Notion de jeu en maternelle chez l’enfant dysphasique
La dysphasie développementale
Terminologie et définition a) Terminologie Nous comptons aujourd’hui bon nombre de terminologies pour décrire les déficits spécifiques du développement du langage qui apparaissent chez des enfants sans retard mental et exempts de troubles neurologiques. En effet, se sont succédés des termes tels que « dysphasie développementale » mais également « aphasie congénitale » en passant par « aphasie développementale ». Dans la littérature internationale, ces terminologies se sont vues évincées par le terme de « Trouble Spécifique du Langage » (TSL) ou « Specific Language Impairment » (SLI). Toutefois, en France, dans le milieu clinique, le terme de « dysphasie développementale » reste le plus employé. C’est pourquoi nous conservons cette appellation. Par ailleurs, dans la littérature anglo-saxonne, on utilise le terme SLI pour qualifier les altérations du langage chez l’enfant de façon globale. Par conséquent, un enfant dysphasique et un enfant qui présente un simple retard de langage ne seront pas distingués au niveau de la terminologie dans cette littérature anglo-saxonne. b) Définitions Pour définir la dysphasie, la plupart des auteurs présentent une définition par exclusion, soulignant les symptômes que l’enfant ne rencontre pas. Pour Benton (1964) et Gérard (1991), il s’agit d’«un déficit grave et durable du développement de la production et/ou de la compréhension de la parole et du langage, en l’absence d’autres dyscapacités susceptibles de rendre compte de ces difficultés, telles que la surdité, la déficience mentale, des troubles neuro-moteurs, des troubles graves de la communication comme l’autisme ou une situation de privation sociale aiguë » (p . ?). Selon les classifications internationales, les troubles spécifiques du développement du langage expressifs, d’une part, et mixtes (réceptif/expressif), d’autre part, sont regroupés sous la rubrique « troubles du développement 8 psychologique » dans la CIM 10 (1992-1994) et « troubles de la communication » dans le DSM-IV-TR (2003). Ces troubles existent en l’absence d’un trouble envahissant du développement, d’un retard mental, d’une anomalie neurologique, d’un problème moteur impactant sur la parole, d’un déficit sensoriel ou d’une carence de l’environnement. Par conséquent, le DSM-IV-TR reste très global, ne permettant pas d’isoler une entité dysphasique. Ici, nous pouvons souligner que les troubles du développement du langage toucheraient entre 3 et 7 % des enfants d’âge scolaire, donc dès l’école maternelle (cycle 1). Or, les troubles ne persisteront que pour un dixième d’entre eux. Ces derniers seront diagnostiqués dysphasiques au-delà de 6 ans. Cet âge est dit limite en neuropsychiatrie pour poser un diagnostic clinique de dysphasie (Gérard, 1992). c) Diagnostic Les définitions préalablement citées ont posé problème et ont été remises en question un certain nombre de fois par des auteurs aux pensées divergentes. Elles sont toujours discutables. Le diagnostic de dysphasie est difficile à poser, il faut tenir compte de nombreux critères et surtout être attentif à ne pas confondre ce dernier avec d’autres pathologies. Cependant, la majorité des cliniciens et chercheurs travaillant dans le domaine de la dysphasie ont retenu et fait émerger des critères diagnostiques. Ainsi, pour poser un diagnostic de dysphasie, il faut passer par deux étapes indispensables. Premièrement, il faut éliminer les autres pathologies susceptibles de correspondre aux symptômes de l’enfant, nous appelons cette phase le diagnostic négatif. Dans un second temps, il faut mettre en évidence un certain nombre de symptômes relevant de la pathologie de l’enfant. Ici nous parlons du diagnostic positif. Les critères de diagnostic négatifs (Léonard,1998) : – Logopédique : à travers ce critère, nous cherchons à différencier un retard de langage et une dysphasie. La dynamique quant à la progression est totalement différente. La dysphasie s’observe dans la durée et engendre des déviances dans les mécanismes langagiers alors qu’un retard langagier va s’estomper assez rapidement avec un traitement orthophonique parfois nécessaire : « on peut attribuer la dysphasie à l’atteinte du cadre linguistique et le retard simple à l’atteinte du contenu. Nous faisons alors de la dysphasie un trouble 9 structurel, ce qui explique la permanence du déficit, et du retard simple un trouble fonctionnel, résultant d’un mauvais remplissage du cadre » (Gérard, 1991, p. ?) – Auditif : il faut vérifier si l’enfant n’a pas une déficience auditive plutôt qu’une dysphasie. Un enfant malentendant ou sourd se trouve souvent dans un mutisme, une absence de communication, une aphasie du langage. En effet, son incapacité à entendre les autres et soi-même ne lui permet pas d’accéder au langage oral. – Psychologique : les psychoses infantiles et dysharmonies évolutives doivent être détectées car elles pourraient