Influence du micro-alliage sur la population inclusionnaire, le comportement élastoplastique et la résistance à la rupture ductile d’aciers martensitiques
Aciers industriels
Les aciers industriels ont été réalisés par coulée continue suivant les étapes définies au chapitre bibliographique. Ils ont également subi les différentes étapes de laminage, de recuit et de revêtement, précédemment définies dans ce même chapitre. Les aciers industriels choisis pour cette étude contiennent quatre teneurs en carbone distinctes (0,07 – 0,18 – 0,23 – 0,33% .mass). Deux d’entre elles contiennent également des éléments de Page 74 sur 265 micro-alliage. Ces éléments sont le niobium et le molybdène (notés « + µ » dans le tableau (Tableau 4)), et contribuent à l’affinement de la taille de grain austénitique. Ces quatre nuances d’aciers ont été utilisées pour répondre à deux objectifs. Le premier est de déterminer l’influence de différentes populations de carbures sur la ductilité d’aciers martensitiques à iso-résistance mécanique. Les deux matériaux utilisés pour cela sont le Grade 0,18C et le Grade 0,23C (Tableau 4). Cette variation de la teneur en carbone devrait induire un écart estimé de résistance mécanique de l’ordre de 145 MPa, d’après l’équation développée par Takaki [Takaki 2012]. Afin de compenser une partie de cette perte de durcissement dans le but d’étudier la ductilité à iso-résistance mécanique, du manganèse est ajouté à hauteur de 2% massique. Néanmoins, cet ajout ne permet pas à lui seul de compenser la différence de teneur en carbone dont l’effet durcissant est plus important. Le Grade 0,23C possède donc a priori une résistance mécanique supérieure au Grade 0,18C pour un même traitement thermique. Cette différence sera compensée par des traitements de revenus plus longs. Les autres éléments d’addition, tels que Ti et B, sont présents en quantités similaires dans les deux aciers. Les teneurs en éléments résiduels (tels que P et S), non présentées ici, sont également équivalentes. Le deuxième objectif est d’évaluer l’impact de la taille de grain austénitique sur la ductilité des PHS. Les nuances 0,07C+µ – 0,23C et 0,33C+µ ont été utilisées pour cela. L’étude porte sur trois teneurs en carbone différentes ce qui permettra de valider les tendances sur différentes matrices martensitiques. Ces teneurs en carbone éloignées permettent de quantifier l’influence de la taille de grain austénitique sur une grande partie du domaine de résistance mécanique industriellement atteignable sur des martensites carbone-manganèse. Tableau 4 : Composition chimique (% massique) des quatre aciers industriels étudiés 2.3 Aciers de laboratoire Les coulées en laboratoire ont été réalisées par fusion sous vide par induction (Vacuum Induction Melting (VIM)). Ce procédé permet d’ajuster les compositions chimiques plus aisément que lors des coulées industrielles. Il s’agit d’un four de fusion par induction permettant de couler 3 lingots de 20 kg chacun avec trois nuances d’aciers différentes, en ajoutant un élément chimique (ou plusieurs) entre les coulées.
