PERCEPTIONS COMMUNAUTAIRES DE LA CONSERVATION DES
RESSOURCES NATURELLES
PERCEPTION DE L’ETAT ET DE L’EVOLUTION DES RESSOURCES NATURELLES DU PARC ET DE SA PERIPHERIE
Les ressources halieutiques Il ressort de ce que nous avons vu précédemment que les ressources halieutiques du PNOD, de sa zone tampon et de sa périphérie sont en net recul. Pourtant, les populations de Débi/Tiguette les estiment très abondantes au point de soutenir une exploitation durable. A chaque fois que la question porte sur l’état de telles ressources, elles sont comme frappées d’émoi et réagissent par des exclamations qui en disent plus long que ce qu’elles disent. Le parc constitue pour elles un réservoir inépuisable de poissons de toutes sortes même si, reconnaissent-elles, il y a des espèces de poisson qui ont disparu du parc. Dans tous les cas, elles considèrent que le stock actuel peut nourrir plusieurs générations d’oiseaux, de crocodiles et même d’hommes. Dans les différents entretiens, elles ne cessent d’ailleurs de parler « des gros poissons que les oiseaux ne peuvent pas manger et que les hommes devraient pécher pour empêcher qu’ils mangent les petits ou qu’ils meurent pour être perdus ». Ces poissons que les agents du parc appellent si affectionnément des reproducteurs font ainsi l’objet de grandes convoitises. Un vieux pêcheur qui dit bien connaître le mode de vie des poissons nous a même fait part de ses suspicions de corruption des agents du parc. Pour lui « si ces gros poissons n’étaient pas pêchés régulièrement, il en résulterait régulièrement leur mort et l’odeur de leur décomposition serait perceptible par tout le monde. S’il n’en est pas ainsi, c’est sûrement parce que les agents du parc laissent parfois pêcher des gens venus d’ailleurs en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes». Une telle suspicion, à n’en pas douter, est un terreau fertile à l’esprit de rébellion et de braconnage.
Les ressources fourragères et la flore
Il faut signaler avant tout que les populations interviewées ne comprennent généralement pas pourquoi les ressources fourragères et la flore du parc du Djoudj sont interdites d’usage. Elles soutiennent que le Djoudj est un parc d’oiseau, et non pas d’animaux herbivores. Ainsi les ressources fourragères qui s’y trouvent seraient même parfois gênantes pour certains oiseaux si elles atteignent un certain seuil d’abondance. Il va sans dire que ces populations estiment surabondantes de telles ressources. Pour elles, le bétail peut y paître à tout moment sans que les oiseaux n’y perdent le plus petit avantage ni même que les agents s’en rendent compte. Toutefois, elles admettent qu’une telle permanence des animaux domestiques peut contribuer à diminuer le tapis herbacé et certaines espèces végétales. Cependant elles pensent (ou disent penser !) que les seuls troupeaux des villages environnants ne peuvent même pas « égratigner » les végétaux du PNOD et à plus forte raison, les piétiner jusqu’à un certain niveau de visibilité. Mais quand des troupeaux venus d’ailleurs viennent brouter l’herbe du parc à une fréquence élevée, les agents remarquent très vite l’impact et rendent les patrouilles plus fréquentes. Sur ce point les populations semblent avoir raison car elles avouent faire divaguer leurs troupeaux en permanence dans le parc (faute de parcours pastoral) sans que cela ne dérange les autorités. Ces dernières mêmes semblent résolues à tolérer la présence des troupeaux locaux. En effet, selon les populations, ce n’est souvent qu’à la veille de la visite d’une autorité importante dans le parc que les autorités dudit parc leur demandent, via les chefs de village, de venir retirer provisoirement leurs troupeaux. Pour ce qui est de la flore qui intéresse les usages humains, elle regroupe les très convoités nénuphars, les espèces végétales utilisées dans le tissage des nattes et le bois de chauffe. Les premiers sont perçus comme abondants dans le parc même s’ils sont dits régressifs depuis le déguerpissement des populations. Ces dernières expliquent leurs régressions par l’inertie. Pour eux les nénuphars ne se développent vite que si on les « touche » souvent. Or, depuis «le départ des hommes», on les touche de moins en moins. Quant aux espèces utilisées dans le tissage des nattes, les populations les estiment abondantes et progressives. Elles sont essentiellement le Sporobolus robustus et Typha australis. Si le Sporobolus robustus est présent dans le parc à une densité normale, le Typha est en train de coloniser dangereusement tous les espaces aquatiques du parc et de sa périphérie. C’est l’espèce la plus