L’offre de soins de santé
Les Déclarations de Dakar sur le VIH
Il est important de faire part de ces déclarations car non seulement elles ont été faites sur le continent africain (au Sénégal), mais surtout dans le domaine complexe et délicat de prise en charge des personnes porteuses de VIH. Le contenu de ces déclarations révèle des progrès significatifs dans la prise en charge africaine des personnes vivant avec le Sida. Il s’agit de la Déclaration de Dakar de 1994 sur l’éthique, le droit et le VIH et de la Déclaration de Dakar de 1998 sur le VIH dans les prisons africaines
La Déclaration de Dakar du 1er juillet 1994 sur l’Ethique, le Droit et le VIH
Cette déclaration résulte d’une consultation inter-pays du réseau africain sur l’éthique, le droit et le VIH dans le cadre de lutte contre le SIDA. Préoccupée par l’impact de l’épidémie du VIH sur tous les aspects de la vie humaine, la consultation inter-pays du réseau africain sur l’éthique, le droit et le Vlli, tient à ce que des actions soient menées à tous les niveaux (individuel, institutionnel, professionnel ou gouvernemental) en réponse à l’épidémie du VIH. Pour se faire, des principes (au nombre de 10) ont été posés à savoir: le principe de responsabilité, d’engagement, de partenariat et de concertation, de renforcement des capacités d’action, de non discrimination, de confidentialité et du respect de la vie privée, d’adaptation, de l’utilisation d’un langage adapté, d’éthique dans la recherche et enfin le principe d’interdiction du dépistage obligatoire. 54. Il faut noter que la déclaration de Dakar rappelle à chacun, que cela soit l’individu lui-même, les gouvernements, les institutions, les entreprises privées et les médias, le rôle qu’il doit jouer dans la lutte contre le VIH dont le vieux continent reste le plus touché. La déclaration en parlant de « partenariats qui doivent refléter et promouvoir activement la solidarité, l’inclusion, l’intégration, le dialogue, la participation et l’harmonie », soulève une importante problématique à savoir la difficulté de l’acceptation du malade vivant avec le VIH/ Sida dans la société africaine. Le sidéen est souvent mal vu dans les sociétés africaines. Il devient du coup victime de marginalisation car le Sida dans l’imaginaire africain est considéré 49 comme« une maladie de la honte »parce que résultant d’une relation sexuelle avec différents partenaires. Le sexe est tabou en Afrique et contracter une maladie sexuellement transmissible est considérée comme une punition par « les dieux » d’une infidélité. Pour réconforter ces propos, Amsatou Sow Sidibé disait que « le Sida est apparu pendant longtemps comme un mal mérité par le malade, une malédiction, un châtiment de Dieu, fléau d’une société dépravée et frappant des déviants ou des pêcheurs impurs. Ainsi, les porteurs du VIH vivent, dans leur milieu familial et social, des réactions de méfiance, d’hostilité et d’exclusion rendant la maladie beaucoup plus insupportable et ouvrant la porte à son expansion. La même réaction négative a existé au moyen âge lors des grandes épidémies de lèpre considérées comme des calamités correspondant à des châtiments de Dieu pour des comportements diaboliques commis par les hommes »86. 55. En Afrique, ce n’est pas seulement le Sida en tant que tel qui tue les patients qui en sont porteurs mais les soucis liés à la marginalisation dont ils sont victimes. Les experts du Réseau africain sur l’éthique, le droit et le VIB ont compris cela, c’est pourquoi ils ont intégré dans cette déclaration le principe de non discrimination. Ce principe dispose ainsi que « toute personne directement affectée par l’épidémie doit rester partie intégrante de sa communauté avec le même droit au travail, au logement, à l’éducation, aux services sociaux, avec le droit au mariage, à la liberté de mouvement, de croyance et d ‘association, avec le droit au conseil, aux soins et au traitement, à la justice et à l’équité » (principe n° 5). Ainsi, toute personne vivant avec le VIB doit être considérée comme un concitoyen à part entière. Il a droit au respect de sa dignité, c’est dire que toute attitude d’exclusion doit être bannie et la vie privée du malade doit être respectée et toute personne étant au courant de sa maladie doit respecter la confidentialité comme le souligne l’ article L. 1110-4 du Code français de santé publique. 