être confondues avec une dysphasie au vu des troubles de la communication qu’elles génèrent. Observer l’enfant dans ses interactions, dans ses jeux, est très important pour les déceler. – Autisme : chez l’enfant autiste, il existe une altération très importante des interactions sociales. Les communications verbales et non-verbale sont atteintes. L’enfant autiste, à l’opposé de l’enfant dysphasique, ne cherche pas à partager ses plaisirs. Son jeu n’a pas de sens à nos yeux, n’est ni communicatif, ni structuré, ni structurant. L’enfant autiste est étranger aux modes de communication habituels : il ne regarde pas l’Autre, sauf parfois à la dérobée, ne sourit pas, n’a pas de mimiques imitatives, pas de mouvement d’anticipation – Déficience intellectuelle : Ici, il y a une pauvreté au niveau de la pensée symbolique de l’enfant, cela va se ressentir au travers de ses dessins, de ses jeux, du contenu de son discours, etc. L’enfant présentant une déficience intellectuelle va se réfugier dans le mimétisme. Se reporter à l’anamnèse est un réflexe qu’il faut avoir en tant qu’orthophoniste mais également pour tous professionnels prenant en charge l’enfant dysphasique. En outre, l’enseignant, ou l’adulte référent de façon quotidienne pour l’enfant, doit s’intéresser à l’anamnèse pour avoir une démarche cohérente d’inclusion. En effet, il faut rechercher les 10 possibles antécédents familiaux de troubles du langage et/ou des apprentissages, s’intéresser particulièrement à l’histoire du trouble, noter les âges d’apparition des premiers mots et des premières phrases, ect Les critères de diagnostic positifs Les marqueurs de déviance décrits par Gérard (1998) ne sont retrouvés à aucun moment de l’évolution normale du langage et sont caractéristiques d’un trouble structurel langagier. Gérard en distingue six que nous allons détailler ci-dessous. Les chercheurs considèrent un individu comme étant dysphasique lorsqu’au moins trois de ces marqueurs sont reconnus. – Les troubles d’évocation lexicale : il s’agit d’une difficulté d’accès au signifiant alors que ce dernier appartient au lexique réceptif. Ils se manifestent par une lenteur d’évocation, un manque du mot comblé par des paraphasies sémantiques, phonémiques ou des périphrases. – Le trouble d’encodage syntaxique : il est responsable d’un agrammatisme ou d’une dyssyntaxie. L’enfant ne respecte pas l’organisation et l’ordre des mots dans une phrase, omet les mots fonctionnels et utilise préférentiellement les formes verbales infinitives. – L’hypospontanéité : l’enfant présente un manque d’initiation verbale. Les productions orales sont pauvres et souvent réduites à des phrases minimales, le seul biais du canal verbal. – Une dissociation automatico-volontaire : l’enfant ne peut produire volontairement un mouvement, un mot qu’il peut, en revanche, produire spontanément. – Le trouble de compréhension verbale : il s’agit d’une altération des capacités de compréhension allant parfois jusqu’à une réelle agnosie auditive (cas des dysphasies réceptives). Dans les formes de dysphasie expressive, même si la compréhension est supérieure à l’expression, elle n’est jamais totalement préservée. 11 B. Sémiologie et classification des dysphasies Parler de dysphasie développementale, c’est nommer un trouble spécifique observable au niveau de la structure même du langage. Nous pouvons rappeler que la dysphasie engendre des perturbations au niveau d’un ou des aspects linguistiques. Comme il est peu fréquent, voire même rare, qu’un enfant dysphasique présente tous les symptômes de la dysphasie, nous constatons qu’il existe plusieurs classifications regroupant les symptômes dominants. Parmi ces classifications, on compte celle d’Ajuriaguerra (1973), celle de Rapin et Allen (1983, 1988) qui considèrent la dysphasie développementale comme une pathologie subtile du système nerveux central, et celle de Le Heuzey, Gérard et Dugas (1990) qui constitue une adaptation du modèle de Crosson (1985). Nous allons détailler ces dernières. a) Le modèle de Crosson (1995) Pour comprendre ce modèle, il faut revenir sur la dynamique de traduction qui s’effectue entre le décodage et l’encodage. Le modèle de Crosson nous explique la programmation de l’encodage dans le cas de la dysphasie. Cette dernière s’effectue au niveau des centres corticaux antérieurs, grâce à deux modules : d’une part, le centre formulateur (contenu sémantique et syntaxique) et, d’autre part, le centre programmateur (séquence des opérations d’actualisation de ce contenu). Certaines parties du cerveau assurent la réception et la compréhension du langage, ce sont les centres postérieurs. Ainsi le décodage, qui permet de mettre du sens aux mots entendus, a lieu. Les centres sous-corticaux assurent la cohérence des actions des centres précédents, tant au moment de la programmation que de la réalisation de l’acte langagier. Par ailleurs, des systèmes de contrôle phonologique et sémantique sont également présents.
