Développement d’un microsystème d’analyse de micro-tissus par spectroscopie diélectrique hyperfréquence
LES DIFFERENTS MODELES BIOLOGIQUES ET LEURS APPLICATIONS
Dans cette première partie les différentes échelles de modèle biologique du cancer seront décrites rapidement afin d’en évoquer leurs avantages et leurs inconvénients respectifs vis-à-vis de leur similarité avec la réalité biologique in vivo. Ces différentes échelles sont toutes représentées dans la Figure 1.
CULTURES CELLULAIRES EN 2D
Dans la culture cellulaire en deux dimensions, les cellules grossissent en monocouches sur des surfaces solides plates, généralement en plastique, comme elle est représentée à la Figure 1 A). L’avantage de ce type de culture cellulaire tient en la facilité d’entretien, son coût particulièrement raisonnable et les performances obtenues dans les tests fonctionnels. Malheureusement, les cultures adhérentes ont aussi de nombreux désavantages : la structure naturelle des tumeurs n’est pas reproduite. En effet, les interactions cellule-cellule et celluleenvironnement ne sont pas représentatives d’une masse tumorale. Or elles sont responsables de la différentiation, la prolifération, la vitalité, l’expression de gènes et de protéines, la métabolisation des médicaments, etc. Les cellules mises en culture en 2D sont étirées et subissent des réarrangements cytosquelettiques aboutissant à des polarités et des morphologies artificielles, ce qui change considérablement leurs réponses à certains phénomènes comme l’apoptose (Nath et Devi 2016; Kapałczyńska et al. 2016).
Applications
Cette méthode a été utilisée comme un outil d’évaluation de performance biologique de molécules bioactives proposées dans le cadre de traitements thérapeutiques de différentes maladies comme celle du Parkinson, le sida, le diabète ou le cancer. Sa facilité de prise en main, son coût faible, sa bonne reproductibilité et son habilité à permettre la culture de Figure 1 : Représentations schématiques des différents modèles cellulaires du cancer. a) La culture cellulaire en tapis adhérent, dite 2D. b) Représentation schématique de cellules en suspensions. c) Représentation d’une biopsie, d) Représentation d’un organe-sur-puce et e) Schéma de deux types de sphéroïdes en fonction des cellules utilisées. Figure dessinée grâce à l’application Biorender. multiples types cellulaires en ont fait le modèle de culture le plus utilisé dans les tests précliniques in vitro dans le développement des nouveaux médicaments. De plus, l’utilisation de systèmes de culture cellulaire a permis de réduire l’utilisation d’animaux comme modèle de laboratoire (Costa et al. 2016).
SUSPENSIONS CELLULAIRES
Un autre modèle biologique correspond aux suspensions cellulaires, à savoir des cellules en milieu liquide, représenté à la Figure 1 B). En effet, certains types cellulaires n’étant pas adhérentes par nature comme la plupart des cellules composant le sang, les cultures des lignées cellulaires correspondantes se fait en suspension. Ce modèle devient alors un modèle incontournable lors de l’étude des différentes leucémies (Huh et Ibrahim 2000). Notamment parce qu’il permet d’analyser de nombreuses cellules en un temps court et ce pour des cellules non adhérentes comme adhérentes remisent en suspension. De plus, avec certaines techniques, comme la cytométrie en flux (qui sera décrite plus tard dans ce manuscrit), les analyses de tels échantillons se font cellules par cellules permettant du haut débit sans perdre les informations liées aux cellules individuelles. L’analyse des cellules uniques a gagné de l’attention dans la dernière décennie puisque l’hétérogénéité des populations cellulaires peut être responsable de certaines pathologies.
MODELES 3D
Biopsies Plusieurs façons d’utiliser les biopsies existent, allant de la culture des cellules récoltées en 2D, jusqu’à la culture dans des systèmes micro-fluidiques, la xénogreffe de tumeur sur un autre animal, la fabrication d’organoïdes avec les cellules récoltées ou l’analyse directe de l’échantillon, comme l’indique la Figure 2. En fonction des cancers considérés, les avantages et les inconvénients diffèrent légèrement (Powley et al. 2020; A. Collins et al. 2020b). En effet, pour les cancers de la prostate par exemple, les xénogreffes dérivées du patient sont considérées comme le gold standard des tests précliniques parce qu’elles permettent de maintenir la tumeur d’origine, notamment lors des tests de médicaments. Le principal désavantage réside dans le fait que le système immunitaire de la souris hôte est artificiellement supprimé avant la greffe (pour diminuer les rejets). Or, le système immunitaire est indispensable pour comprendre comment la tumeur est parvenue à y échapper ou pour prédire certaines réponses aux médicaments (Risbridger, Toivanen, et Taylor 2018). Toujours autour des cancers prostatiques, les cultures ex vivo sont très intéressantes parce qu’elles permettent d’obtenir des taux de prolifération supérieurs à la tumeur in vivo et des taux d’apoptose de l’ordre de 5 à 10% ; permettant dans les deux cas d’étudier l’influence de médicaments sur ces deux paramètres, même si la conservation des échantillons au-delà de 7 jours est difficile (Risbridger, Toivanen, et Taylor 2018). Dans le cas des cancers de l’endomètre, tous les sous-types ne se prêtent pas à la xénogreffe, et la culture ex vivo d’échantillon est difficile à cause des différences de taille, et sont très difficile à standardiser ce qui rend ces méthodes de culture utilisables principalement pour l’immunothérapie mais pas dans du criblage de médicaments (A. Collins et al. 2020a). Dernier exemple, dans le cas des maladies de la rétine, il est très difficile de réaliser des explants sans systèmes de type organes-sur-puce de par la complexité du tissu, et les xénogreffes ne sont possibles qu’avec des primates avec toutes les questions éthiques que cela suscite (Schnichels et al. 2021). De façon générale, il est possible de dire que les modèles dit ‘explants’ c’est-à-dire de culture ex vivo, ont connu de nombreuses avancées ces dernières années, permettant de garder l’écosystème tumoral originel pendant un certain temps grâce à des plateformes particulières (Abreu et al. 2020; Silva et al. 2019). Mais cette méthode n’est pas applicable à tous les cancers, notamment certaines étant trop nécrotiques pour permettre une quelconque culture ex vivo. Le modèle de la xénogreffe est intéressant mais inutilisable dans le cadre de l’immunothérapie par exemple, puisque la souris est immunodéprimée pour que la greffe ne soit pas rejetée, sans parler de toute la structure humaine de la tumeur qui est, dans ce cas-là, perdue (Powley et al. 2020).
