyser « les conditions de modification des disciplines » tant sur le plan de la discipline que sur celui du curriculum. Il construit un outil d’investigation, une « méthode », qui permet de repérer les variations des enseignements. À la base du questionnement qu’il propose, se situe « la cohérence interne entre les tâches proposées aux élèves, leurs visées éducatives et leurs références » mais aussi l’identification de « la fonction ou les fonctions qu’assure cet enseignement, cette matière ou cette discipline dans le curriculum ».
Les fondements d’un enseignement
Avec le concept de matrice curriculaire, Lebeaume (1999) développe une « méthode » qui suppose de pouvoir définir ce qui est à la base d’un enseignement : « À la notion de « méthode » sont liées des questions majeures qui permettent de distinguer d’une part les fondements d’un enseignement ou les matrices disciplinaires ou épistémologiques au sens de Develay (1992) et leurs variations réelles ou potentielles, d’autre part des aspects de leur construction et de leur structure tels que leur élémentarisation, leur progressivité, leur flexibilité ou leur connexité avec d’autres enseignements ».
Dans son article intitulé Pour une épistémologie des savoirs scolaires, Develay (1993) propose des pistes d’analyse des savoirs scolaires. Il définit l’épistémologie scolaire comme « regard distancié sur les contenus enseignés ». L’une des pistes qu’il développe est la définition de ce qui constitue une discipline. Il présente « cinq éléments comme caractéristiques d’une discipline : des objets, des tâches, des connaissances déclaratives, des connaissances procédurales et une matrice disciplinaire ». Dans les connaissances déclaratives, Develay différencie notions et faits ; les connaissances procédurales relèvent « des méthodes, des techniques, des stratégies » ; les objets peuvent être « divers objets scientifiques comme, en physique, la table à coussin d’air, la machine d’Atwood ».
Notre questionnement sur la chute libre, qui renvoie à la manière d’aborder ce contenu, l’utilisation d’un certain formalisme, les méthodes de résolution employées, fait donc écho, en particulier, aux objets, aux connaissances déclaratives et aux connaissances procédurales définies par Develay. En effet, outre les notions abordées et leurs liens avec les faits, qui renvoient aux connaissances déclaratives, la lecture des manuels renseigne sur les méthodes de résolution présentées dans le cadre du traitement de la chute libre, ce qui correspond aux connaissances procédurales. Quant aux objets, on repère ceux auxquels les auteurs des manuels font référence, notamment les objets en relation avec l’aspect expérimental du traitement de la chute libre.
Notre étude vise donc à repérer et analyser des éléments de la matrice disciplinaire, comme fondements d’un enseignement. Par conséquent, elle relève d’une épistémologie scolaire.
Diversité des fonctions des manuels scolaires
Il serait réducteur de limiter l’utilisation des manuels scolaires à celle qu’en font les élèves, bien que les manuels leur soient prioritairement dédiés – on parle du « manuel de l’élève ». En réalité, les manuels ont une place centrale dans le système éducatif, en lien avec différents acteurs parmi lesquels on peut citer : les élèves mais aussi les enseignants qui en sont également des utilisateurs, les éditeurs qui les produisent en se soumettant à des logiques économiques… Lebrun et Niclot (2009) identifient plusieurs «points principaux de jonction entre les manuels scolaires et différents éléments du système éducatif». Du côté des enseignants, ceux-ci ont tendance à utiliser les manuels comme outil de mise en œuvre des prescriptions officielles : « souvent, les manuels se substituent aux programmes d’études ». On est alors «à la jonction entre le curriculum formel et le curriculum réel».
Lebrun et Niclot (2009) situent également les manuels dans « une position centrale entre l’enseignement et l’apprentissage ». Ils évoquent notamment l’influence qu’ont les manuels scolaires sur les pratiques enseignantes : « les dimensions curriculaire, pédagogique, didactique et évaluative des manuels contribuent en grande partie à définir les savoirs à enseigner, les stratégies pédagogiques et didactiques employées, la progression attendue des élèves, le cheminement qu’ils doivent parcourir pour acquérir les savoirs, leur degré de participation dans les activités et le mode de reconnaissance de leurs acquis ». Les manuels remplissent aussi « la fonction de médiation entre les savoirs, les méthodes et les élèves » : grâce au manuel, l’élève a accès « aux savoirs et aux savoir-faire disciplinaires prescrits par les curricula ». Les manuels jouent donc un rôle dans les apprentissages des élèves. Enfin, les manuels ont une influence sur la construction du savoir scolaire car ils permettent « la jonction entre le savoir savant et le savoir scolaire » .