56. Par ailleurs, le respect du principe de confidentialité est un « couteau à double tranchant » car le médecin qui a le secret de l’affection de la personne n’est pas tenu de le divulguer et le malade non plus n’est pas obligé d’informer ses partenaires de sa maladie. Il se pose ainsi le danger de transmission de la maladie. Il en est de même pour le dépistage qui est volontaire. A cet effet, imposer celui-ci à la population est une atteinte grave aux libertés individuelles. Cependant, ne pas appliquer le dépistage obligatoire constitue un risque énorme pour la santé de la population, surtout dans le contexte africain marqué par un taux élevé d’analphabétisme 88 . En effet, seules les femmes enceintes font l’objet d’ un dépistage obligatoire, au Sénégal89. Ainsi, lors de ces dépistages, on se rend compte que beaucoup de femmes sont porteuses du virus du Vlli, transmis le plus souvent par leurs conjoints. 57. En outre, dès lors que le dépistage n’ est pas obligatoire, les Etats africains doivent donc miser sur la communication et l’information afin d’ amener la population à se faire volontairement dépister. Cette sensibilisation par l’information et la communication peut aussi permettre d’éradiquer l’image du « Sida tabou » ou du « Sida, symptôme de la honte » de la pensée de la population de sorte qu’il puisse être considéré comme toute autre maladie. Egalement, l’ accessibilité à l’information sur cette maladie peut encourager le dépistage et pousser les malades à s’ affranchir des contraintes liées à la société et à aller se faire soigner. Elle peut aussi inciter les personnes vivant avec la Vlli de participer activement à la sensibilisation de la population sur les comportements à avoir pour éviter cette maladie. Cette déclaration, telle que nous venons de voir, est capitale dans le cadre de l’ accès aux soins des malades vivant avec le vœ et de leur bien-être dans la société africaine.
La Déclaration de Dakar de 1998 sur le VIH dans les prisons africaines
Cette déclaration a été adoptée par les représentants des administrations pénitentiaires, les ONG spécialisées dans la lutte contre le Sida et les institutions médicales spécialisées. Les participants ont ainsi émis le souhait de promouvoir le respect du droit à la santé des personnes détenues en particulier à travers la mise en œuvre du principe 88 C’est d’ailleurs ce qui explique que très peu de personnes vont vers les centres agréés pour se faire dépister, ajouté à ceci la crainte d’être reconnu porteur du VIH. 89 Le dépistage au Sénégal est gratuit et obligatoire pour la femme enceinte dans le souci de protéger l’enfant qu’elle porte et de le suivre dès sa naissance s’il est atteint de la maladie. 51 d’équivalence des soins en milieu carcéral avec ceux offerts à l’ensemble de la population. Ils ont aussi émis le souhait de vulgariser les directives de l’OMS sur le Sida dans les prisons notamment les éléments essentiels de mise en place d’ un programme efficace de prévention à l’ attention des détenus et des personnels pénitentiaires … 59. La prison est un lieu propice au développement du Vlli. Cet aspect s’explique par beaucoup de facteurs dont la surpopulation carcérale. La surpopulation des prisons africaines constitue un facteur déclencheur de plusieurs maladies tel que le Vlli. Pour s’en convaincre prenons l’ exemple de la prison de Rebeuss (Dakar) qui comptait, au 24 octobre 2011 , 1834 détenus 90. Ses pensionnaires sont à l’étroit, dans une sidérante promiscuité. Les pièces les plus grandes font environ 10 mètres de long sur 5 m de large pour 3 m de haut. Prévues pour 40 détenus, elles en accueillent parfois 100 à 120 détenus9 1 . Cette promiscuité, associée au manque de contrôle sanitaire et d’information des détenus est à l’origine du taux élevé de prévalence de l’infection du Vlli dans les prisons. Malheureusement, on note une absence de réelles politiques de la plupart des gouvernants africains pour assurer l’ accès aux soins de la population carcérale, comme si cette dernière en la privant de sa liberté d’aller et de venir perdait ses droits fondamentaux. Par ailleurs, il faut rappeler que les détenus sont certes privés de liberté mais conservent leurs droits fondamentaux en particulier leur droit à la santé 92 . C’ est en ce sens que la déclaration de Dakar sur le Vlli/Sida dans les prisons africaines est symbolique car faisant état d’ un droit longtemps marginalisé en l’occurrence le droit aux soins des détenus. 60. Les participants de cette conférence ont exprimé leur ferme volonté de promouvoir le respect du droit à la santé des personnes détenues, à travers la mise en œuvre du principe de l’équivalence des soins en milieu carcéral avec ceux offerts à l’ensemble de la population . Le grand paradoxe est cependant de savoir comment assurer l’ accès aux soins des 90 Daouda Mine, « Voyage au cœur des prisons de Dakar», source www.xibar.net, consulté le jeudi 3 novembre 2011 , 18h 34, p 2. 