Analyse et modélisation cinétique du vieillissement thermique des matrices PEI et PEEK et ses conséquences sur l’absorption d’eau
Vieillissement thermique
De la matrice PEI
La dégradation thermique du PEI a été peu étudiée dans la littérature, principalement à l’état caoutchoutique à haute température supérieure à 300°C. Quelques études ont également été réalisées en dégradation photochimique à 60 °C. Cependant, le PEI étant constitué entre autre d’un motif bisphénol A, nous nous intéresserons aussi aux travaux réalisés sur le polycarbonate et ses dérivés. En effet, la dégradation thermique et photochimique de ces derniers a plus largement été étudiée dans la littérature. Nous élargirons également le champ de recherches aux études menées sur d’autres types de polyimide, pour mieux comprendre la dégradation des groupes imides. Les modifications au cours du vieillissement ont été observées par plusieurs auteurs, aux échelles moléculaire, macromoléculaire et morphologique à l’aide de techniques d’analyse complémentaires. Les conséquences de ces modifications sur les propriétés mécaniques ont également été regardées.
Echelle moléculaire
Des modifications de composition chimique ont été détectées pendant le vieillissement thermique du PEI. Sur la base de ces observations, il a été conclu que la dégradation thermique du PEI serait amorcée par la coupure des liaisons plus vulnérables de la chaine macromoléculaire. Celle-ci peut avoir lieu au niveau des groupes CH3 mais aussi du groupe isopropyle de l’unité bisphénol A [1]–[3], au niveau des liaisons éther, entre les unités phényle et phthalimide, ou encore au niveau du groupe imide [2]–[8]. Selon Corres et al [1], l’étape initiale de décomposition est la coupure au niveau des liaisons C-CH3, qui possèdent l’énergie de dissociation la plus basse de la chaine polymère : Ed(C-CH3) = 251 kJ.mol-1. Les autres coupures se font ensuite de façon aléatoire. Ces ruptures de chaine, observées aussi bien sous atmosphère inerte que dans l’air pour différents polyimides, conduisent à la disparition des groupes éther (à 1250 cm-1), des atomes d’H des cycles aromatiques (vers 825 et 885 cm-1) et à la formation de groupes OH (vers 3500 cm-1) [5], [9]. La diminution de la bande d’absorption correspondant à la substitution des cycles imides (à 1500 cm-1) est également constatée par analyse IRTF [5]. A haute température, les coupures de chaine entrainent aussi la formation d’une grande variété de produits volatils. Ceux-ci ont été mis en évidence par analyse gravimétrique (ATG) ou pyrolyse couplée à la spectrométrie de masse (MS) ou la spectroscopie IRTF, ou encore par analyse MALDI-TOF. Il s’agit de CO et CO2 (entre 2100 et 2400 cm-1) , de H2O (entre 340 et 4000 cm-1), du méthane (CH4, attribué à 3015 cm-1) obtenu par élimination des groupes méthyle des unités de bisphénol A [1], [3], [8], ainsi que d’isocyanates (liaisons N=C=O entre 1000 et 2000 cm-1) provenant de la dégradation du cycle imide [8], [10]–[13]. A 850 °C, Perng [12] a aussi mis en évidence la formation d’aniline provenant de coupures au niveau du groupe imide hydrolysé par l’eau de décomposition du PEI (Figure I-1). La Figure I-2 représente les spectres infrarouges à transformée de Fourrier (IRTF) mettant en évidence la formation de plusieurs de ces produits pendant la pyrolyse du PEI dans l’air. Sont également détectés des composés de plus forte masse molaire contenant : – le cycle phényle des groupes phthalimides substitué par H ou OH, – des extrémités bisphénol A, – des extrémités phthalimide ou anhydride phthalique. Ces différents composés sont obtenus par rupture de la chaine macromoléculaire au niveau des unités diphényléthers et phényl-phthalimides, suivie par le transfert d’un hydrogène [2], [4], [14]. Enfin, la formation de benzène, de phénol et de dérivés alkyle benzène est Chapitre I : Etude bibliographique 8 également observée [2], [4], [5]. Des mécanismes réactionnels ont été proposés pour expliquer la formation de ces différents produits à