détestée des pêcheurs parce qu’elle « enferme » le poisson et le rend inaccessible aux filets. Elle n’est pas moins haïe des éleveurs parce qu’elle empêche l’accès du bétail à l’eau. Les enfants qui se baignent dans le fleuve la détestent et le craignent parce qu’elle enfreint leur liberté et pourrait être le refuge d’une faune aquatique dangereuse. Les femmes qui doivent quotidiennement puiser de l’eau dans le fleuve ne cessent non plus de se plaindre de cette espèce qui réduit les voies d’accès à l’eau et la rend plus trouble. Ainsi à Débi/Tiguette, le Typha est en quelque sorte « un problème pour tout le monde ». Le bois de chauffe tel que compris par les populations voisines du parc, c’est le bois mort ou encore tous les ligneux dont les tiges, les branches et les feuilles ne semblant plus contenir de vie. Un tel bois est, comme le fourrage, de peu d’intérêt dans un « parc d’oiseaux » de l’avis des populations. Elles jugent aussi que son abondance est saisonnière (saison sèche) mais relativement importante dans le parc. Aussi, son exploitabilité à long terme ne poserait pas de problème au parc dans la mesure où ce bois n’est rien de plus que du « déchet ». La question que se posent les populations est d’ailleurs pourquoi les agents du parc n’appellent pas à la mobilisation pour son nettoyage dans le parc. Pour elles, enlever le bois mort c’est permettre d’une part à de jeunes pousses de voir le jour et de renouveler la végétation du parc et d’autre part alléger les souffrances des populations. Si une telle conception naît d’une mauvaise connaissance de l’écosystème, elle a l’inconvénient de renforcer le sentiment d’injustice et de sévérité que ressentent certaines personnes à l’égard des agents du parc. Dans tous les cas, il importe de retenir que les nénuphars, les espèces utilisées dans le tissage des nattes de même que le bois de chauffe ne font pas l’objet d’une protection radicale. A l’occasion des fêtes ou cérémonies familiales, des demandes de prélèvement de bois mort sont déposées sur la table du Conservateur et il s’en suit, sauf dans des cas rares, des prélèvements assistés par un agent du parc. Des demandes de prélèvement de nénuphar ou Sporobolus sont aussi souvent déposées et pas seulement en période de fête. 33 3 : la faune terrestre et aviaire A ce niveau, il convient de signaler avant tout que cette faune ne fait pratiquement l’objet d’aucune convoitise des populations. Elles considèrent qu’elle est extrêmement riche et variée mais ne songent presque jamais à son exploitation commerciale ou même alimentaire. Si au parc de Djoudj on parle parfois de braconnage, il s’agit surtout de la pêche et de la divagation du bétail, mais presque jamais de la chasse. Comme qui dirait que ces populations sont intéressées moins par le luxe et la bonne chair que par le strict minimum indispensable à la vie. Toujours est-il qu’elles pensent que c’est une ressource inépuisable et en constante évolution, même si certaines espèces ont disparu avec les perturbations de l’écosystème. Souvent même, il leur arrive de penser que les oiseaux et les phacochères sont dangereusement nombreux dans le PNOD et ses alentours, vue les dégâts qu’ils font subir à l’agriculture. Et si pour elles les oiseaux de toutes sortes ont un intérêt, au moins touristique, il n’en est pas de même des phacochères. Ils ne voient en ces mammifères omnivores que des destructeurs. Leur nombre serait de plus en plus en hausse et leur non respect de leur territoire (le parc) renforce le sentiment des populations. Les phacochères pour elles devraient être considérablement réduits, voire complètement anéantis, par les activités de chasse. Elles pensent parfois la même chose de certains oiseaux granivores, destructeurs des cultures. Et les oiseaux ciblés dans cette rubrique sont, entre autres, les sarcelles d’été, les oies d’Egypte et les oies de Gambie. Conclusion du chapitre En somme, pour les populations de Débi/Tiguette, les ressources naturelles du parc sont généralement abondantes et à même de soutenir une exploitation durable. Il y en aurait même qui auraient dépassé le seuil de la simple abondance pour se faire envahissantes. L’allusion est faite ici aux oiseaux granivores, aux phacochères et au Typha. Pourtant, la création du parc a été accompagnée d’une interdiction d’usage des différentes ressources dans l’espace du parc de même qu’une interdiction de s’attaquer aux animaux destructeurs. Comment un tel dispositif législatif régissant le parc sera alors perçu par les populations ? Cette question est l’objet du chapitre suivant.
Sigles et abréviations |