LA GESTION ET LA VALORISATION DES DECHETS D’EQUIPEMENTS ELECTRONIQUES ET INFORMATIQUES
Les fondements du régime juridique spécial applicable aux DEEI
Pour élaborer un cadre juridique apte à servir une gestion écologiquement rationnelle des DEEI, il faut d’abord réfléchir sur les orientations à faire porter à ce régime. C’est pourquoi il y a lieu de se pencher sur les objectifs assignés au régime préconisé et les principes de base du régime.
Les objectifs assignés au régime spécial applicable aux DEEI
A travers le régime que l’on préconise ici, on cherche à atteindre un certain nombre d’objectifs que l’on doit clairement décliner pour savoir où l’on cherche à aller avec ces propositions. Comme la gestion des DEEI s’inscrit dans une approche nouvelle et que le Sénégal n’a pas encore tous les moyens nécessaires pour y faire face, il y a lieu de faire la part des choses47 et réfléchir sur les objectifs immédiats et les objectifs à long terme. 46 On s’inspire également de la Résolution 1542 (2007). Texte adopté par la Commission permanente, agissant au nom de l’Assemblée, le 16 mars 2007. 47 Ceci est nécessaire d’autant plus que certains objectifs ne sont réalisables immédiatement. Il faut donc être réaliste et s’attaquer à ce qui est à portée de main avec nos maigres moyens financiers et technologiques. Avec le LXXI
Les objectifs immédiats
Deux objectifs prioritaires doivent être atteint immédiatement ou dans les plus brefs délais. Le régime juridique préconisé accorde une place importante à cette projection dans le temps. Ils sont liés à la prévention. Il s’agit de la prévention ou la réduction de la production des DEEI et la prévention de la mise en décharge sauvage des DEEI. La prévention ou la réduction de la production des déchets est un objectif qui repose sur les principes de précaution et de prévention. Car il y a lieu de limiter le flux des déchets électroniques à un rythme beaucoup plus rationnel, qu’ils soient les déchets nous venant d’ailleurs ou qu’ils soient produits au niveau national. Concernant les DEEI, cet objectif revêt une double dimension. D’une part, il doit permettre de réduire les quantités de DEEI. Comme le Sénégal n’a pas encore d’industries de fabrication d’équipements électroniques et informatiques, le régime préconisé tend à instaurer un contrôle des frontières pour empêcher que des DEEI en état de déchets ultimes entrent dans le pays sous le manteau des dons. Egalement, on propose dans ce registre, la traçabilité des équipements électroniques et informatiques. Le régime qu’on va proposer doit permettre à l’Etat d’agir sur les importations des DEEI. D’autre part, il doit permettre de réduire la nocivité des produits, c’est-à-dire que le contrôle doit tendre à empêcher que les matériels contenant d’importantes quantités de substances dangereuses et dont on n’a pas la technologie nécessaire pour les gérer, entrent dans le territoire. Dans cette même logique, étant donné que des multinationales s’apprêtent à installer des unités de montages d’ordinateurs au Sénégal, l’Etat doit veiller à leur imposer des normes de fabrication allant dans le sens de diminuer les substances dangereuses. L’objectif qu’on cherche à atteindre semble être résumé par le droit français en ces termes : « de prévenir ou réduire la production et la nocivité des déchets, notamment en agissant sur la fabrication et sur la distribution des produits ». La prévention de la mise en décharge sauvage des DEEI : en effet, la première précaution que les autorités sénégalaises doivent observer est d’éviter que les stocks de DEEI dans les maisons, ateliers de réparation, usines et services ne se retrouvent dans la nature comme c’est temps, le mûrissement des idées relatives à la GER des DEEI au sein du PNUE aidant, le Sénégal peut bénéficier des concours financiers considérables pour faire face à toutes les exigences techniques de la gestion des DEEI. LXXII le cas avec les ordures ménagères actuellement au Sénégal. Beaucoup d’efforts doivent donc être déployés pour empêcher ce qui peut sonner le glas d’une contamination sans précédent de notre environnement. Le cas de l’Inde est assez illustratif. En réalité, le problème n’est pas encore inquiétant, ses proportions sont encore maîtrisables. On ne voit toujours pas de décharges sauvages spécifiques, l’observation et les enquêtes montrent les DEEI sont souvent jetés avec les ordures ménagères. Il y a donc aussi la nécessité de promouvoir l’évitement des DEEI dans le flux des ordures ménagères. Ce travail préalable a deux intérêts : d’abord, il va faciliter la mise sur pied d’une filière DEEI au Sénégal. Cette entreprise nécessite un tri ou ramassage sélectif. Ensuite, il va permettre de connaître avec exactitude l’ampleur des DEEI. Avec un peu de volonté, on peut parvenir à cela dans un bref délai. Pour les aspects plus compliqués, des objectifs plus lointains peuvent être fixés.
