L’INCLUSION SCOLAIRE DES ENFANTS Á BESOINS ÉDUCATIFS SPÉCIAUX (B.E.S.)

L’INCLUSION SCOLAIRE DES ENFANTS Á BESOINS ÉDUCATIFS SPÉCIAUX (B.E.S.)

 L’enfance et ses représentations dans la société africaine

Dans une approche socio-anthropologique, l’enfance est une construction sociale. Ce faisant, les représentations de la petite enfance dans les sociétés africaines sont implicites parce qu’elles sont mêlées dans le vécu quotidien et la réalité sociale. Autrefois, la sexualité avait pour but la procréation. De ce fait, la stérilité qui était le plus souvent attribuée à la femme se terminait le plus souvent par la répudiation. Ainsi, la production sociale et culturelle de la petite enfance était valorisée car, l’enfant conçu dans les liens de conjugalité donnait une certaine importance à son groupe d’appartenance surtout dans certaines sociétés. Ce qui fait dire à Alassane Elfecky Agne qu’ « une nouvelle conception semble se dessiner : l’enfant est d’abord perçu comme l’accomplissement de la vie du couple, un couronnement de la vie conjugale ».22 Nous remarquons même que la mère, avant la naissance de son bébé avait tous les problèmes du monde car s’exposant aux esprits maléfiques confirme l’auteur. Pour cela, elle va porter des talismans, des gris-gris et il lui sera interdit de fréquenter les personnes qui présentent une certaine déficience. 23 En effet, avec l’arrivée du petit enfant au monde de ses semblables, il se trouve au centre de la vie sociale. Ainsi, il va être l’objet d’attention de tous en matières de puériculture c’est-à-dire les soins concernant les tout-petits mais aussi les pratiques rituelles. Il est aussi l’objet d’un ensemble de normes qui visent à réglementer sa vie, sa prise en charge, sa socialisation, mais aussi pour assurer sa protection. Car, d’après Boubacar Ly et Eugène Diouf cités par Ndéye Thiané Séye24, il est « une véritable richesse, un bien précieux dont il faut prendre soin. » puisque l’enfant va grandir et devenir un homme. Ce qui explique qu’il  est le futur pilier de la famille. Il est appelé à garantir la pérennité des traditions, assurer la perpétuité du culte familial et reproduire l’identité du groupe. Ainsi, il occupe une place centrale puisqu’il est considéré comme le futur adulte, et si c’est un garçon, il est celui qui va assurer la perpétuité du nom familial. Dans la plupart des ethnies du monde entier, et plus particulièrement en Afrique, l’enfance est au centre de la représentation de la vie et fait l’objet d’une attention spéciale. C’est ainsi que le principe communautaire, surtout en Afrique, fait de la socialisation de l’enfant un projet pour tous. C’est un bien collectif non seulement pour le couple mais aussi pour la concession ou la lignée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les espaces de socialisation très communautaires de chaque membre de ces différents espaces peuvent a priori participer à l’éducation de l’enfant. La socialisation collective démontre ainsi que l’enfant évolue attentivement et est choyé non seulement par les parents mais aussi par le groupe social familial. Ce qui fait dire à Quitterie Calmette25 qu’il est à la fois « [—] un individu marqué par son histoire personnelle, un membre d’une catégorie sociale d’âge et un membre d’une classe sociale par l’intermédiaire de ses parents. Il n’est donc pas une entité à part entière » C’est d’ailleurs ce qui fait toute l’importance de la famille et son influence sur le développement du petit enfant. De même que pour les divers contextes dans lesquels il peut évoluer et grandir. En réalité, sa place et son rôle demeurent centraux dans l’organisation et le bon fonctionnement de la famille nous dit Hélène Bagirishya. 