Compositions chimiques
Pour cette étude, nous avons décidé d’étudier les effets de la concentration en titane à azote constant, à la fois sur la microstructure finale mais aussi sur les propriétés mécaniques, sur des aciers contenant 0,1, 0,2 et 0,3 % de carbone (%mass). Ces compositions chimiques ont été choisies de sorte à obtenir des populations de nitrures de titane (TiN) et de carbonitrures de titane-niobium (Ti,Nb)(C,N) variées mais industriellement réalistes, sur trois matrices martensitiques différentes. Les propriétés mécaniques finales (résistance mécanique typiquement comprise entre 900 et 1800 MPa) ont pour but de cibler le vaste intervalle des nuances martensitiques commercialisées. La teneur en azote a été choisie constante à 40 ppm massique, ce qui est typique de la production. Les teneurs en titane varient entre un minimum réalisable industriellement (200 ppm) et une valeur approximative de 1000 ppm (comprises ici entre 1060 et 1270 ppm), qui correspond à une limite de la définition d’un microalliage. Les teneurs des autres éléments d’alliage sont dans l’intervalle des valeurs usuellement utilisées dans les aciers pour emboutissage à chaud de type 22MnB5. Pour chacune des trois teneurs en carbone (0,1%C, 0,2%C et 0,3%C), le titane a été ajouté en trois étapes lors de la coulée afin de réaliser successivement les lingots « Low Ti », puis « Med Ti », et enfin « High Ti ». Dans la dernière série, une teneur en niobium constante d’environ 650 ppm été ajoutée sur trois aciers 0,2%C contenant les trois mêmes concentrations de titane que les coulées précédentes. Cette addition correspond aux valeurs maximales utilisées dans les aciers industriels carbonemanganèse micro-alliés au niobium. Il est également à noter que cette dernière série contient davantage d’azote. Cet ajout permettra de déterminer les effets du niobium sur trois aciers ayant une même teneur en carbone mais des teneurs en titane variables. Douze nuances ont donc été réalisées et sont répertoriées dans le Tableau 5. Tableau 5 : Compositions chimiques (% mass.) des aciers élaborés en laboratoire (coulées VIM)
Laminages, traitements thermiques et emboutissage
Après la solidification, les lingots sont démoulés puis laminés à chaud une première fois pour simuler l’étape de dégrossissage industriel (pour obtenir l’ébauche). L’ébauche va suivre ensuite un schéma thermomécanique qui se rapproche le plus possible du procédé industriel (Figure 64), excepté que l’on part d’une épaisseur de 30 mm et non de 270 mm comme sur une brame industrielle. Elle est chauffée à 1200 °C (comme dans un four de réchauffage industriel), puis laminée à chaud une seconde fois en 5 passes, ce qui donne une tôle de 2,7 mm d’épaisseur. Elle est ensuite refroidie à l’eau jusqu’à 600 °C puis à l’air pulsé, ce qui permet l’obtention d’une microstructure ferrito-perlitique. Sans repasser par la température ambiante, les tôles sont ensuite placées dans un four à 550 °C pendant 15 h pour simuler le Page 76 sur 265 processus de bobinage utilisé dans l’industrie après le laminage à chaud afin de faciliter le transport. Elles sont ensuite refroidies à 15 °C par heure. À ce stade, les tôles sont dites brutes de laminage à chaud, ou également appelées plus couramment « tôles à chaud » (TAC). La tôle subit ensuite un décapage puis un laminage à température ambiante, appelé laminage à froid (LAF). Cela permet l’obtention d’une tôle de 1,9 mm d’épaisseur ce qui correspond à un taux de laminage de 50% (dite brute de LAF), qui sera finalement traitée thermiquement à une température d’austénitisation comprise entre 900 et 950 °C pendant un temps variable entre 3 et 15 minutes. L’emboutissage est réalisé sur une tôle brute de laminage à froid, et donc ferritoperlitique déformée. Industriellement, l’emboutissage est réalisé après recuit continu et dépôt de revêtement, l’acier est alors ferrito-perlitique recuit et revêtu. Dans cette étude, deux traitements thermiques d’austénitisation seront présentés, le premier est réalisé 900 °C pendant 7 min, et le second à 950 °C pendant un temps d’enfournement de 15 min. Ces conditions d’austénitisation permettent de cibler les valeurs typiques (7 min) et extrêmes (15 min) de traitement thermique utilisées au cours du processus d’emboutissage à chaud industriel. La tôle est ensuite placée sur une presse où sa température chute légèrement mais reste dans le domaine de stabilité de l’austénite. Elle est emboutie à chaud entre deux matrices refroidies à l’eau ce qui réalise une trempe sous presse. L’emboutissage est réalisé à plat et ne comporte pas de fortes déformations plastiques comme lors de la mise en forme d’une pièce automobile industrielle. Cependant l’effort exercé peut engendrer des contraintes supplémentaires lors de la transformation martensitique. Cette étape permet l’obtention d’une microstructure 100% martensitique. Cette martensite est cependant auto-revenue car après la transformation martensitique, la vitesse de refroidissement dans la presse est suffisamment lente pour former des carbures de transition, qui seront étudiés au Chapitre III. Une schématisation du suivi de la température de la tôle lors de l’étape d’emboutissage est disponible sur la Figure 65. Page 77 sur 265 Figure 64 : Processus d’élaboration de l’acier laboratoire, du lingot issu de la coulée à la tôle emboutie et revenue Un revenu, d’une durée conventionnelle de 20 min est ensuite réalisé dans un four à une température de 170 °C. Cela permet de simuler le traitement de cuisson peinture réalisé sur la caisse en blanc automobile. Il en résulte une martensite revenue. Figure 65 : Schéma de l’évolution de la température lors du processus d’emboutissage lors d’élaboration d’acier en laboratoire. Four de traitement thermique : 900°C. Outil refroidi à 20°C. Transformation martensitique
Analyse microstructurale après emboutissage
L’analyse microstructurale des aciers élaborés a été réalisée en utilisant la microscopie optique et la microscopie électronique à balayage (MEB). Les échantillons ont été prélevés parallèlement au sens de laminage de la tôle, enrobés à chaud dans de la résine polymère conductrice, puis polis à la pâte diamantée jusqu’au grade 1 µm en utilisant de l’éthanol comme lubrifiant afin d’éviter l’oxydation de surface et le déchaussement de particules. Les observations ont pour objectifs de mesurer la taille des anciens grains austénitiques, visualiser la zone de décarburation éventuelle et faire l’analyse inclusionnaire.