La classification de Heuzey, Gérard et Dugas (1990)
Le syndrome phonologique-syntaxique C’est la forme de dysphasie la plus fréquemment rencontrée. Ici, nous constatons une faille quant à la jonction formulation-programmation. Les enfants dysphasiques sont tout à fait capables de recevoir l’information mais rencontrent de grandes difficultés quant à la 12 reformulation, à l’expression d’une forme de réponse. Quand l’enfant produit, nous constatons une réelle pauvreté lexicale et syntaxique, et une lenteur au niveau du débit de parole. On peut même parfois parler de productions verbales inintelligibles. L’organisation des sons est archaïque. Cela altère donc le processus d’échange, de communication. Pour pallier ces difficultés, la gestuelle et les mimiques sont beaucoup employées par l’enfant dysphasique. Ils ont recours à des méthodes de substitution face à ce syndrome phonologiquesyntaxique. Il y a pourtant une conscience syntaxique. Par ailleurs, l’anamnèse de ces enfants nous livre souvent un phénomène transgénérationnel quant aux troubles du langage et des déviances développementales pour l’enfant dysphasique. L’examen met en évidence des difficultés de réalisation de gestes fins surtout séquentiels impliquant la face, les lèvres et la langue et des difficultés psychomotrices plus générales. Globalement, les difficultés de production verbale correspondent à des difficultés de même intensité dans la réalisation d’actes moteurs séquentiels. • Le trouble de production phonologique Ici, l’expression est touchée. En effet, malgré un débit de parole que nous pouvons caractériser de normal, le discours est absolument inintelligible. Lorsqu’un enfant est atteint de trouble de production phonologique, il n’y a pas systématiquement de déformations dans les productions langagières. De plus, il n’est pas dans la simplification comme dans le syndrome phonologique syntaxique. Le déficit porte ici sur le contrôle de la production phonologique et non sur la programmation de la mise en chaîne verbale. L’enfant éprouve de grandes difficultés dans le placement de ses différents organes bucco-phonatoires. Par conséquent, l’émission des sons est difficile. Cette défaillance du contrôle se constate à d’autres niveaux : discursif, c’est-à-dire que l’enfant a du mal à procéder par le raisonnement, par l’analyse ; l’évocation lexicale avec de nombreuses conduites d’approche. Ces enfants sont par ailleurs, très conscients de leurs troubles, ce qui les amène à éviter la communication verbale car celle-ci est très coûteuse en énergie. Ce sont des enfants contrôlés, des « économes mesurés ». • La dysphasie réceptive Dans le cas d’une dysphasie réceptive, l’enfant entend mais ne comprend pas l’objet entendu. Il n’arrive pas à décoder l’information, c’est au niveau de la communication orale qu’il est face à des obstacles. On peut comparer son comportement à celui d’un enfant sourd. 13 C’est la compréhension qui est la plus atteinte, l’expression de ces enfants est quant à elle présente même si pauvre, peu informative et plaquée par reproduction des quelques mots compris. Le langage de surface peut d’ailleurs faire illusion. En effet, le langage spontané ne révèle pas toujours les difficultés expressives de l’enfant. A l’inverse, si on l’oriente sur un sujet précis, lui demandant de mobiliser un langage adapté, on observe un réel blocage. Dyssyntaxie, manque du mot, paraphasies phonémiques, verbales, confusions phonémiques en répétition en sont la conséquence. Dans le cas d’une intelligence dite « normale », l’enfant s’accommode de ce trouble. Effectivement, il s’adapte grâce à son environnement qui lui offre des supports visuels. Cependant, nous observons des séquelles indéniables dans le passage à l’écrit et dans la conception de phrases complexes. • Les dysphasies mnésiques ou lexicales syntaxiques Dans ce type de dysphasie, le problème du manque de mots qui s’associe à une difficulté à contextualiser le discours et s’aider de cette contextualisation est majeur. Cela invalide l’enfant qui a conscience de son trouble. Ce dernier est un trouble du système de contrôle sémantique. Le volet expressif est très touché surtout en expression dirigée. Comme nous l’avons dit précédemment, l’enfant est conscient de son trouble, par conséquent, il va réduire ses productions. C’est un mécanisme de défense. Les difficultés portent également sur la compréhension orale et écrite, du fait des capacités de catégorisation sémantique limitées. • La dysphasie sémantique-pragmatique ou « cocktail party syndrome » Il s’agit d’un trouble de la fonction de formulation. Les auteurs font un lien avec l’autisme lors d’un cas de dysphasie sémantique-pragmatique. En effet, nous pouvons justifier cette association par le fait que, ici, ce ne sont pas les aspects formels du langage qui sont atteints mais les aspects fonctionnels. Les enfants qui présentent ce trouble font illusion grâce au langage spontané dans la plupart des cas. Ils en sont capables car leur développement phonologique et syntaxique est peu touché. Cependant, lors d’une situation de langage dirigé, ces mêmes enfants rencontrent des difficultés majeures. Ils ne sont pas capables de traiter l’information avec l’étayage attendu et ne semblent pas parvenir à choisir les mots et les structures des phrases les plus appropriés. Leur discours est incohérent, manque de pragmatisme, de pertinence. Il est compliqué de tenir une conversation avec ces derniers, car il y a une anarchie du discours : tour de parole, contexte, questions adéquates, etc. En outre, l’enfant n’a pas conscience de son trouble.
Partie théorique |