Les objectifs à long terme
Ces objectifs s’inscrivent dans le long terme puisque le Sénégal ne dispose pas encore de la technologie adaptée pour les atteindre au moment où nous parlons. La gestion des DEEI n’est pas encore prioritaire dans l’agenda des politiques environnementales de l’Etat. Ces objectifs sont de deux ordres : la promotion de la valorisation des déchets ou maximisation de la réutilisation et l’élimination écologiquement rationnelle. La promotion de la valorisation des déchets ou maximisation de la réutilisation : il s’agit d’intensifier le réemploi, le recyclage ou toute autre action visant à obtenir à partir des déchets des matériaux réutilisables ou de l’énergie. On insiste davantage sur la réutilisation économique des DEEI puisque le Sénégal, en tant que pays en voie de développement doit pouvoir tirer profit des DEEI. Et dans ce domaine, la notion « d’économie populaire urbaine »48 a beaucoup plus de portée. Une précision s’impose pour lever toute ambiguïté: la valeur économique qu’on peut tirer d’un résidu n’enlève en rien à sa qualification de déchet. Autrement dit, il est faux de croire qu’un déchet est dépourvu de tout valeur. Cette valeur économique doit profiter au plus grand nombre avant que le matériel ne devienne un déchet ultime destiné à l’élimination. La réutilisation et la réparation permettent de prolonger la durée de vie des équipements électroniques et informatiques. Cette perspective est 48 Concept développé par Enda sur la base d’un travail de recherche-action sur la récupération et le recyclage sur la décharge de Mbeubeuss. D’autres parlent de l’ « économie de la libération ». LXXIII particulièrement adaptée aux entreprises d’économie sociale qui offrent du travail, une formation et des compétences à des personnes en difficultés (handicapés). Un premier pas a été fait au Sénégal avec la création du Centre des Handicapés au travail ( CHAT) pour le reconditionnement des ordinateurs collectés basé à Colobane et qui a débuté ses activités en mars 2009. Ainsi, vu le problème du chômage au Sénégal, la valorisation des DEEI offre d’excellentes opportunités d’emploi. C’est pourquoi il n’a jamais été question dans le cadre de cette étude d’interdire totalement les flux d’équipements informatiques de seconde main. L’élimination écologiquement rationnelle : c’est l’objectif ultime qu’on cherche à atteindre devant un déchet ultime. Lorsque la phase de valorisation est bien gérée, la quantité de déchets destinée à l’élimination sera toujours relativement aisée à prendre en charge. L’élimination finale incombe obligatoirement à l’Etat. Ainsi, comme dans le droit européen, les autorités publiques doivent mettre à la disposition des citoyens des infrastructures permettant de s’en charger adéquatement. L’élimination est une étape cruciale dans la gestion des DEEI car elle doit obéir à des exigences relativement à une bonne prise en compte de la santé publique et de la protection de l’environnement. Une élimination écologiquement rationnelle des DEEI ne peut jamais reposer sur des méthodes d’incinération artisanales, traditionnelles, à l’air libre. Elle doit se faire à travers des procédés innovants, ce qui n’existe pas encore au Sénégal. L’élimination écologiquement rationnelle des DEEI doit se faire sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement et notamment sans créer de risque pour l’eau, l’air ou le sol, ni pour la faune et la flore, sans provoquer d’incommodités par le bruit ou les odeurs, sans porter atteinte aux paysages et aux sites présentant un intérêt particulier. On peut bien penser que les exigences techniques à respecter et les mesures de sécurité pour ce faire peuvent se retrouver dans les Centres d’enfouissement technique que le Sénégal envisage d’implanter pour la fermeture de la décharge de Mbeubeuss. Pour une élimination écologiquement rationnelle, il y a lieu de prévoir des décharges spécialement réservées aux DEEI et des incinérateurs techniquement adaptés. On pense bien que les plates-formes ou installations de traitement des DEEI préconisés dans le régime juridique peuvent faire l’affaire. Une fois les objectifs cernés, il est important de se pencher sur les principes de base sur lesquels doivent reposer toute initiative ou action allant dans le sens d’une gestion écologiquement rationnelle des DEEI. LXXIV
Les principes généraux de la gestion des DEEI
