Morphosyntaxe de Joola Karon
CONSIDERATIONS PHONOLOGIQUES
L’HARMONIE VOCALIQUE
L’harmonie vocalique relève plutôt de la morphophonologie. Cependant, nous le traitons dans cette section parce que nous ne prévoyons pas un chapitre spécifique à la morphophonologie. 1.1.1. L’harmonie vocalique en ATR A l’image des autres parlers jóola, le Karon connaît l’harmonie vocalique en ATR. Dans les mots, les voyelles peuvent être tendues ou lâches. Les voyelles tendues manifestent le trait +ATR, et les voyelles lâches sont -ATR. Le principe général de l’harmonie vocalique : c’est le radical qui assimile les affixes. (1) -cúmp « tas» Préfixé : hi + cúmp Æ hícúmp « un tas » Suffixé : hi + cúmp + ha Æ hícúmphá « le tas » Pour les verbes : le trait +ATR s’étend généralement aux dérivatifs. (2) a – fúl – a – fúl Æ áfúlááfúl il -sortir – ACC – RDB « il est sorti » (3) a – fúl – an – a – fúl – an Æ áfúlánáfúlán il – sortir -CAUS – ACC – sortir – CAUS « il a fait sortir » (4) ifi – a – fúl Æ áfááfúl ou afaafúl AUX – il – sortir « il sortira » L’assimilation en +ATR provient du suffixe lorsque celui-ci correspond aux morphèmes dérivatifs de «l’inversif » í, ín ; du dérivatif átí « négation » ou encore du morphème marqueur de « l’ordinal » -én. 39 (5) ka-meye « savoir » Ka-meye- átí káméyáátí PV-savoir-NEG « Une ignorance » (6) -coop « prendre » ni-coop – í nícóópí vous-amener-INV « ramener » (7) -teef « plafonner » ka-teef- ín kátééfín PV-plafonner-INV « ôter le plafond » La combinaison entre le dérivatif í- et la bases verbale à finales vocaliques constitue un hiatus que la langue empêche par deux moyens : -lorsque la voyelle finale du verbe est distincte du phonème -i-, c’est l’épenthèse –n- qui s’interpose entre les deux phonèmes vocaliques (cf. ex. cidessous). -lorsque la voyelle finale du verbe correspond à -i-, c’est le phonème disjonctif qui s’interpose entre les deux phonèmes vocaliques en hiatus (cf. ex. 9). (8) -ñoho « retourner » ifi – a -ñoho -n-í Æ áfááñóhóní FUTaff-il-retourner – HARM -INV « Il reviendra » 40 (9) -li « manger » ifi-a -li – í Æ áfáálí‘í FUTaff -il -manger-INV « Il mangera en venant » ramènera » Les exemples (8) et (9) manifestent une contrainte combinatoire ; le phonème vocalique final de la marque aspectuelle -ifi- « futur affirmatif » chute à la rencontre de la voyelle subséquente qui se redouble conformément à la règle n° 8. La voyelle initiale du morphème aspectuel -ifi- est assimilée par la voyelle subséquente -a-1 .
L’assimilation des phonèmes vocaliques des classes nominales
En jóola karon, le phonème vocalique des classes nominales de structure CV est soit -i-, soit -u-. La voyelle de l’indice de classe s’assimile au premier phonème vocalique du thème nominal à initiale consonantique. Autrement dit la voyelle de l’indice de classe est soit -i-, soit -u- lorsque la voyelle du thème est respectivement antérieure ou postérieure. – Avec CL4 pi ~ pu : (10) pu- koton-pa pi- ket-a-ket CL4-pulet-DET CL4-mourir-ACC-RDB « Les poulets sont morts » – Avec CL 11 mi ~ mu (11) mi- cempanu-ma mu-fom-ut CL12-sel- DET CL12-suffisant-NEG « Le sel n’est pas suffisant 1 Précisons toute fois que l’assimilation vocalique n’est manifeste qu’entre deux voyelles interposées et jamais entre deux voyelles juxtaposées (cf. section 1.1.2).
