Ecohydrologie du bassin arachidier (cas de Niakhar)
Impacts des mutations climatiques et des pratiques sur l’hydrodynamique des sols
Modification du comportement hydrodynamique des sols Dans la région Sahélienne, il a été observé pendant la sécheresse une redynamisation des processus hydrologiques avec des conditions de ruissellement plus favorables. Les causes de ce comportement hydrologique appelé « paradoxe sahélien » sont consécutives à la modification des états de surfaces des sols (Albergel, 1987, Mahé, 2011, Descroix et al., 2015, Roudier et al., 2014, Descroix et al., 2013, Descroix et al., 2015, Descroix et al., 2012) entrainant la dégradation de leur qualité physique. En effet, les profonds changements climatiques et environnementaux que la région a connus, ont profondément modifié le bilan ruissellement/infiltration/évapotranspiration et en conséquence les conditions de la formation des écoulements (Descroix et al., 2015) et d’infiltration. L’accroissement des débits est dû à la dégradation des états de surface, consécutive essentiellement à l’augmentation des zones cultivées et sols nus, au détriment des zones en végétation naturelle (Mahé et al., 2011, Mahé et al., 2011, Descroix et al., 2015, Roudier et al., 2014, Descroix et al., 2013, Descroix et al., 2015, Descroix et al., 2012, Albergel, 1987). Au niveau local, ces changements d’utilisation des sols ont conduit à l’encroutement et à la nudité des sols, à des modifications de la densité apparente, de la porosité, de la conductivité hydraulique et, par conséquent, à une réduction des taux d’infiltration (Mahé et al., 2013). La dégradation du couvert herbacé et l’extension des zones cultivées ont favorisé les tassements de la surface du sol, et le développement de pellicules imperméables (Albergel, 1987), provoquant une perte de la capacité d’infiltration des sols (Mahé et al., 2013) et une très forte réduction de leur capacité de rétention en eau (Descroix et al., 2015). Cette hydrophobie liée à une induration superficielle conduit très vite à la saturation des sols (par le haut donc) qui n’ont plus de capacité de rétention en eau (Decroix et al., 2015), limitant sévèrement l’infiltration (Descroix et al., 2015). Cette modification du comportement hydrodynamique des sols intervient dans un contexte de forte croissance 54 démographique des pays du Sahel, provoquant l’extension des surfaces cultivées au détriment des couverts végétaux. Dans le bassin arachidier, notamment dans la zone de Niakhar, les densités sont passées de 100 hab/km2 en 1962 à 135 hab/km2 en 1990 (Lericolais, 1999), pour atteindre en moyenne 226 hab/km2 avec trois villages au-dessus de 400 hab/km2 en 2013 (Muller et al., 2015 ; Delaunay et al., 2015). Cette pression démographique s’est accompagnée d’une modification des systèmes agraires avec la disparition généralisée de la jachère et la mise en culture de tous les terroirs villageois, grâce à l’introduction de la traction attelée. Par ailleurs, l’encadrement technique, jusqu’à une période récente, ne s’est pas préoccupé de la question des arbres dans les champs, sinon pour les considérer comme une gêne (Lericolais, 1988). Ainsi, le passage de l’attelage qui implique le dessouchage et l’élimination de toute repousse arbustive a eu des effets négatifs sur le parc arboré (Lericolais, 1988, 1989). De plus, le manque de fourrage autorise la collecte de toutes les herbes dès la fin des récoltes, laissant les sols nus pour le reste de la saison. Les orages qui viennent s’abattre directement sur ces sols nus sans herbes protectrices, entrainent la battance et la compaction des sols, réduisant leurs performances hydrauliques (Casenave et Valentin, 1989). De ce fait, à une sécheresse climatique a souvent succédé une sécheresse édaphique car l’eau ruisselle au lieu de profiter au sol et à la végétation (Decroix et al., 2015).