26 Cependant, l’arrivée d’un enfant dit normal et de celle d’un enfant handicapé ne sont pas manifestées de la même manière. Cette dernière provoque souvent l’effondrement des rêves de perfection tissés au fil de nombreux mois et bouleverse irréversiblement les projets d’avenir des parents. Ce qui fait que ce petit enfant ne sera jamais l’enfant dont ils auront rêvé. C’est dans ce contexte que Constance Lamarche nous explique : « L’anxiété et la douleur ressenties remplacent les joies normalement associées à la naissance. Les parents vivent une pénible  confrontation entre leurs désirs et la réalité. Ils sont, en général, sous le coup d’un choc qui se manifeste par des émotions très vives et des réactions parfois extrêmes. Quelle qu’en soit l’ampleur, ces réactions sont normales et saines. Les réactions sont diverses, imprévisibles et très complexes. De façon générale, les parents cherchent d’abord des moyens de fuir la réalité. [—] Certains nient l’identité de l’enfant, souhaitent sa mort ou envisagent comme solution un placement en institution. Progressivement, les parents développent des attitudes plus positives et plus nuancées. Ils veulent par exemple connaître les causes du handicap; ils s’interrogent sur leur capacité à l’assumer. Ils craignent leur éventuel attachement, ou le décès de l’enfant, tout en désirant connaître ce dernier. »27 Ce qui prouve encore l’amour que les parents ressentent envers leur enfant même s’il est venu au monde avec une malformation. Et en général, ces réactions et émotions sont dues le plus souvent à la pression sociétale ; d’où les fameuses questions que la plupart des parents victimes se posent : quelle sera la réaction de mon entourage ? De mes amis ? Pourquoi cela m’est-il arrivé et pas à un autre ? Ainsi, Serge Portalier28 nous fait comprendre que « L’annonce du handicap, première étape du processus, résonne comme un coup de tonnerre qui sidère [—] la relation». Ces réactions montrent les représentations et les perceptions que toutes les sociétés en général et les individus en particulier ont et se font du handicap. C’est dans cette optique que nous allons convoquer les stéréotypes à l’égard de l’enfant atteint de handicap dans la société. 1.3. Les stéréotypes à l’égard de l’enfant atteint d’une déficience Il y a un certain stéréotype qui faisait que les enfants qui venaient au monde avec une malformation ou du moins avec une déficience quelconque étaient cachés par les membres de la famille ou ses parents, s’ils n’étaient pas tout simplement tués. L’histoire des enfants présentant un handicap a été à peu près pareille dans presque toutes les sociétés africaines. Tout au long de l’histoire de ces sociétés, ces personnes n’ont pas toujours été traitées avec  dignité. Leur déficience était plutôt prise comme maléfique, une impureté ou du moins comme une anomalie et une déviance par rapport à la norme. Elles étaient perçues comme des êtres différents, ce qui faisait qu’elles étaient isolées, placées en marge de la société et souvent considérées comme incapables et maintenues dans un état d’infériorité et de dépendance, nous dit Beata Nyirahabimana. 29 En fait, selon l’auteur, ces personnes n’étaient pas reconnues comme des membres à part entière de la société. L’exemple de Soundiata Keita dans l’Épopée Mandingue nous le montre clairement. Là, il est question des préjugés de la population envers la mère de Soundiata, car il resta longtemps après sa naissance, presque sept ans passés, et ne sut toujours pas marcher, de sorte que Sogolon, sa mère, devint la risée de toutes les femmes du village. « On ne peut donner le trône à un impuissant des jambes; si les génies l’aiment, qu’ils commencent par lui donner l’usage de ses jambes »30 . Ce qui fait penser que la personne en situation de handicap n’est pas considérée comme une personne à part entière et du coup perdra tous les privilèges réservés à une personne ordinaire. Et c’était ainsi dans presque toutes les sociétés traditionnelles africaines. Dans le même ordre d’idées, Jean Didier Mbelé l’explique dans sa recherche de thèse de doctorat où il parle des représentations du handicap dans son pays natal, le Congo-Brazzaville. Il prend en exemple les villages des ethnies Mbetis et Obambas situés au nord-ouest du Congo. En