Utilisation de la morphogranulométrie dans le suivi source to sink du transfert particulaire dans les bassins versants
SUIVI SOURCE TO SINK SURFACE-SOUTERRAIN DU TRANSFERT PARTICULAIRE EN CONTEXTE KARSTIQUE : APPLICATION AU SITE DE NORVILLE
CONTEXTE ET ENJEUX
L’utilisation de la morphogranulométrie comme proxy dans le suivi source to sink du transfert particulaire entre les eaux de surface et souterraine va être étudiée sur le bassin versant karstique de Norville. Ce site fait partie de l’observatoire du karst de la craie du réseau SNO karst (Service National d’Observation de l’INSU).Le système karstique de Norville se situe au Nord de la commune de Norville sur la rive droite de la Seine à 40km de son embouchure (Figure 79). Situé dans les formations secondaires crayeuses de l’Ouest du Bassin de Paris, il s’agit d’un système perterésurgence caractérisé par la présence d’une faille (faille de Triquerville). Cette faille met en contact des argiles peu perméables (Albien) avec la craie à Silex (Sénonien) fracturée et karstifiée (Figure 80). Figure 79 : localisation géographique du site de Norville Les formations géologiques du compartiment nord sont les suivantes : (Massei, 2001) Le Kimméridgien (Jurassique supérieur) affleure dans la région de Villequier sous la forme d’argiles gris-noir et de calcaires marneux. Le Crétacé inférieur transgressif sur le Kimméridgien débute par des sables argileux et se poursuit par des grès ferrugineux et des sables verts aquifères. L’Albien est représenté par des argiles noires de faciès Gault, très glauconieuses, constituant le mur imperméable de la nappe du Vraconien (Cénomanien inférieur). Le Vraconien (Cénomanien inférieur) est caractérisé par des silts gris micacés, siliceux et pyriteux. Le Cénomanien est constitué par de la Craie à silex, ces derniers étant moins abondants dans la partie supérieure que dans la partie inférieure. Le Turonien correspond à de la Craie blanche tendre ou jaunâtre indurée souvent pauvre en silex. 99 La partie sud est moins complexe (Massei, 2001) : le compartiment sud est constitué par de la Craie blanche à silex du Coniacien. On distingue dans la partie inférieure 40 à 50 m de Craie blanche ou jaunâtre à zones limonitiques et argileuses localisées sur des fissures. Les bancs ont des tailles métriques et sont séparés par des bancs de silex noirs de taille centimétrique. La partie supérieure du compartiment sud est une Craie très blanche à grains de glauconie. Les bancs d’épaisseur métrique contiennent des silex libres ou en bancs plus épais que ceux de la partie inférieure. Figure 80: coupe géologique schématique du système karstique de Norville selon Pleuvret 1997 (Duran, 2015) Le Nord de la faille est donc recouvert en partie par les argiles imperméables de l’Albien et est donc marquée par une dominance des écoulements de surface et peu d’infiltration, ce qui se traduit par la présence d’un ruisseau, le Bébec. Le bassin versant du Bébec (8,6km²) est donc principalement recouvert d’un substrat d’argiles et de formations superficielles, l’occupation des sols est en quasitotalité dominée par des terres agricoles et forestières (Figure 79). Le cours d’eau va s’infiltrer entièrement au niveau d’une bétoire (appellation locale d’une perte) lorsqu’il arrive sur les niveaux crayeux de la partie sud, mis en contact par la faille de Triquerville. Au Sud, de l’autre côté de la faille, toute la surface du plateau crayeux est marquée par une infiltration diffuse via les fissures de la craie sénonienne (Duran 2015). En pied de falaise, en bordure de la plaine alluviale de la Seine, la source du Hannetot restitue l’eau provenant de la bétoire et de l’infiltration diffuse (Figure 81). C’est une source de débordement qui ressort au contact entre la craie et les alluvions de la plaine alluviale de la Seine à la faveur d’un conduit karstique hérité du niveau de base flandrien (Fournier, 2006). 