Anciens grains austénitiques
La réalisation d’une attaque chimique Nital (2 ou 4%), permet de vérifier la présence d’une microstructure 100% martensitique. De plus, elle permet d’observer et de comparer les différentes morphologies de microstructure martensitique suivant les compositions chimiques. Cette attaque permet notamment de révéler les microconstituants de la martensite, tels que les paquets et les lattes. En revanche, elle ne permet pas une observation distincte des anciens joints de grains austénitiques. Pour cela, une attaque de type Marshall (28 mL acide oxalique 5%, 80 mL d’eau distillée, 4 mL de peroxyde d’hydrogène 30%) est nécessaire. Cette attaque chimique est suivie d’un léger repolissage afin de laisser uniquement les anciens joints de grains austénitiques visibles (Figure 66). La détermination de la taille de grain austénitique est ensuite réalisée en utilisant le logiciel METALIA en suivant la norme ISO 643. Par la méthode des intercepts sur plusieurs images, une taille moyenne de grain est déterminée manuellement. Des lignes horizontales et verticales sont tracées par le logiciel, la détermination des joints de grains s’effectue visuellement. Un minimum de 100 mesures est effectué par microstructure, et jusqu’à ce que l’indice de convergence sur les mesures des 5 dernières images soit inférieur à 0,5%. Cette quantification s’effectue toujours au quart de l’épaisseur de la tôle, afin de s’affranchir des effets de bord (refroidissement plus rapide), de la décarburation de surface, ainsi que d’un possible effet de ségrégation centrale du Mn, bien que peu présent dans les coulées de laboratoire. Figure 66 : Exemple de l’observation des anciens joints de grains austénitiques en microscopie optique dans un acier Low C High Ti après attaque Marshall puis léger repolissage (L : sens de laminage, S : épaisseur de la tôle)
Décarburation de surface
Durant le traitement thermique d’austénitisation, entre 900 et 950°C, et en l’absence de revêtement sur les aciers réalisés en laboratoire, le carbone diffuse vers la surface de la tôle et réagit avec l’oxygène de l’atmosphère, formant du CO2 gazeux. Une zone appauvrie en carbone est alors formée proche de la surface avec un gradient de concentration. La diminution de la teneur en carbone en peau de la tôle induit une hétérogénéité microstructurale (Figure 67) pouvant affecter les propriétés mécaniques locales. L’utilisation d’un revêtement aluminié sur les aciers industriels permet de s’affranchir de ce phénomène. La seconde possibilité pour ne pas être impacté par ce gradient de propriétés mécaniques est de mesurer la profondeur de décarburation via des filiations de micro-indentation. Pour mesurer finement la profondeur de décarburation, des indentations Knoop sont réalisées tous les 5 µm de profondeur. La tôle est ensuite rectifiée sur une profondeur suffisante (d’environ 200 µm) pour obtenir un matériau homogène. Cette seconde option a été appliquée pour les aciers de l’étude. Dans certains cas, de la ferrite peut être observée en extrême peau comme sur la Figure 67. Cette approche par rectification a néanmoins l’inconvénient de modifier la rugosité de surface qui pourrait avoir un effet sur l’amorçage de fissure en pliage.
Introduction : contexte général |