Nous invoquons ces principes ci-dessous pour servir de fondement théorique au régime juridique que nous recherchons tant pour une bonne gestion des DEEI au Sénégal. « Les principes reflètent les fondements d’un ordre juridique et jouent un rôle important dans la création, le développement et l’application du droit en général. Par définition, ils sont supérieurs aux règles ordinaires, qui devraient être fondées sur ces principes » (KISS, 2001). On leur trouve deux utilités majeures: d’abord, les principes généraux peuvent améliorer le développement des règles. Ainsi par exemple, le principe de prévention peut conduire à la multiplication des règles qui empêchent l’entrée frauduleuse des DEEI au Sénégal. Ensuite, les principes généraux contribuent à l’interprétation des textes existants. Certains des principes sont toujours invoqués pour la protection de l’environnement en général depuis les sommets de Stockholm et de Rio. D’autres ne sont invoqués que dans le cadre de la gestion des déchets dangereux et sont relativement récents. Il faut donc voir les principes classiques et les principes novateurs. 1-2-1. Les principes classiques Le Chapitre II du Code de l’environnement les aborde de façon exhaustive et précise que toute action de protection de l’environnement doit en tenir compte. La gestion des DEEI ne peut dérober à cette prescription. Parmi ces principes, seuls les plus pertinents dans le cadre d’une GER des DEEI seront abordés. Il s’agit du principe de prévention et de précaution, le droit à l’information du public, le principe du pollueur-payeur. Le principe de prévention et de précaution : Le principe de prévention se trouve au sommet de la hiérarchie des principes en matière de gestion des déchets. Ce principe prescrit de « réduire la production des déchets mais aussi leur nocivité ». L’expérience comme l’expertise scientifique montre que la prévention doit être la règle d’or dans le domaine de l’environnement pour des raisons tant écologiques qu’économiques. Dans la mesure où il est souvent impossible voire difficile de remédier aux dommages écologiques : le déversement des DEEI peut créer des situations irréversibles. Même si le dommage est réparable, les coûts de réhabilitation sont souvent prohibitifs. L’objectif du régime qu’on propose est donc de prévenir la détérioration de l’environnement ainsi que les problèmes de santé causés par les DEEI. La méthode préventive exige de chaque Etat qu’il exerce une « due diligence », c’est-à-dire qu’il agisse raisonnablement et de bonne foi et qu’il réglemente les activités publiques et privées potentiellement dangereuses pour l’environnement qui relèvent de sa juridiction ou LXXV de son contrôle. Selon KISS, le principe n’impose pas le devoir absolu de ne causer aucun dommage, mais plutôt une obligation pour chacun des Etats d’interdire les activités qui pourraient être dangereuses pour l’environnement (par exemple, le déversement des DEEI et de réduire au maximum les conséquences nuisibles) (KISS, précité). La méthode préventive peut également impliquer l’élaboration et l’adoption de stratégies et de politiques déterminées pour la gestion des DEEI. Le principe de précaution est l’une des innovations les plus importantes de la Déclaration de Rio49. Relativement à la gestion des DEEI, on peut retenir que le principe cherche à éviter les atteintes à l’environnement susceptibles d’être causées par les DEEI mais il doit être appliqué quand les conséquences de toute non action peuvent s’avérer particulièrement graves ou irréversibles. Le Sénégal n’a pas encore connu de dégâts causés par les DEEI, c’est pourquoi il y a lieu de prendre toutes précautions nécessaires eu égard aux données scientifiques disponibles pour éviter l’irréparable dans l’avenir. Le droit à l’information du public : Ce principe est issu de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992. Le principe 10 de la déclaration est le suivant : « au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux information relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux activités et substances dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer au processus de prise de décision ». Pour une meilleure consécration du principe de la gestion des DEEI, on peut s’inspirer du droit français et comprendre que « toute personne a le droit d’être informée sur les effets préjudiciables pour la santé de l’homme et l’environnement, du ramassage, du transport, du traitement, du stockage et du dépôt des déchets ainsi que sur les mesures prises pour prévenir ou compenser ces effets » (Code de l’environnement français, 2005). Le droit à l’information du public en matière de gestion des DEEI dépendra pour sa mise en œuvre de l’obligation d’informer.
INTRODUCTION |