100 Figure 81 : représentation schématique du karst de Norville Le Bébec est alimenté par la nappe perchée du Cénomanien via un ensemble de sources diffuses à l’interface avec les argiles de l’Albien. C’est donc un ruisseau permanent mais il subit de grandes variations de débit. Il est alimenté par de nombreux vallons temporaires qui s’activent lors de pluies intenses. La géomorphologie du bassin versant (forte pente, densité de drainage élevée) induit un comportement hydrologique très réactif aux fortes précipitations (Massei, 2001). Son débit en étiage autour de 3l/s peut atteindre plus d’1m3 /s lors de crues hivernales. A partir de 50l/s, la perte sature (Massei, 2001), déborde et alimente une ravine qui va former un ruisseau s’écoulant vers le Sud pendant plus de 2km jusqu’à la Seine. Des aménagements sous la forme de trois bassins de rétention ont été mis en place dans les années 2000 avec l’objectif de contrôler ces débordements ; ce qui est partiellement le cas puisque ceux-ci sont moins nombreux et intenses. La source du Hannetot a alimenté en eau potable les 4 communes à proximité (Triquerville, Norville, Saint-Maurice-d‘Etelan et Petitville) de 1961 à 1992 (Fournier, 2006; Massei, 2001). Les pics réguliers de turbidité lors des crues dépassant les normes réglementaires ont poussé l’exploitant à réaliser un forage AEP (alimentation en eau potable) dans la plaine alluviale et crépiné dans la craie. Il se situe à 130m de la source et permet d’exploiter directement l’eau de la nappe, de meilleure qualité. Ces pics de turbidité illustrent le fait que ces circulations d’eau souterraine sont les vecteurs d’un transfert particulaire conséquent. Fournier (Fournier, 2006) identifie les différents forçages contrôlant les variations dans ce transfert : (1) La pluviométrie influe sur la granulométrie des particules engouffrées à la perte ; (2) Le gradient hydraulique est défini par le niveau piézométrique et le marnage en Seine. Cette dernière draine l’aquifère du Hannetot suivant ses conditions de marnage et de flux. Lorsque le niveau de la Seine est bas, on observe un gradient plus fort entrainant plus de particules plus grosses. Le phénomène inverse se déroule lorsque le niveau de la Seine est haut ; (3) L’influence anthropique liée au pompage dans le forage AEP, qui fait également varier le gradient hydraulique. Chedeville 2015 montre dans sa thèse que la plupart des sédiments s’introduisant à Norville et dans les réseaux karstiques voisins proviennent des formations superficielles environnantes (colluvions/limons/Lœss et Sables) et de la roche encaissante (craie). La Figure 82 illustre la dynamique sédimentaire à l’intérieur de ces systèmes : D’abord l’introduction dans le système des particules provenant de la surface lorsque l’eau s’infiltre dans les pertes et dolines (1-2). L’eau 101 provenant de la surface a également un pouvoir érosif provoquant le détachement de particules provenant de l’encaissant (3-4-8). Toutes ces particules peuvent se redéposer à l’intérieur du système, les plus mobiles sont transporté jusqu’en dehors du système (5-6-9). Figure 82 : Modèle conceptuel de la dynamique sédimentaire du karst de l’Ouest crayeux du Bassin de Paris en fonction des critères d’introduction, de production, de transport et de sédimentation des éléments solides transportés par les fluides (Chedeville 2015, modifié de Rodet, Chedeville, and Laignel 2013) Via l’analyse d’une carotte sédimentaire prélevée dans une zone de sédimentation au niveau de la résurgence de la source du Hannetot, Chedeville 2015 a réalisé une analyse hydrochimique des sources sédimentaires avec 3 sources : les sables de Lozère, la craie et ses insolubles, puis les lœss. Il observe des variations de proportions de ces sources entre les différents faciès retrouvés sur cette carotte. Avec l’utilisation de la granulométrie et du diagramme de Passega (Passega, 1957), il a pu associer ces différents faciès avec des conditions hydrodynamiques de dépôts, correspondant à un milieu relativement agité. Cette carotte ne correspond toutefois qu’à une seule partie des sédiments transitant à la source : ceux qui se sont déposés