Biosystèmes sur puces
Les organes sur puces ont pour but de reproduire les fonctions de tissus ou d’organes biologiques de la façon la plus réaliste possible. Les cellules sont mises en cultures dans des chambres et/ou des canaux de façon à générer un tissu ou un organe complet de façon à reproduire sa biologie et sa physiologie d’intégration. De nombreuses recherches ont lieu en ce moment même pour recréer des modèles cardiovasculaires, respiratoires, nerveux, digestifs et endocriniens (Sosa-Hernández et al. 2018). Des dynamiques de stress mécanique, de gradient de concentration et de modelage cellulaire sont ainsi à réaliser pour refléter les caractéristiques physiologiques (Q. Wu et al. 2020). Pour ce faire, des dispositifs microfluidiques assez sophistiqués sont construits, pouvant être classés dans deux principales catégories : les gaufrages chauds et les moules par injection. La première catégorie est similaire à la lithographie par nano impression. Elle est bon marché et a une méthode de fabrication flexible avec des possibilités de construire des motifs nano-imprimés d’une grande résolution. La deuxième correspondant à l’injection d’un matériau dans un moule où il peut couler et prendre la configuration voulue. Elle est utilisable avec de multiples matériaux, du métal au plastique en passant par le verre. Il est cependant recommandé d’utilisé un matériau avec une faible viscosité pour maximiser les contacts avec le moule. Ces deux techniques ont les limitations directement liées aux matériaux utilisés et à leurs caractéristiques physicochimiques. La bio-impression 3D se développe aussi permettant de rendre la création de dispositifs plus rapides et plus reproductibles (Sosa-Hernández et al. 2018). Les hydrogels sont des matériaux de choix pour la création d’organe-sur-puce puisqu’il est possible d’optimiser la plupart de leurs caractéristiques mécaniques, ainsi que la structure globale du dispositif souhaité (Terrell et al. 2020; Song, Park, et Gerecht 2014). Ces organes-sur-puces ont permis de comprendre davantage certains mécanismes comme par exemple ceux liés à la création de métastases dans les cancers du seins (Frankman et al. 2022). Ils permettent aussi, au fur et à mesure qu’ils sont complexifiés, de prédire des réponses physiologiques comme la consommation de calcium et la génération de force au sein des tissus cardiovasculaires. De plus, ils peuvent aider à identifier des nouveaux mécanismes d’actions utilisables par les thérapies régénératives en permettant de découpler les effets de multiples facteurs, fait difficilement possible sur les modèles animaux (Tavakol, Fleischer, et Vunjak-Novakovic 2021). Malgré toutes les dernières avancées sur ces modèles, cela reste très compliqué de recréer un environnement parfaitement reproductible et reproduisant toutes les caractéristiques physiologiques, notamment la vascularisation, l’ajout de fonctions du système immunitaire, etc (Sosa-Hernández et al. 2018).
Sphéroïdes ou Micro-tissus
Un sphéroïde, ou micro-tissu, est un agrégat stable de cellules (Fedi et al. 2022). Il peut être formé de lignées cellulaires immortalisées, de cellules venant de biopsie ou d’un mélange de plusieurs types de cellules. Toutes les cellules ne forment pas de sphéroïdes, notamment les non-adhérentes. En revanche, la plupart des cellules cancéreuses le font. En étudiant le cancer, un choix doit être réalisé entre les différents modèles existants, notamment en fonction du degré d’exactitude avec la réalité recherchée. Etudier les explants de tumeur permettent des études ex vivo, plus proches de l’in vivo, mais leur disparité et leur conservation les rend difficiles d’utilisation, notamment à grande échelle. D’autres types de modèles comme les tumeurs sur puce permettent un meilleur contrôle de la conservation des échantillons, mais restent compliqués à créer notamment parce qu’ils nécessitent de nombreuses améliorations pour reproduire les caractéristiques physiologiques. Or plus ils sont complexes et moins ils sont reproductibles. Enfin, la culture cellulaire monocouche ne permet pas de mimer les structures et les résistances aux médicaments conférés par des éléments du micro-environnement des tumeurs et de leur organisation 3D, ce qui est notamment responsable de résultats imprécis dans les tests de performances biologiques des médicaments, principalement réalisés sur des cultures cellulaires 2D. Ainsi, les modèles de culture cellulaire 3D ont émergé comme une plateforme prometteuse pour faire du criblage de médicaments anticancéreux depuis qu’ils ont démontré un certain mimétisme avec les structures 3D des tissus malins, des micro-tissus cancéreux et de leur environnement (i.e. survie, prolifération, hétérogénéité de l’expression des gènes et multirésistance aux médicaments) (Pinto et al. 2020). C’est pour ces raisons que nous avons choisi de nous intéresser à ce modèle cancéreux pour ce travail de thèse
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