partir de ruptures de la chaine macromoléculaire (Figure I-3 et Figure I-4). Il s’agit de réactions de thermolyse, c’est-à-dire ne faisant pas intervenir l’oxygène. Figure I-1 : Hydrolyse et coupure du groupe imide entrainant la formation de CO2 et d’aniline [12], [13], [15]. Figure I-2 : Spectres IRTF montrant la formation de produits volatils pendant la dégradation thermique entre 560 et 638 °C du PEI dans l’air [3]. Figure I-3 : Amorçage de la dégradation thermique du PEI par coupures de chaine au niveau des liaisons éther, des groupes isopropylidène et des groupes CH3 du motif bisphénol A, et entre les unités phényle et phthalimide [1]–[4], [6]. C N C O O C C OH O NH O C NH O + CO2 H2N CH3 CH3 O O N O O N O O N O O O N O O HO + + PH + N O O O + N O O OH + PH C CH3 + HC CH2 CH4 + N O O + NH O O + PH Chapitre I : Etude bibliographique 9 Figure I-4 : Rupture de la chaine macromoléculaire du PEI au niveau du groupe imide, entrainant la formation de CO et CO2 [3], [6], [15]. L’oxydation du PEI dans l’air se produit au niveau des groupes isopropyle du motif bisphénol A, comportant les H les plus labiles. Le Tableau I-1 récapitule les valeurs de l’énergie de dissociation [16] de la liaison C-H du groupe CH3 pour différents motifs. L’oxydation des groupes CH3 conduit à la formation de nouveaux produits d’oxydation, détectés par spectroscopie IRTF. Il s’agit de carbonyles, notamment de cétones aromatiques (à 1690 cm-1) et aliphatiques (à 1724 cm-1), d’hydroxyles (vers 3553 et 3514 cm-1 , présentés sur la Figure I-5 dans le cas du vieillissement du PC) et également d’anhydrides (à 1840 et 1860 cm-1) [1], [9], [17]–[19]. Ces derniers seraient formés par l’ouverture du cycle phényle [19] (Figure I-7). La disparition de la bande d’absorption IR caractéristique du groupe isopropyle (liaison C-CH3 à 1186 cm-1) est également observée, ainsi que la disparition des liaisons C-H des méthyles (à 2870, 2933 et 2970 cm-1, comme illustré sur la Figure I-6) [9], [17]. Motif ED (kJ.mol-1) -CHCH2-H 378 CH2=CHCH2-H 343 CH2=C(CH3)CH2-H 322 PhCH2-H 347 Tableau I-1 : Valeurs de l’énergie de dissociation (ED) de la liaison C-H du groupe CH3 pour différents motifs [16]. N O O O O C N C N + CO2 CH N PH N O + CO HN O + CO2 Chapitre I : Etude bibliographique 10 Figure I-5 : Modification de la région des hydroxyles des spectres IRTF au cours du vieillissement du PC dans l’air à 170 °C [19]. Figure I-6 : Evolution de l’absorbance des bandes IR à 2970 (), 2933 () et 2870 cm-1 () attribuées aux groupements CH3, et à 3325 cm-1 () attribuée aux hydroxyles, lors de la dégradation thermique d’un polyimide (PI2080) dans l’air à 330°C [9]. Figure I-7 : Formation d’anhydride par ouverture d’un cycle aromatique [19]. Le mécanisme d’oxydation du motif bisphénol A a été proposé par différents auteurs [4], [14], [18]–[21]. Il est présenté sur la Figure I-8. O O HO O2 O OH OH O O2 Réaction de saturation O OH OH O T°C O O O + H2O Chapitre I : Etude bibliographique 11 Figure I-8 : Schéma mécanistique d’oxydation du motif bisphénol A [4], [18], [19], [21]. I.1.2 Echelle macromoléculaire Des modifications de l’architecture macromoléculaire ont aussi été détectées par chromatographie par perméation de gel (GPC) et par mesure de la fraction soluble [2], [4], [5], [9], [15], [22], [23]. Pour des températures supérieures à 240 °C (soit à l’état caoutchoutique), les auteurs ont observés une augmentation de la masse moléculaire moyenne en poids Mw, ainsi que la formation d’un gel donc d’un résidu insoluble, aussi bien dans l’air qu’en atmosphère inerte. Cela traduit le fait que la réticulation est prédominante sur les coupures de chaine. Des travaux sur la dégradation thermique sous vide du PEI à 380 °C ont permis de déterminer des vitesses de réticulation et de coupures de chaine par macromolécule (ξ) et par unité monomère (Z) [22] : CH2 CH3 CH3 CH3 H2 C C CH3 Réarrangement CH2 CH3 OO CH2 CH3 OOH HO P PH + O2 CH2 CH3 O CH2 CH3 OH PH H2 C C CH3 OO O2 PH H2 C C CH3 OOH H2 C C CH3 O HO + H2 C C CH3 OH PH CH2 + O H3C H2 C OH O HO O2 , PH O2 CH2 CH3 O + O2 CH2 OH O Coupure β Chapitre I : Etude bibliographique 12 – vitesse de réticulation : 4,1. 10 et 7,2. 1 – vitesse de coupure de chaine : 4. 10 et 7. 10
