Évaluation non-destructive quantitative de structures aéronautiques par la méthode des courants de Foucault
Courants de Foucault et principe des capteurs à CF
Si on soumet un conducteur massif à un champ magnétique d’excitation variant en fonction du temps (cette variation peut-être sinusoïdale ou de forme quelconque), il apparaît dans la masse du conducteur des courants induits appelés courants de Foucault. Leur répartition est telle qu’ils créent un champ magnétique s’opposant au champ d’excitation qui leur donne naissance (loi de Lenz). Le champ d’excitation est souvent créé par une bobine parcourue par un courant variable dans le temps. La configuration la plus simple est celle représentée Figure 1.1, dans laquelle une bobine circulaire unique est utilisée. Le champ total H qui traverse la bobine est la somme des champs d’excitation et d’induction, comme indiqué à l’équation (1.1) : H He Hi (1.1) où et sont respectivement les champs d’excitation et d’induction. H est fonction de plusieurs paramètres : la fréquence d’excitation f , la conductivité électrique , la perméabilité magnétique , les caractéristiques géométriques de la cible, et aussi la position relative du capteur à la cible. La mesure de ce champ peut par conséquent servir à déterminer certains paramètres de la cible. Comme le champ magnétique , le flux magnétique traversant la bobine et par conséquent la tension à ses bornes sont fonction des paramètres qui font mentionnés cidessus. Quand l’un d’eux change, le champ magnétique ainsi que la tension aux bornes de la bobine sont modifiés. En pratique, pour évaluer une structure, plutôt que de mesurer directement H ou la tension aux bornes de la bobine, on mesure souvent son impédance (normalisée). C’est le principe de base des capteurs à courants de Foucault. Si le principe des capteurs à courants de Foucault est relativement simple et facile à mettre en œuvre, nous allons voir cependant dans ce qui suit que les possibilités de contrôle et d’évaluation non destructifs qu’ils offrent sont contraintes par l’effet de peau. Figure 1.1 Principe d’un capteur à courants de Foucault. D’un point de vue formel, considérons un matériau électriquement conducteur soumis à un champ d’excitation uniforme et sinusoïdal de pulsation , orienté parallèlement à la surface du conducteur (selon Oy ). induit une nappe de courants de Foucault sinusoïdaux de pulsation , plane, uniforme, parallèle à la surface du conducteur et de densité surfacique qui n’a qu’une composante selon Ox (Figure 1.2). Cette nappe de courant induit à son tour (loi de Lenz) un champ s’opposant au champ d’excitation. Le champ résultant est parallèle à Oy et il varie en fonction de z et du temps t. Dans le cas où la cible est plane et infinie, la densité des courants de Foucault s’exprime comme (1.2) [PCS89] 0 cos cos 4 z f z z J J e t z f J t (1.2) Chapitre 1: Problématique END quantitative de structures aéronautiques par la méthode CF 25 L’équation (1.2) montre que l’amplitude Jz de la densité des courants de Foucault est fonction de la perméabilité et de la conductivité et que son amplitude décroit exponentiellement à partir de la surface du conducteur. La phase de la densité des courants de Foucault dépend également des paramètres du conducteur et de la fréquence d’excitation. Figure 1.2 Nappe de courant plane infinie excitant un conducteur illimité. Les courants de Foucault forment des boucles qui ne circulent dans un matériau conducteur que jusqu’à une faible profondeur sous la surface. Ce phénomène est appelé effet de peau. D’après (1.2), théoriquement l’amplitude de la densité des courants de Foucault ne s’annule jamais, mais il est bien évident qu’au delà d’une certaine profondeur elle devient très faible. Par définition, on appelle profondeur de pénétration standard la profondeur à laquelle l’amplitude de la densité de courant atteint la valeur : 1 0 0 f z J J e J e (1.3) d’où l’on tire : 1 f (1.4) Dans le domaine du CND à CF, est souvent appelée épaisseur de peau. Pour un capteur à CF c’est environ l’épaisseur jusqu’à laquelle, à une fréquence donnée et pour un matériau donné, pénètreront les CF, et c’est donc approximativement celle jusqu’à laquelle l’inspection pourra être menée. Chapitre 1: Problématique END quantitative de structures aéronautiques par la méthode CF 26 Notons que dans le cas plus général (une pièce excitée par une sonde) la profondeur de pénétration est très mal connue, et lorsque la sonde est en contact avec la pièce on admet qu’elle est égale à la profondeur de pénétration standard.