L’assimilation des dérivatifs verbaux
La combinaison entre deux phonèmes vocaliques de lieu (et) ou de degré différents, appartenant à deux morphèmes distincts, entraîne l’occurrence du phonème épenthétique -i1 – entre les deux phonèmes vocaliques. Soit la contrainte : V1 +2 V2 V1 +i + V2 Avec les ordinaux : súp- « deux » et -én « ordinal » : (12) ka- súp- en ká-súp-í-én kásúpíén PV-deux-EPE-ORD « Prendre pour une deuxième fois » Avec les dérivatifs verbaux: oolo « réfléchi » et -a « accompli » : La combinaison du dérivatif -oolo- et de l’épenthèse -i- entraîne la chute de la voyelle subséquente, conformément à la règle morphophonolique n°1 ( cf. ex. 13). (13) a-kuum- oolo-a a- kuum-oolø- i- a akuumooliy3 a Il -blesser-REFL-HARM-ACC « Il s’est blessé » Avec le numéral –sak « cinq » et le « ordinal » én : (14) ka- sak- én ká-sák-i- én kásákiyén PV-cinq-HARM-ORD « Faire une cinquième fois »
LE PHONEME DISJONCTIF
Le phonème disjonctif noté / ‘ / est un élément constitutif du système des phonèmes du jóola karon et du reste, de la plupart des langues et dialectes du sous-groupe jóola. Comme son non l’indique, il permet de disjoindre deux phonèmes vocaliques identiques tout comme le fait les consonnes1 . La disjonction est l’un des trois procédés par lesquels le jóola karon évite l’hiatus. Ce phonème se manifeste dans les suffixes déterminatifs2 , entre voyelles identiques appartenant à deux morphèmes distincts. Au plan typologique, les contextes de manifestation du phonème disjonctif se résument en deux cas: – lorsque le thème du nominal déterminé porte la marque de « l’agent » a- et que le substantif en question est un régissant formel de classe1 (a-), c’est le phonème disjonctif qui s’interpose entre les voyelles en hiatus. (15) a-cifa-ø – a a- cifa- øa acifa’a CL1-tailleur-CL1-LOC CL1-tailleur-DET « Le tailleur » (16) a-suuma- ø- a a-suuma- øa asuma’a CL1-lutteur-CL1-LOC CL1-lutteur-DET « Le lutteur » -le phonème disjonctif se manifeste aussi lorsque le thème verbal à finale vocalique, -i- est juxtaposé au phonème vocalique du dérivatif de négation –it. (17) e-puuk-ya ka-li- it epuukya kali’it CL3-enfant-DET CL1-manger-NEG « Les enfants n’ont pas mangé »(18) iñci ø-mí -ít iñci mí’ít Moi je-connaître-NEG « Moi, je ne sais pas » Le phonème disjonctif ainsi identifié ne doit pas être confondu avec le glide qui désigne les phonèmes appelés traditionnellement et avec imprécision semi-voyelles ou semi-consonnes. Ces phonèmes / y / et / w / constituent en jóola karon une classe de phonèmes au même titre que les consonnes et les voyelles. Le glide ( noté GLID) ainsi défini a une réalité purement phonologique. Il se manifeste à la limite de morphèmes entre deux phonèmes vocaliques non-identiques en séquence. Le glide s’analyse en jóola karon comme une consonne qui intègre la structure générale de la syllabe de la langue (cf. section 1.6). -le glide est / y / . Il se manifeste entre deux voyelles de lieu différent. (19) a-luta’a á-cól -í- ót á-có-lí-y-ót ácólíyót Le maçon CL-arriver-INV-NEG « Le maçon n’est pas arrivé » (20) sampeel-ii? Ká- li- a sampeel-ii ? ka- li- y-a sampeelii ? kaliya Jean Pierre –eux ils-manger-GLID-ACC « Jean Pierre et compagnie n’ont pas acheté (en venant) » -le glide est / w /. Il se manifeste entre deux voyelles de lieu et de degré distincts. (21) sampeel a- suu- a sampeel a-suu-w -a sampeel asuuwa Jean Pierre il-honte-GLID-ACC « Jean Pierre a honte »
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