Contribution de l’Internet à l’affirmation de la
démocratie en Afrique noire francophone
De la démocratie en Afrique ou d’une démocratie à l’africaine ?
L’analyse de la contribution de l’Internet à l’affirmation de la démocratie en Afrique, au Sénégal en particulier nécessite avant tout la compréhension du contexte historique, social et économique dans lequel notre étude se présente. Aussi, tenterons-nous dans ce chapitre de cerner le concept de démocratie et son historique en Afrique de l’Ouest francophone, pour mieux en ressortir les spécificités africaines. Enfin, nous ferons une présentation de l’Internet en Afrique pour mieux connaître son évolution, ses particularités, les contraintes, de même que les grandes initiatives qui contribuent à son développement.
UN MODÈLE AFRICAIN DE LA DÉMOCRATIE ?
Après l’échec du communisme et le recul du socialisme, la démocratie semble aujourd’hui s’imposer comme étant le mode d’organisation politique le plus partagé. Même les dictatures les plus farouches s’en réclament le monopole. Monsieur Boutros Boutros-Ghali, alors Secrétaire général des Nations Unies, voyait l’impératif de la démocratie comme étant « l’enjeu fondamental de cette fin de siècle1 ». Mais que recouvre exactement la notion de démocratie ? D’où vient-elle et comment estelle venue en Afrique ? Nous allons dans ce chapitre, cerner d’abords le concept de démocratie. Nous ferons ensuite un bref historique de la démocratie en Afrique noire francophone en insistant sur le cas sénégalais. Nous étudierons après les spécificités de la démocratie africaine à travers le prisme des enjeux de la vie politique. Enfin, nous présenterons un acteur de plus en plus présent dans la scène politique africaine : la société civile.
Démocratie : un signifiant à signifiés multiples
Selon René Degny Segui 2 , le vocable « démocratie » recouvre au moins deux réalités, les occulter dans un débat sur la démocratie conduit à des « confusions 1 Boutros Boutros-Ghali, discours d’ouverture de le Conférence mondiale de vienne sur les Droits de l’Homme, -25 juin 93 2 Professeur à l’Université d’Abidjan, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le Rwanda dans le Rapport introductif du Symposium international de Bamako sur les pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone, Bamako, 6-8 novembre 2005 regrettables et à des affirmations péremptoires et gratuites ». La démocratie est tout à la fois un principe universel et un mode d’organisation politique. Le principe de l’universalité de la démocratie se rapporte bien à son sens étymologique à savoir le «pouvoir du peuple1 ». Abraham Lincoln, à l’époque Président des États Unis d’Amérique, la définissait déjà en 63 lors d’une visite du champ de bataille de Gettysburg comme étant « Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». C’est donc dire qu’il est universellement admis que le peuple reste la source et la finalité du pouvoir. Même dans les régimes qui ne se réclament pas de la démocratie, les rois ou les monarques se disent « serviteur du peuple ». Bien que détenteur de ce pouvoir, le peuple peut souverainement en laisser la gestion à ses représentants sous une forme consensuellement reconnue et consignée le plus souvent dans une charte fondamentale appelée constitution. La démocratie peut, dés lors, être représentative ou directe comme ce fut le cas dans la Grèce antique. Cela implique alors l’exclusion dans un système démocratique de tout accaparement du pouvoir par un individu, un parti politique ou une quelconque organisation. Au souci de préserver cette souveraineté du peuple, bien des constitutions africaines précisent, et le plus souvent dés leur préambule que, « La souveraineté appartient au peuple. Aucune section du peuple, aucun corps de l’État, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » mieux encore, elles (constitutions) attestent que le suffrage universel est la seule source de légitimité du pouvoir politique2 . Appréhendée au sens de l’organisation du pouvoir politique, la démocratie relève de l’ordre du consensuel, et elle est par conséquent ondoyante au gré des aspirations et des peuples. En effet, les formes d’organisation politique varient dans l’espace et dans le temps, d’une époque à l’autre, d’un continent à l’autre et même d’un pays à l’autre. Les institutions et les structures démocratiques d’un État sont pour ainsi dire le fruit de son histoire