effet, dans ces sociétés, « Tous les enfants qui présentent des malformations congénitales, même peu graves, n’étaient pas ramenés au foyer familial après leur naissance, afin de sauvegarder « l’honneur » de la famille et du clan. L’enfant polyhandicapé ou « monstrueux » doit « rester en forêt » (c’està-dire abandonné en forêt) par les femmes accoucheuses avec le consentement de la mère à qui on explique l’enjeu familial ». D’ailleurs, nous constatons ici que même si la mère de l’enfant n’est pas consentante, elle est obligée d’une manière ou d’une autre d’accepter la réalité telle qu’elle est dans ces sociétés. Ainsi, l’on se demande même si le fait de l’abandonner en pleine forêt veut dire que l’enfant a été tué ou sacrifié auprès des bêtes ou des esprits. Toujours est-il que des zones  d’ombre restent encore à être éclairées et que rien ni personnes ne pourraient fournir des explications là-dessus. Tout ceci, pour dire que les personnes qui la pratiquaient ont été initiées et savaient tellement grader des secrets que pour rien au monde elles ne devaient les dévoiler. Ainsi, la question du handicap est un phénomène social de grande importance puisque dans certaines tribus en Afrique, l’attitude et les comportements de la femme enceinte et ceux du père déterminent souvent le type d’enfant qui naîtra. D’après Boussanleguén Tchable32, si on prend le cas du handicap mental, il pourra s’expliquer par le mauvais sort infligé aux parents de l’enfant auquel ils ont échappé et qui pourra toucher toute leur descendance. C’est ce qui fait que ces conceptions symboliques relevant du surnaturel influençaient fortement les perceptions sociale et culturelle. Ce qui fait dire à Jacqueline N’gabala Kibelolo : « Le handicap mental est le témoignage ou signe d’une tension ou de conflits sociaux parmi les membres de la communauté ou encore d’un déséquilibre rituel entre le monde des ancêtres et celui des vivants. Il peut être aussi à la base de la transgression soit d’une règle sociale, soit d’un interdit par le malade ou par un membre du clan. La maladie mentale peut être la conséquence d’une initiation du patient à la « magie » et aux fétiches ou elle peut résulter soit d’une action de la sorcellerie et de l’envoûtement d’une personne par une autre, ou par des motifs internes au nom de la sorcellerie ».33 De ce fait, on peut dire que le handicap est selon ces peuples une simple maladie naturelle causée par Dieu ou une maladie induite par les esprits malveillants. Ce qui fait qu’ils ont deux conceptions du handicap, à savoir un état d’être et une maladie anormale. Donc, la tradition attribue à la personne handicapée une fonction selon son cycle de vie. C’est ainsi que Éric Plaisance montre que « Les analyses sur l’histoire de l’infirme montrent le lien étroit, consubstantiel, entre cultures et handicap, entre sociétés et handicap.  Lien qui, à son tour, pourrait être considéré comme une quasi évidence, car on perçoit bien que toute personne, quelle qu’elle soit, est bien insérée dans une culture et une société données. Mais plus profondément, ce sont les représentations, variables selon les sociétés et les époques, qui construisent les réalités et qui, d’une certaine façon, font le handicap. Dans ce sens, les mots font les choses ».34 Ce qui nous fait dire que les mots qu’on utilise le plus souvent à l’égard d’une chose illustrent bien la représentation qu’on se fait mentalement de cette chose. C’est ainsi qu’on note que la déficience aussi bien physique que mentale, plus qu’un état du corps, est un fondement de l’identité sociale, une construction sociale, voire une construction identitaire. Ainsi, nous pouvons avancer que si la société définit le handicap, c’est la culture qui lui donne sa signification et son sens. Et parfois même, elle lui donne un sens péjoratif. C’est ainsi que le handicap est perçu dans nos sociétés et dans la plupart du temps comme quelque chose d’anormal et de bizarre. C’est dans cette optique que, si nous rencontrons