91 Ces conditions inhumaines sont dénoncées au quotidien par tout le monde, que ce soit les médias ou les organisations de défense des droits de l’homme, telle que Amnistie Internationale. Mais cela semble ne pas être entendu car aucun pays ne respecte les normes imposées dans ce cadre. Le détenu continue toujours d’être considéré comme un hors la loi pour qui aucune faveur ne doit être accordée. 92 Anne-Marie Duguet, art. cit., p. 129. 52 personnes détenues à travers la ffilse en œuvre du prmc1pe de l’équivalence en sachant qu’ aucun pays africain n’est en mesure d’ assurer le minimum de soins à sa population « libre ». Mais également, un détenu à t-il la possibilité d’exprimer le libre choix du praticien et du diagnostic et de l’établissement de soins 93? Nous pensons que non. Au Sénégal, il existe très peu de services spécialisés dans la prise en charge des détenus malades 94 . A notre connaissance aucune prison sénégalaise ne dispose d’ un vrai centre de soins. Donc le premier principe posé par cette déclaration à savoir « la mise en œuvre du principe de l’équivalence des soins en milieu carcéral avec ceux offerts à l’ensemble de la population » est une utopie ou un simple « vœu pieux ». Tout de même des efforts ont été entrepris dans le cadre de l’éducation des détenus à la santé afin de réduire les risques de contamination du Sida. Mais aussi d’ aider les détenus vivant avec le Sida d’avoir accès aux médicaments antirétroviraux gratuitement. Cependant, nous estimons que la solution doit être toute autre c’est-à-dire accorder une liberté même conditionnelle aux détenus vivant avec le Vlli car cette maladie ne peut pas s’ accommoder avec les conditions d’ incarcération dans les prisons 95 . Laisser un malade vivre en prison avec le Sida c’est le conduire tout droit à la « tombe ». L’ exemple le plus patent est le cas d’ un détenu qui a rendu l’âme à la veille de son procès au pavillon spécial de l’hôpital Aristide Le Dantec96. « D’après son avocat, au moment où on plaçait son client sous mandat de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeus, il vomissait du sang. Son avocat, ayant remarqué son état de santé, avait alors introduit une demande de liberté provisoire qui a été rejetée. Il était ainsi retourné en prison et son état de santé avait empiré, poussant l’administration pénitentiaire à l’évacuer au pavillon spécial où il est décédé » 97. Par ailleurs même si ce décès n’ est pas lié au Sida, il permet tout de même de ce rendre compte des conditions de détention dans les prisons africaines. Cette illustration réconforte le point de vu d’Anne-Marie Duguet selon lequel « la population carcérale est une 93 L’article 4 de loi du 2 mars 1998 portant réforme hospitalière considère le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement en un «principe fondamental ». 94 Il s’agit du pavillon spécial de l’hôpital le Dantec et de celui de !’Hôpital Principal de Dakar. 95 CEDH, 14 novembre 2002, n° 67263/01, Mouise! c/ France, Les grandes décisions du droit médical, sous la direction de François Vialla, LGDJ 2009, p. 44 et s. Il s’agit là de l’inconciliabilité entre l’état de santé du requérant souffrant du cancer avec la détention. 96 Le pavillon spécial de l’hôpital Aristide Le Dantec est un service qui accueille les personnes malades en détention. 97 Le journal « !’Observateur » du vendredi 22 juillet 2011 , consulté sur le site http://www.seneweb.com/ le 23 juillet 2011. 53 population vulnérable dont l’état de santé est fragilisé par la précarité qui précède l’incarcération » 98. En outre, on remarque bien que la prévalence de l’infection du VIH dans les prisons est supérieure à celle observée pour la population générale. Pour ce faire, les autorités sanitaires au-delà d’une simple déclaration d’intention doivent mettre en place au niveau des centres de détention des programmes de prévention et favoriser l’accès aux médicaments et aux soins pour des personnes vivant avec le VIH. Des libertés conditionnelles doivent être envisagées à l’égard des personnes souffrant du Sida, tout en assurant leur suivi médical. 61. En définitive, l’Etat du Sénégal a réaffirmé son attachement à la santé de la population à travers son adhésion dans de nombreux organismes internationaux. Ainsi, pour mieux adapter les principes posés par ces organismes aux réalités du pays, de nombreux lois et règlements ont été consacrés en matière de santé publique par le législateur et l’autorité exécutive.
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