Le rôle de médiation des manuels scolaires
Le rôle de médiation des connaissances disciplinaires est joué par l’enseignant et par le manuel «sur lequel [l’enseignant] appuie une partie significative de son enseignement» . Pour préciser ce rôle de médiation, on s’intéresse à la notion d’intervention éducative qui mobilise le concept de médiation . L’intervention éducative correspond à : « l’ensemble des actions finalisées posées par des personnes mandatées, motivées et légitimées en vue de poursuivre dans un contexte institutionnellement spécifique les objectifs éducatifs socialement déterminés, en mettant en place les conditions les plus adéquates possibles pour favoriser la mise en œuvre par les élèves de processus d’apprentissage appropriés ». L’intervention éducative s’entend sur les plans didactique, psychopédagogique, organisationnel. Elle suppose une « médiation […] entre des sujets apprenants, des objets de savoirs prescrits et normatifs (par le curriculum) et un intervenant socialement mandaté (l’enseignant) ». Lenoir, Larose, Deaudelin, Kalubi, et Roy distinguent deux processus de médiation : la médiation cognitive et la médiation pédagogicodidactique, toutes deux en interaction. La première établit le lien entre le sujet apprenant et l’objet de savoir tandis que la seconde consiste à « mettre en œuvre les conditions jugées les plus propices à l’activation par l’élève du processus de médiation cognitive » donc elle fait le lien entre l’enseignant et la médiation cognitive.
Dans une situation pédagogicodidactique, le processus de médiation impose de recourir à des dispositifs divers, dont le manuel scolaire . Le concept de dispositif , comme « moyen mis en œuvre en vue d’atteindre une finalité » a pour but de faciliter la réalisation de la médiation cognitive.
Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Étude exploratoire de quinze manuels anciens
I. Démarches curriculaires
1. Du concept de curriculum aux didactiques du curriculum
2. Un outil d’investigation de l’évolution des disciplines
3. Les fondements d’un enseignement
II. Le statut des manuels scolaires
1. Diversité des fonctions des manuels scolaires
2. Le rôle de médiation des manuels scolaires
3. Les manuels scolaires dans la matrice disciplinaire
III. Présentation des manuels et des contenus ciblés
1. Délimitation de la période des manuels
2. Les manuels étudiés
3. Les auteurs des manuels
4. Les contenus ciblés
5. Les programmes de physique de Terminale entre 1902 et 1957
6. Etat des lieux des contenus abordés dans les manuels
IV. Le mouvement d’accélération constante comme notion centrale
1. Les contenus de cinématique
2. Les contenus de dynamique
3. Articulation entre chute des corps et lois de la dynamique
4. Importance de la notion de mouvement uniformément varié
V. De la chute des corps au mouvement d’un projectile : formalisme utilisé et méthodes
de résolution
1. La chute libre : formalisme et obtention des équations horaires
a. Une méthode usuelle de résolution de la chute libre
b. Cas particulier de la chute des corps
c. Cas particulier de la chute verticale
d. Méthodologie : propositions de critères caractérisant le formalisme utilisé dans les manuels
2. La chute des corps dans les manuels : des lois en langue naturelle et des grandeurs positives
3. La chute des corps avec vitesse initiale verticale dans les manuels : l’algébrisation pour généraliser
4. Mouvement d’un projectile dans les manuels : des méthodes diverses
VI. Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 Étude exploratoire de réponses d’étudiants de première année universitaire
I. Étude préliminaire : programmes du lycée en mécanique
II. Présentation de l’objet de recherche
1. La cinématique comme institution
2. L’importance des vecteurs en cinématique
3. Questions de recherche
4. Méthodologie de recueil de données
a. La question posée aux étudiants
b. Le public concerné
III. Méthodologie d’analyse des données
1. Analyse des tâches
2. Organisations praxéologiques pour modéliser et analyser l’activité des étudiants
IV. Premières données quantitatives
1. Nombre total de copies
2. Les réponses correctes
3. Aperçu des erreurs sur la trajectoire, le repère, la position du point M
4. Nombre et types de vecteurs tracés
V. Analyse des réponses par types de vecteurs
1. Pour chaque type de vecteur : nombre de vecteurs tracés et/ou corrects
2. Caractérisation des erreurs
a. Les erreurs sur le vecteur position
b. Les erreurs sur le vecteur vitesse
c. Les erreurs sur le vecteur accélération
3. Conclusion sur l’analyse des réponses par types de vecteurs ; tâches effectives
VI. Analyse des réponses par profils