dans l’ancien bassin de captage de la source du Hannetot. Une partie des particules plus fines ne se dépose pas, elle reste en suspension et est transportée via le Hannetot jusqu’à la Seine, en particulier lors des évènements de crue très turbides. Plusieurs questions se posent en lien avec la morphogranulométrie des particules et le transfert sédimentaire dans ce réseau karstique : Peut-on identifier les différentes sources sédimentaires du bassin versant dans les particules en suspension à la perte du Bébec et à la source du Hannetot avec la morphogranulométrie ? Y-a-t-il des différences entre les matières en suspension à la perte du Bébec et celles à la source du Hannetot ? Y-a-t-il des variations temporelles dans les contributions des sources sédimentaires ? Retrouve-t-on les mêmes résultats dans une carotte sédimentaire prélevée à la résurgence du Hannetot ? Quels sont les forçages ? Pour répondre à ces questions, plusieurs analyses sont réalisées. Tout d’abord, une étude spatiale des sources de sédiments du bassin versant pour réaliser un modèle de mélange de ces sources. Ce modèle est ensuite utilisé à des fins de prédiction sur des prélèvements mensuels réalisés depuis fin 102 2016 jusqu’en 2019 à la perte du Bébec et à la source du Hannetot. Les contributions de ces sources et les variations temporelles de ces transferts de sédiments peuvent être calculées. Les différences entre les particules à l’amont (perte) et à l’aval (source) du réseau karstique sont évaluées. Une carotte a également été prélevée à la source du Hannetot pour observer les dépôts antérieurs à 2016 et les mettre en perspective avec les observations sur les matières en suspension. Enfin, une fréquence mensuelle de prélèvement étant trop ponctuelle pour observer la totalité des variations du transfert particulaire causées par les évènements extrêmes (crues), deux suivis de crue avec des prélèvements horaires ont été réalisés. Le premier où une « crue » a été provoquée artificiellement par l’injection de grande quantité d’eau avec les moyens techniques des pompiers dans le cadre du projet OAK de l’ANSES, et le second correspondant à une crue réelle hivernale de période de retour annuelle ayant provoqué le débordement de la perte. Les résultats de ces analyses sont présentés dans les chapitres suivants.
ANALYSE SPATIO-TEMPORELLE DES SOURCES SEDIMENTAIRES DU BASSIN VERSANT
Discrimination des sources sédimentaires du bassin versant
Dans le but de faire un inventaire des différentes origines sédimentaires que l’on pourrait retrouver en suspension dans le système, entre la perte du Bébec et la source du Hannetot, plusieurs échantillons de sédiments et de sols ont été prélevés sur le bassin versant. Cette partie a pour objectif de définir les différentes sources dans le but de pouvoir, dans les parties suivantes, quantifier leur contribution dans chaque échantillon prélevé en utilisant leur signature morphogranulométrique. Les échantillons de source ont été prélevés à différentes localisations suivant les formations superficielles et géologiques du bassin versant (Figure 83). Les points 9-10 et 13-14 se situent en dehors du bassin versant délimité sur la figure. Ils sont situés dans la ravine de débordement du Bébec. Lors des crues les plus intenses, le Bébec déborde dans la ravine et des pertes existant dans la ravine permettent d’envisager des introductions particulaires amenées jusqu’à la source du Hannetot. 