et de sa culture et elles ne peuvent, sous ce rapport, être transposées à une autre nation pour laquelle elles ne sont pas conçues. La démocratie vient de deux mots grecs « o demos » le peuple, et « to cratos », le pouvoir 2 Dans le préambule de la Constitution Centrafricaine du 28 décembre 94, cité par Dégny Segui Le principe de l’universalité de la démocratie est fortement inspiré de sa conception athénienne à savoir un système de gouvernement où le peuple doit décider. Pourtant, la conception athénienne du peuple est bien restrictive pour ne pas dire exclusive, le peuple n’étant limité qu’à quelques notables à l’exclusion des femmes et des esclaves (la plèbe). De nos jours, une telle acception du peuple est sans conteste inadmissible. Le peuple est constitué de l’ensemble des citoyens d’une nation sans exclusion. Le principe de l’égalité devant la loi s’est érigé en norme fondamentale avec comme corollaire la règle de non-exclusion. Quel est donc le mode de décision des peuples ? Il est bien souvent direct ou représentatif. Les Athéniens avaient opté pour une démocratie directe en partant de la ferme conviction que la démocratie est directe ou n’est pas du tout. C’est ainsi qu’ils avaient mis en place des agoras qui constituaient le lieu privilégié d’expression de la démocratie, écartant ainsi l’élection qui tendait vers l’élitisme. Montesquieu distingua bien plus tard le régime démocratique du régime représentatif en écrivant dans l’Esprit des Lois : « Lorsque dans la République, le peuple… à la souveraine puissance, c’est la démocratie ; lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie ». Il est ainsi en phase avec Périclès « Notre régime politique a pour nom démocratie parce que, dans l’administration, les choses dépendent non pas du petit nombre mais de la majorité. 2 » Quant à Rousseau, il avait une conception idéaliste de la démocratie au point qu’il déclara dans le Contrat social que « s’il y’avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement ; un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Contrairement à la conception athénienne, la démocratie n’est plus directe de nos jours mais elle est plutôt représentative. On serait bien tenté de croire à l’adage « Ubi sociétas ibi ius » : Á chaque société ses lois, ses règles, donc son modèle démocratique. Pourtant, la réalité est toute autre, puisque le modèle occidental de la démocratie tend à s’universaliser, avec cependant, quelques divergences que l’on peut qualifier de spécificités en Afrique noire francophone. Ces divergences sont plus liées à la configuration et aux enjeux de la vie politique qu’au choix du modèle. La démocratie libérale est alors le modèle privilégié en Afrique et dans bien des pays du monde. Aussi, ferons-nous un bref aperçu historique de la démocratie en Afrique noire francophone et au Sénégal en particulier avant d’en ressortir les spécificités. I.2 – Historique de la démocratie en Afrique noire francophone et au Sénégal L’avènement de la démocratie aura été un tournant dans l’histoire politique de l’Afrique noire francophone et dans l’histoire du monde tout simplement. La « démocratie » s’est amorcée vers la fin des années 80 en Amérique latine avec la chute des régimes militaires (Brésil, Argentine et Chili). Il s’est poursuivi en Europe avec la chute du mur de Berlin en 89, et également dans les pays baltes issus de l’ancienne Union soviétique. L’Afrique noire francophone n’a pas été en reste, elle a aussi subi les effets de ce qu’on appela à l’époque, le «vent de l’Est ». Á cet égard, la « Conférence régionale sur le Bilan des Conférences nationales et du Processus de Transition démocratique en Afrique » qui s’est tenue à Cotonou au Bénin du au 23 février 2000, note que «l’avènement des Conférences nationales s’est situé au lendemain d’événements internationaux majeurs (chute du mur de Berlin, effondrement des systèmes communistes), comme une réponse ; sous l’impulsion des forces démocratiques internes, à une crise de légitimité et de blocage tant institutionnel qu’économique et social1 ». La démocratisation des pays devenait dés lors irréversible et irrésistible en Afrique francophone. C’est dans cette optique que s’inscrit le sommet de La Baule, tenu du au 21 juin 90, ou le Président François Mitterrand déclarait que dorénavant la France « liera ses efforts de contribution à tous les efforts faits pour aller vers la