1. Méthodologie
a. Codage des réponses d’étudiants
b. Traitement statistique
c. Lecture du dendrogramme
d. Détermination de profils de réponse
2. Premier classement
a. Critère de classement
b. Profils de réponses des groupes homogènes d’effectif supérieur ou égal à 21
c. Profils de réponses des groupes homogènes d’effectif inférieur à 21
d. Commentaires sur le premier classement
3. Deuxième classement
a. Regroupement de profils de réponses du premier classement
b. Etude des groupes N et O
c. Commentaires sur le deuxième classement
4. Troisième classement
5. Conclusion sur l’analyse des réponses par profils
VII. Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3 La notion d’accélération : analyse de contenu dans le cas de la chute libre
I. L’accélération : grandeur vectorielle
1. À propos des grandeurs vectorielles
a. Origine et développement du concept de vecteur
b. Les vecteurs dans l’enseignement de la physique et lien avec le formalisme mathématique
c. Les difficultés relatives aux grandeurs vectorielles
2. Le vecteur accélération
3. La relation d’égalité avec le vecteur champ de pesanteur
II. L’accélération : grandeur algébrique
1. À propos des grandeurs algébriques
2. La composante verticale de l’accélération et son signe
a. Deux choix d’orientation possibles de l’axe vertical
b. La nature des grandeurs 𝒂𝒚 et 𝒈
c. L’interprétation d’une accélération négative
III. Un vecteur accélération unique mais une variété de mouvements de chute libre
1. Point de vue empirique : trois types de mouvements de chute libre
2. Point de vue formel : une infinité de mouvements de chute libre
a. Formalisme algébrique
b. Formalisme vectoriel
c. Comparaison formalisme algébrique – formalisme vectoriel
IV. Registres de représentation sémiotique
1. Cadre théorique
2. Registres de représentation sémiotique de l’accélération
a. Présentation de quatre registres de représentation
b. L’accélération en lien avec la vitesse et notion de variation de vitesse
3. Obtention de la trajectoire du mouvement : raisonnement dans les différents registres de représentation sémiotique
a. Construction du tableau
b. Lecture du tableau dans chacun des registres de représentation
4. Le passage d’un registre à l’autre
5. Le choix du registre intrinsèque
V. Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4 Proposition didactique et expérimentations
I. Présentation de la proposition didactique
1. Les fondements
a. Registre de la représentation visuelle des vecteurs
b. Notion de vecteur variation de vitesse
c. Unification de tous les mouvements de chute libre
2. Utilisation de GeoGebra
3. Situation adidactique
4. Méthodologie du recueil de données
a. Évolution de la séquence par itérations successives
b. Mise en œuvre de la séquence
5. Questions de recherche
II. Version initiale de la proposition didactique
1. Des éléments d’une ingénierie didactique
2. Analyse a priori
a. Protocole de la séquence
b. Quelques remarques sur le protocole
c. Tâches attendues
III. Première expérimentation
1. Conditions de mise en œuvre
2. Commentaires sur le déroulement
3. Données recueillies
a. Fiche réponse « Prévisions »
b. Fiche réponses « Profils »
4. Analyse a posteriori
5. Propositions de modification du protocole de la séquence
IV. Deuxième expérimentation
1. Conditions de mise en œuvre
2. Analyse a priori
a. Protocole de la séquence
b. Tâches attendues
3. Commentaires sur le déroulement
4. Données recueillies
a. Fiche réponses « Prévisions »
b. Document papier correspondant à la figure 4-2
c. Fiche réponses « Profils »
5. Analyse a posteriori
V. Seconde version de la proposition didactique
1. Évolution de la proposition didactique initiale
2. Généralisation à d’autres mouvements
3. Analyse a priori
a. Protocole de la première séance
b. Protocole de la deuxième séance
c. Tâches attendues
VI. Troisième expérimentation
1. Conditions de mise en œuvre
2. Données recueillies : fiches réponses
a. Fiche réponses « Prévisions »
b. Fiche réponses « Règle »
c. Fiches réponses « Profils 1sur2 » et « Profils 2sur2 »
d. Fiche réponses « Un vecteur »
e. Fiche réponses « Mouvement parabolique »
f. Fiche réponses « Plan incliné »
g. Fiche réponses « Mouvement rectiligne uniforme »
3. Analyse a posteriori
4. Données recueillies : enregistrements audio
a. Sélection des enregistrements
b. Phase de recherche, dans la première séance
c. Phase d’application de la règle, dans la première séance
d. Phase de tracé d’un vecteur vitesse quelconque, dans la deuxième séance
e. Phase d’interprétation de mouvements, dans la deuxième séance
5. Bilan de l’analyse des enregistrements
VII. Conclusion du chapitre 4
Conclusion