103 Figure 83: localisation des échantillons de sources sédimentaires prélevés sur fond de carte géologique adaptée à partir de Duran, 2015 Le Tableau 25 liste les échantillons et leur nature identifiés comme sources potentielles des sédiments transportés dans le système. Il y a 3 sources primaires (craie, colluvions, sols), à partir desquelles des sources secondaires dégradées sont formés (craie altérée, sol crayeux et silteux, argile à silex). Ensuite, les sources résultantes se répartissent en remplissage karstique et vases. En suivant la même méthodologie que précédemment, une ACP sur les médianes des paramètres morphogranulométriques sera réalisée, puis un modèle par AFD sera établi si les différents groupes sont bien discriminés. Tableau 25 : liste des échantillons de sources sédimentaires prélevés sur le bassin versant nom nature date localisation NBV_01 Limon limon 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_02 Colluvions limon colluvionsde limon 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_03 Colluvions mixte colluvions mixtes 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_04 Vase Bebec source vase 27/02/2019 lit du Bébec NBV_05 colluvions limon colluvionsde limon 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_06 colluvions mixte colluvions mixtes 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_07 Craie glauconieuse sol crayeux 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_08 Vase Bebec delta vase 27/02/2019 lit du Bébec NBV_09 Argile Silex contact craie Argile à silex 27/02/2019 encaissant NBV_10 Sol Craie silex sol silteux 27/02/2019 bassin versant Bébec NBV_11 Vase Perte du Bébec vase 08/03/2017 Perte du Bébec NBV_12 vase source Hannetot vase 08/03/2017 source Hannetot NBV_13 Craie carriere craie 08/03/2017 encaissant NBV_14 Remplissage carriere remplissage karstique 08/03/2017 encaissant NBV_15 craie source Hannetot craie altérée 08/03/2017 falaise source Hannetot N 104 La Figure 84 illustre les distributions granulométriques de ces différentes sources. Toutes les distributions montrent un mode principal entre 50 et 100 µm de diamètre à l’exception de la craie qui se décompose en 2 modes : un autour de 7-8 µm et l’autre à 100 µm, lié à différents degrés d’agrégation des coccolithes de la craie. Certains échantillons comme les argiles à silex, les limons, les colluvions de limons, colluvions mixtes et le sol silteux ont une asymétrie prononcée du côté des fines. Les vases montrent au contraire des distributions bien symétriques avec un mode à 80-100 µm, tout comme les remplissages karstiques et le sol crayeux. Ce dernier se décompose toutefois en un deuxième mode grossier (~500 µm) potentiellement lié aux agrégations de la partie organique du sol. Figure 84 : Distributions granulométrique lasers des différents échantillons du bassin versant de la source du Hannetôt Afin d’observer si ces différentes sources ont des signatures morphométriques différentes les unes des autres, une ACP a été réalisée sur les médianes des distributions des 12 paramètres morphogranulométriques sélectionnés. La Figure 85 montre que l’ACP discrimine assez bien chaque source sur une combinaison de plusieurs paramètres. Les trois premiers axes représentent 98% de la variabilité. Les paramètres de forme sont corrélés avec l’axe 1 (73% de la variabilité totale) et permettent en particulier de distinguer plusieurs groupes : (1) les remplissages karstiques (KarstFilling) et le sol crayeux (Chalksoil) avec des formes très régulières (forte valeurs de Circularity, Convexity, Straightness, etc) ; (2) la vase du Bébec (mudbebec) et les colluvions et limons (colluvionsmixte, colluvionslimons et limon) ainsi que l’argile à silex (ArgileSilex) et la craie altérée (alteredchalk), produit d’altération de la craie à silex ont des valeurs moyennes sur l’axe 1 (la forme des particules a une régularité intermédiaire) ; et enfin (3) la craie (chalk), la vase du Hannetot (mudsource) et les sols silteux (Silts) montrent les formes les plus irrégulières (forte valeurs d’Elongation et Roughness). La vase du Bébec montre une très grande variabilité, probablement liée à sa grande variabilité spatiale (elle a été prélevée en 4 points différents : 4, 8 et 11). L’axe 2 (19% de la variabilité) est principalement corrélé avec les paramètres de taille (Area Diameter, Width, Length, Crofton Diameter) et permet de distinguer la craie altérée (alteredchalk) montrant des tailles plus petites que le reste du groupe 2 (avec des particules de taille commune) et la craie (chalk) montrant une taille plus faible que le reste du groupe 3.
Introduction |