Impacts du changement climatique sur la variable eau du sol
Plusieurs recherches ont confirmé le retour à des conditions pluviométriques globalement plus humides dans la région sahélienne, après une période de sécheresse de 1968 à 1995, (Descroix et al., 2015 a, b, c ; Descroix et al., 2013 ; Sagna et al., 2015 ; Leauthaud et al., 2015, Vischel et al., 2015 ; Koswowski et al., 2015 ; Mahé et al., 2013 ; Balme et al., 2006). Cependant, le niveau atteint reste bien inférieur à celui de la période humide de 1950-1969, et n’est pas uniforme entre le Sahel Ouest et Est (Mahé et Paturel, 2009 ; Vischel et al., 2015). D’après Descroix et al., (2015), la situation pluviométrique de la région est marquée depuis la fin des années 1990 par une augmentation des précipitations de fort cumul journalier plus rapide que l’augmentation des pluies annuelles. La fréquence des pluies de 60 à 100 mm a pratiquement rattrapé son niveau d’avant la sècheresse, tant dans le bassin du Niger Moyen qu’en Sénégambie, même si on est loin d’atteindre les valeurs de pluie annuelle des décennies humides 1951-1970. Si sur les deux dernières décennies, la hausse relative des cumuls annuels (+ 13 % par rapport à la période de sécheresse) est confirmée, le niveau atteint reste bien inférieur à celui de la période humide -16 % (Vischel et al., 2015). Cette remontée des précipitations qui est intervenue en 1995 dans le Sahel intérieur, est arrivée avec 5 ou 6 ans de retard dans la partie Ouest du Sahel (Descroix et al., 2015). Au Sénégal, elle est observée à 55 partir de 1999, avec une amélioration de la pluviométrie qui se traduit par une apparition plus fréquente d’années excédentaires (Sagna et al., 2015). A Bambey, le cumul pluviométrique qui était autour de 450mm/an entre le début des années 1970 et la fin des années 1990, a augmenté rapidement pour atteindre une moyenne de plus de 600mm/an au cours des dix dernières années, soit une augmentation de près de 50% en vingt ans (Koswowski et al., 2015). La même tendance est observée dans la région de Niakhar où la moyenne pluviométrique qui était de 495mm durant la période 1970-2009 a atteint 590mm au cours de la décennie 2010-2019 (Faye et al., 2020). Cette reprise pluviométrique est confirmée par la réapparition du mil de type sanio, une variété à cycle long dans plusieurs villages de l’OPSE de Niakhar depuis le milieu des années 2000, comme l’ont constaté Muller et al. (2015). Néanmoins, cette augmentation des précipitations dans un contexte d’hydrophobie augmente encore plus les coefficients d’écoulement. A cette diminution de l’infiltrabilité des sols, s’ajoute une augmentation croissante des températures de l’air et donc des taux d’évaporation. En effet, les températures au Sahel ont beaucoup augmenté depuis 1950 (Guichard et al., 2015 ; Dème et al., 2015 ; Kasowski et al., 2015). Ce réchauffement qui concerne toute la bande sahélienne, est plus modéré lorsqu’on se rapproche de l’équateur, et plus fort au Sahara et sur le Sahel ouest (Guichard et al., 2015) (Fig. 12). Les projections de température pour le XXIème siècle et pendant la saison humide juilletaoût-septembre, comparées à la période 1961-2000, dans un scénario climatique rcp4.5, montrent des températures à la hausse sur l’Afrique de l’Ouest, quasiment pour tous les modèles (Dème et al., 2015).
CARACTERISTIQUES GEOGRAPHIQUES DE LA ZONE D’ETUDE
Dans le fonctionnement d’un territoire hétérogène, composé d’ensembles d’écosystèmes en interaction, plusieurs processus peuvent être à l’origine de la structuration d’un phénomène. Ainsi, ce chapitre décrit les caractéristiques physiques et climatiques générales de la zone d’étude. Il expose d’une part les traits généraux de la géologie d’ensemble de la région, et l’évolution géomorphologique, en donnant les caractéristiques morphoclimatiques, pédologiques et les conditions climatiques actuelles de la région. D’autre part, il présente les caractéristiques hydrologiques et hydrogéologiques, mais également une fine description du terroir, notamment la couverture biophysique, l’utilisation des sols, et le parcellaire. Enfin, ce chapitre présente la situation socioéconomique de la région et ses différents types de paysages.
Localisation de la zone d’étude
La zone d’étude est un agrosystème situé au centre-ouest du bassin arachidier dont l’économie repose sur une production vivrière de mil et une culture de rente d’arachide, organisées autour d’un système agraire fondé sur l’association adéquate agriculture-élevage-végétation, dominé par le Faidherbia albida, qui donne un décor impressionnant au paysage. Située dans la région de Fatick à environ 104km de Dakar, elle est constituée de deux bassins versants contiguës, Sob et Diohine de superficies respectives 112,4km2 et 86,03km2 . Orientés NE-SW, les bassins versants couvrent partiellement l’Observatoire Population Santé Environnement de Niakhar (OPSE). Leurs exutoires sont situés sur la Route Nationale n° 1 (RN1) à hauteur du village de Diourroup et ils englobent respectivement 37 et 23 villages (Carte 1). Sur le plan hydrologique, 588 puits et 9 forages ont été recensés dans les deux bassins versants dont 287 puits et 5 forages dans le bassin de Sob et 301 puits et 4 forages dans celui de Diohine (tableau 1).
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS. |