Problématique de l’END par CF
La technique de l’END par CF consiste à stimuler la cible à l’aide d’un système d’excitation qui émet une onde électromagnétique incidente, puis à analyser les interactions de cette onde avec la cible à l’aide d’un système de réception qui en observe les effets en surface afin de trouver la valeur de paramètres de la structure inspectée. L’excitation induit la circulation de CF dans la cible, qui dépend des propriétés géométriques (épaisseur, forme,…) et physiques (conductivité électrique, perméabilité magnétique) de celle-ci. La circulation des CF génère à son tour un champ magnétique de réaction, dont une partie peut être observée à la surface du matériau, à l’aide d’un récepteur composée d’un ou plusieurs capteurs de champ. On cherche alors à déduire quantitativement les propriétés de la structure à partir de l’observation ainsi effectuée. Schématiquement, un problème END par CF peut être envisagé de la manière représentée sur la Figure 1.3. Figure 1.3 Schéma synoptique de l’évaluation non destructive par CF. Ici, les paramètres recherchés p (épaisseur, profondeur, conductivité électrique,…) sont « observés » par le système instrumental CF, qui fournit des données CF fonction de p mais aussi d’autres paramètres p’ de la cible ainsi que d’information particulières p’’ liées au système instrumental, dans l’espace des observations : X(p, p’, p’’). A partir de ces données, Chapitre 1: Problématique END quantitative de structures aéronautiques par la méthode CF 27 on cherche à remonter aux estimations des paramètres de la cible, en résolvant le « problème inverse ». Cette approche nécessite la connaissance d’un modèle m (p, p’, p’’) capable de prédire les données CF en fonction des paramètres de la cible et de ceux du système instrumental. Cette modélisation des interactions capteur/cible (sous forme d’un modèle direct) est nécessaire tout d’abord pour dimensionner le système instrumental afin qu’il fournisse des données CF pertinentes, et ensuite pour rendre possible la solution quantitative du problème inverse. Toutefois, la résolution d’un problème d’END quantitative par CF est difficile à cause de phénomènes suivants : Premièrement, la diffusion de l’onde dans le milieu conducteur limite la profondeur d’examen (effet de peau) ainsi que la résolution spatiale. Deuxièmement, la longueur d’onde de l’onde émise et les dimensions de l’objet à reconstruire sont du même ordre de grandeur, ce qui implique que les phénomènes de diffraction deviennent prépondérants. Troisièmement, l’objet à mesurer (par exemple un défaut) ne se situe généralement pas dans le même milieu que l’onde émise par l’instrument d’inspection, il est donc nécessaire de tenir compte des interfaces entre les milieux. Il résulte de ces propriétés que les relations liant l’onde incidente au champ diffracté par l’objet sont non linéaires, et n’admettent pas de solutions simples dans le cas général. Enfin, l’image CF observée à la surface de la cible résulte de la superposition de phénomènes qui prennent place dans tout le volume « éclairé » de la cible. Or, l’enrichissement des données CF par multiplication des « vues » de l’objet, qui permettrait de contourner cet inconvénient, est rarement envisageable en pratique car il est rare que l’on puisse accéder à plusieurs faces de l’objet inspecté. La mise en œuvre de l’évaluation quantitative selon l’approche de la Figure 1.3 nécessite finalement la résolution de trois problèmes connexes : – Le problème d’instrumentation, qui concerne la conception du dispositif instrumental (capteur) adapté à la cible à observer (de façon à rendre aussi riches d’informations que possible les données CF), sa réalisation technologique, et le développement de l’instrumentation associée à sa mise en œuvre. Chapitre 1: Problématique END quantitative de structures aéronautiques par la méthode CF 28 – Le problème direct, qui concerne la modélisation des interactions capteur/cible, en vue de l’optimisation du système instrumental, puis de l’interprétation des données expérimentales – Le problème inverse, qui consiste à élaborer les algorithmes de traitement du signal permettant d’estimer, à partir des signaux fournis par le système d’observation, les paramètres d’intérêts de la cible observée. Notons que du point de vue pratique on distingue généralement trois types de méthodes d’END par CF : les méthodes mono-fréquence, multifréquences et impulsionnelle.