La réticulation entraine une augmentation de la température de transition vitreuse Tg
Toutefois, Augh et al [23] ont observé, à 350 et 400 °C dans l’air, que la Tg du PEI augmente jusqu’à une valeur maximale avant de commencer à diminuer (Figure I-9). Ainsi, à ces températures, la réticulation serait d’abord prédominante sur les coupures de chaine, puis cette prédominance s’inverserait à long terme. Les mécanismes de réticulation proposés par ces auteurs sont la recombinaison bimoléculaire des radicaux éthyles ou l’addition de ces radicaux sur les cycles aromatiques (Figure I-10). Figure I-9 : Evolution de la Tg du PEI pendant son vieillissement en autoclave dans l’air entre 300 et 400 °C [23]. (a) (b) Figure I-10 : Acte de réticulation par recombinaison bimoléculaire de radicaux (a) ou addition de ces radicaux sur des cycles aromatiques (b) [9], [22]. + CH3 CH3 CH3 CH3 + CH3 CH3 Chapitre I : Etude bibliographique 13 Concernant le motif bisphénol A, des travaux menés en thermo-oxydation (à 170 °C et 300 °C) [14], [19] ont montré une diminution des masses moléculaires, traduisant une prédominance du phénomène de coupures de chaine. Cependant, lors de la photo-oxydation dans l’air à 60 °C du PC, Collin et al [17] ont mis en évidence par analyse thermique AFM une évolution non-monotone de la Tg, comme illustré sur la Figure I-11. Après avoir diminué pendant les premiers stades du vieillissement, elle réaugmente pour atteindre une valeur maximale supérieure à la valeur initiale, indiquant ainsi que la réticulation devient largement prédominante sur les coupures de chaine à long terme. Figure I-11 : Evolution de la Tg au cours du vieillissement photochimique du PC dans l’air à 60 °C [17]. Sur cette base, un mécanisme de réticulation du motif bisphénol A a été proposé. Il s’agit de la recombinaison des radicaux issus de l’oxydation des groupes isopropyle (Figure I-12). Chapitre I : Etude bibliographique 14 Figure I-12 : Acte de réticulation intervenant pendant l’oxydation du motif bisphénol A [17]. I.1.3 Echelle morphologique Le PEI étant un polymère amorphe, il peut subir un vieillissement physique lorsqu’il est exposé à une température inférieure à sa température de transition vitreuse [24]. En effet, lorsqu’un matériau amorphe est refroidi de l’état liquide jusqu’à l’état vitreux, il n’est pas dans un état d’équilibre thermodynamique. Le matériau tente alors d’atteindre l’équilibre conformationnel. Ce processus est appelée « relaxation structurale ». Le réarrangement spatial des chaines macromoléculaires va entrainer une modification des propriétés macroscopiques à l’état vitreux, qui cesse lorsque l’état d’équilibre est atteint. Le vieillissement physique du PEI a été étudié par plusieurs auteurs [25]–[32], entre 75 °C (≈ 140 °C en dessous de Tg) et Tg (≈ 215 °C). Une des techniques expérimentales la plus utilisée est la DSC, qui permet de mesurer l’enthalpie (H) du pic endothermique associé à la relaxation. Il apparait juste au-dessus de Tg [25]–[27], [30]–[32]. L’aire, la température ainsi que la hauteur du pic endothermique augmentent avec le temps de vieillissement, jusqu’à une valeur maximale correspondant à l’état d’équilibre (Figure I-13). La pente des courbes d’évolution de ΔH avec le temps de vieillissement donne accès à la vitesse de relaxation. La valeur maximale de l’enthalpie (ΔH∞) augmente lorsque la température de vieillissement diminue. En effet, plus on s’éloigne de la Tg, plus la mobilité moléculaire est faible et donc plus il faudra de temps au polymère pour relaxer et pouvoir adopter un état d’équilibre. Biddlestone et al [25] ont déterminé entre 184 et 209,5 °C l’énergie d’activation du temps nécessaire au PEI pour atteindre son état d’équilibre. Elle est de 1470 ± 300 kJ.mol-1 .
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