une personne atteinte de handicap, automatiquement nous lui jetons un regard étrange, le pointons du doigt et, pire encore, nous chuchotons ou nous rions d’elle. Par ailleurs, Moussa Fall nous fait comprendre que « Notre perception résulte de nos « filtres », de nos « croyances », et de nos « sens». L’idée que nous nous faisons d’une situation n’est pas la situation. Au demeurant, la perception que nous en avons va influencer la manière dont nous allons gérer cette situation. Souvent, on ne réalise pas combien notre perception du monde influe sur notre vie. Depuis notre naissance, nous créons et développons inconsciemment des automatismes comportementaux (comme des programmes informatiques) ainsi que des représentations et dans un contexte donné nous reproduisons des comportements répétitifs et nous en parlons d’une certaine façon. Ainsi, quand on stigmatise quelqu’un, on a tendance à lui attribuer toute une série d’incapacités : vulnérabilité, faiblesse, besoin d’aide, incapacité, etc. C’est dans nos  attitudes et notre discours que se crée véritablement le handicap social, peut-être le plus difficile à vivre, car nous avons tendance à rappeler à l’autre qu’il est différent de nous en lui collant cette étiquette de « handicapé », « une personne qui n’est pas une personne à part entière»35 . En effet, nous remarquons que la conception du handicap varie d’un pays à un autre. Car au Burkina Faso, Marion Héraud nous explique que l’étude des représentations montre que chaque handicap est perçu d’une façon particulière et ce, en fonction de la gravité attribuée à la déficience et de sa localisation. Ainsi, les processus de rejet sont différents selon la nature du handicap et les incapacités qui lui sont liées.36 Cependant, au Congo, pour désigner un handicap, l’expression la plus usitée dans la langue locale est « Kikata », selon Jean-Didier Mbelé37. C’est un terme qui a une connotation péjorative, voire négative. Ce concept donne la signification de « incapable », « arriéré », « paralysé », « dépendant » et même « incompétent ». Mais soulignons que cette expression vise plus le handicap physique. Ce stéréotype a une vision réductrice et caricaturale de la personne handicapée et de ses capacités, selon les mots de l’auteur. Au Sénégal, le mot le plus employé est « lago » 38. Néanmoins, pour chaque type de handicap, qu’il soit physique, visuel, mental, etc, une expression la prend en charge pour bien l’expliciter. Pourtant, d’après Évariste Karangwa39, une sorte de dichotomie se présente dans la perception des différentes communautés rwandaises. Il est évident que la perception que les gens ont du handicap des enfants est différente d’un groupe social à l’autre. Dans certaines communautés rwandaises, les enfants handicapés sont inconnus et restent enfermés dans des chambres. C’est le cas des familles riches et non instruites, tandis que dans les milieux ruraux, l’interaction de tous les enfants confondus est souvent plus évidente.

Table des matières

 INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE
CHAPITRE I : CADRE THÉORIQUE
CHAPITRE II : CADRE MÉTHODOLOGIQUE
CHAPITRE III : DE L’ÉCOLE SPÉCIALISÉE DES DÉFICIENTS VISUELS À L’ÉCOLE INCLUSIVE
CHAPITRE IV : CADRE D’ÉTUDE
DEUXIÈME PARTIE : PRÉSENTATION, ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES DONNÉES DU TERRAIN
CHAPITRE V : CARACTÉRISTIQUES DE LA POPULATION
CHAPITRE VI : L’ÉDUCATION SPÉCIALISÉE ET INTÉGRATIVE
CHAPITRE VII : L’ÉDUCATION INCLUSIVE . 243
CHAPITRE VIII : RÔLE DES PARTENAIRES ET DES AUTORITÉS LOCALES IMPLIQUÉS
CHAPITRE IX : PERCEPTION DE LA DÉFICIENCE VISUELLE
CHAPITRE X : PERCEPTIONS DE L’UTILITÉ DE L’ÉCOLE ET DE LA SCOLARISATION DES ENFANTS À BESOINS ÉDUCATIFS SPÉCIAUX AINSI QUE
DE L’INCLUSION SCOLAIRE
CHAPITRE XI : L’APPLICATION DE LA JUSTICE SOCIALE DANS L’ESPACE SCOLAIRE
CHAPITRE XII : SYNTHÈSE DE L’INTERPRÉTATION DES DONNÉES DE L’ÉTUDE
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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