liberté». Ce sommet est ainsi considéré comme étant un tournant dans l’histoire de la démocratie en Afrique. L’Afrique noire francophone connut par la suite plusieurs expériences de transition démocratique avec des fortunes diverses. Les peuples africains conscients des enjeux du phénomène exigèrent non seulement des transitions vers des régimes démocratiques mais également plus de liberté et de respect des droits humains. On assista, ainsi, à des « révolutions populaires » avec leurs lots de répressions et de martyrs mais qui amenèrent les États à céder une parcelle de pouvoir aux peuples. Certains organisèrent des « Conférences nationales des Forces vives ». Il s’agit : du Bénin ( -28 février 91) ; du Congo (28 février – juin 91) ; du Togo (juilletaoût 91) ; du Niger (29 juillet -3 novembre 91) ; du Mali (29 juillet 12 août 91) ; du Tchad ( janvier – 07 avril 93), etc. D’autres pays ont préféré concéder le multipartisme au détriment de l’organisation d’une Conférence nationale. Ce sont le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la Guinée, Madagascar, la Mauritanie, la République Centrafricaine, le Rwanda. Le Sénégal, quant à lui, connaissait le multipartisme depuis les années 50, donc avant même les indépendances. C’est cependant à partir des années 70 que les partis se sont réellement structurés, notamment en 74 avec le Parti démocratique sénégalais (PDS). Arrivèrent ensuite le PAI et le RND1 en 76, le MRS en 79, le MSU, le PPS, la LD MPT et le PIT en 81. D’autres partis verront ensuite le jour, mais ils sont bien souvent issus des premières formations politiques, suite à des divergences d’opinion ou de leadership en leur sein. Ces partis constituèrent pendant bien longtemps l’opposition sénégalaise qui affronta à plusieurs reprises dans des compétitions électorales le Partis socialiste (PS) au pouvoir depuis 60. On parla ainsi et pendant longtemps de l’ « exception sénégalaise ». L’ « exception sénégalaise » se matérialisa quelques années plus tard ( mars 2000), suite à des élections régulières et démocratiques par un changement de régime. Après quarante années de gouvernance socialiste, les Sénégalais optèrent pour une démocratie libérale en élisant Maître Abdoulaye WADE (après 26 ans d’opposition), Président de la République du Sénégal. Ce changement de régime qui s’est effectué dans la plus grande tranquillité, ce qui n’est pas souvent le cas en Afrique, est connu au Sénégal sous le nom de l’Alternance. Le nouveau régime démocratique marqua son arrivée au pouvoir par l’instauration de la liberté d’opinion, un foisonnement des médias de communication (radio, TV, presse écrite et Internet), l’abolition de la peine de mort, la volonté annoncée de 1 Le Rassemblement national démocratique, a été crée par Cheikh Anta Diop en 76 mais il n’a été reconnu qu’en 81 22 supprimer le délit de presse1 , l’absolution des crimes politiques2 et le multipartisme à volonté. Le Sénégal compte aujourd’hui (2009) 0 partis politiques, officiellement reconnus par le Ministère de l’Intérieur. Par ailleurs, le Sénégal se positionne comme l’un des leaders en Afrique francophone et il ne cesse de multiplier les initiatives pour le développement du continent. Ce pays est même à l’origine du plus grand plan de développement jamais conçu par des africains plus connu sous le nom de NEPAD3 . De même, le Chef de l’État sénégalais intervient souvent en tant que médiateur dans les multiples conflits qui sévissent dans le continent noir. Ce qui lui valu, en 2006, le prix Houphouët Boigny4 pour la recherche de la paix décerné par l’UNESCO à des acteurs qui œuvrent à la recherche de la paix et de la démocratie dans le monde. C’est dans ce contexte politique que l’Afrique francophone connut ses premières expériences démocratiques au sens moderne du terme5 . La transition vers une démocratie est dés lors devenue une réalité même si elle s’est opérée en Afrique francophones avec des fortunes diverses charriant son lot de succès et d’échecs, laissant parfois un goût d’inachevé. L’Afrique entra ainsi dans l’ère de la démocratie tout en étant pas suffisamment préparé à un tel mode de gouvernance. C’est ainsi qu’elle a dû appliquer à la démocratie un certain nombre de pratiques que l’on pourrait qualifier de spécificités africaines de la démocratie ou d’une démocratie à l’africaine.
PREMIÈRE PARTIE : DE LA DÉMOCRATIE ET DE L’INTERNET EN AFRIQUE ET AU SÉNÉGAL |