Modèles de connaissance directs
La modélisation des interactions entre une sonde CF et la cible inspectée répond à un double besoin : – prédire les interactions afin de dimensionner les systèmes d’émission et de réception des sondes et d’optimiser les conditions opératoires, – établir des relations directes liant les données CF aux caractéristiques de la cible, en vue de résoudre le problème inverse. Ce modèle doit être suffisamment proche de la réalité physique, économe en ressources informatiques et rapide, afin de rendre l’inversion possible. La modélisation de ces interactions capteur/cible peut être mise en œuvre à l’aide d’une approche de connaissance interne (modélisation interne), ou d’une approche comportementale (modélisation externe). Nous allons présenter ces deux types de modèles aux sections suivantes.
Modèles de connaissance internes
La modélisation interne exploite la connaissance « interne » du système étudié, à savoir celle de la sonde utilisée, de la cible inspectée et de leurs interactions physiques, lesquelles sont régies par les équations de Maxwell. Cette approche exige la résolution d’un jeu d’équations différentielles associées à des conditions aux limites. La résolution exacte vise à élaborer un modèle analytique qui constitue le cas de figure « idéal » pour la résolution du problème inverse. Toutefois, la solution analytique n’est le plus souvent accessible que dans un ensemble de cas canoniques ou particuliers, éventuellement associés à des hypothèses simplificatrices [DD68, LDD70, UMMR93, JBB00, LTT07]. Dans un carde d’hypothèses simplificatrices fortes, des modélisations analytiques dites « analogies », ont pu être proposées [Lib71, Pla84, Bur86, Duf93, Mil98, LeB03], et sont exploitables dans un domaine de validité réduit. Pour des configurations d’END quelconques, il est nécessaire de recourir à des solutions numériques (modèles numériques) approchées telles que la méthode des éléments finis (EF), des intégrales de volume (IV), ou des intégrales de frontières (IF) [Ida94]. La méthode EF consiste à discrétiser le domaine d’étude en sous-domaines élémentaires, ou mailles, classiquement de forme tétraédriques (2D) ou hexaédriques (3D). Aux nœuds de ces mailles sont calculés les potentiels vecteur magnétique et scalaire électrique V, par minimisation d’une fonctionnelle qui peut s’apparenter à une énergie. La valeur de ces grandeurs en tout point du domaine d’étude est calculée à partir des valeurs aux nœuds par interpolation à l’ordre 1 ou 2, et les grandeurs électromagnétiques (densité des CF, champ magnétique,…) sont calculées à partir de et V. Des formulations exploitant des éléments d’arrêtes [RR96] peuvent être préférées dans le cas de matériaux présentant des perméabilités magnétiques différentes (présence de noyaux magnétiques). La technique de modélisation par EF peut être vue comme une technique de modélisation « universelle », car elle permet de simuler toute configuration CF/cible en 3D. Cependant, sa mise en œuvre peut être fastidieuse et nécessiter des ressources informatiques importantes dans le cas de configurations complexes, ou d’études paramétriques. En outre, un compromis entre l’erreur d’approximation et le temps de calcul doit être établi. La méthode IV s’appuie sur le formalisme des équations intégrales [Bow87] et sur l’utilisation de fonctions de Green qui sont les solutions des équations de propagation de sources de courants élémentaires et qui comprennent les conditions aux limites des interfaces de la géométrie étudiées. La modélisation IV nécessite généralement de ne discrétiser que le domaine comprenant le défaut (que comporte la structure à évaluer). Elle est donc rapide, économe en ressources informatiques, et bien adaptée à la modélisation en END [ARV99, Pre06]. Elle est toutefois limitée aux géométries canoniques, quoique des interactions capteur/structures complexes telle que des assemblages rivetés aient déjà été traitées [RTVV+06]. La modélisation IF constitue une variante de la méthode IV, adaptée au problème des fissures fines [Pre06]. Une méthode semi-analytique à sources ponctuelles distribuées (DPSM) est développée au laboratoire SATIE depuis une dizaine d’année. Cette méthode consiste à modéliser les zones actives du domaine d’étude par un ensemble discret de sources rayonnant dans le milieu considéré. Aux interfaces entre les milieux, un jeu de sources virtuelles, placées de part et d’autre de l’interface, permet de calculer les grandeurs transmises et réfléchies, en tenant compte des conditions aux limites. Les grandeurs d’intérêt sont alors calculées dans tout le domaine d’étude comme la somme des contributions des sources actives et des sources virtuelles d’interface. Cette technique présente l’avantage de simuler des configurations 3D de façon économique, dans un formalisme matriciel, et avec un degré de précision ajustable [PK07]. Cette technique a trouvé de nombreuses applications dans le domaine de l’électromagnétisme, des ultrasons, ou encore de l’électrostatique [PB09].
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