Divination, rôle social du maraboutdevin et représentations du destin
Pratique divinatoire
La manipulation divinatoire peut revêtir plusieurs formes, utiliser plusieurs techniques d’exploration dont celles qui sont « pratiquées par ceux qui voient l’avenir à travers les événements du passé [ … ], ceux qui Je perçoivent à travers les corps transparents (cristallomancie), tels les miroirs (lécanornancie) et les bassines d’eau (hydromancie), ceux qui examinent les cœurs d’animaux (extispicine, haruspicine), leurs foies (hépatoscopie) et leurs os (scapulomancie, omoplatoscopie), ceux qui tirent des présages des oiseaux (ornithomancie) et des bêtes féroces (zoomancie), les grains de froment el les noyaux (cléromancie). Ces pratiques existent indubitablement dans le monde. Ajoutons à cela les paroles inspirées, mises dans la bouche des fous, de même le dormeur, au début de son sommeil, et le mort, dans les instants qui suivent son expiration, parlent des choses inconnues ; de même aussi les ascètes, parmi les sufis, jouissent de la faveur divine de percevoir des choses inconnues » (Fahd 1966 : 47). Sans chercher à être aussi exhaustif que Toufic Fahd, nous avons, au Sénégal, de nombreuses techniques divinatoires dont usent les marabouts-devins. Un même marabout peut, comme le rapporte Trincaz concernant la région de Ziguinchor, user de différents procédés à la fois : «li emprunte à la magie traditionnelle, il use de procédés graphiques de la géomancie arabe, il se sert des prières de l’islam et des versets coraniques. Et il emploie également des procédés oniriques, les techniques de l’extase et le contact direct avec les djinn (esprits musulmans) et parfois les seytaane (diables)» (Trincaz 1981 : 127). Le même procédé peut certes présenter des différences d’un devin à un au8 Au Rwanda, où les modes de divination sonl des plus variés, Marcel Pauwels en rêpertorie «une bonne trent~ine » (Pauwels 1953 : 88). 40 tre, avec des variantes d’ordre culturel, social, individuel. Je n’ai pas cherché à les relever pour ne pas trop alourdir cette étude qui a pour objet particulier ta divination par les signes tracés sur le sable, ramlu. J’ai répertorié cependant un certain nombre de procédés divinatoires parmi les plus usités au Sénégal dont ceux qui suivent, avec un traitement particulier qui se.ra réservé à la technique du cauri (tam).
«Bâtonnet» (brin d’allumette, par exemple)
À la demande du devin, le consultant – ici le client – fait glisser le long d’une surface verticale plane (un mur, par exemple) une allumette, pendant que le devin, tout en égrenant son chapele~ récite quelques versets incantatoires. Si le bâtonnet reste collé au mur, semblant défier ainsi toutes les lois de la pesanteur, cela signifie que les vœux du client seront exaucés, mais si le bâtonnet n’offre aucune adhérence et tombe, c’est un mauvais présage. Mais rien n’ètant tout à fait irrémédiable, une solution sera toujours trouvée. J’ai vu faire la divination avec ce procédé, une seule fois, à une époque où ma curiosité, je l’avoue, n’était pas encore très exercée dans ce domaine. L’officiant se contentait d’émettre de courtes réponses du genre:« Oui, oui, cela se fera … » ; « Oui, vous aurez ce que vous désirez .. . », «non … », etc., selon les questions posées. Cette technique m’avait paru très douteuse. Il faut suspecter ici quelque subterfuge du devin pour créer une adhérence qui maintienne le bâtonnet au mur, comme il en est de cet autre subterfuge – nous le verrons – relatif à la noix de cola imbibée de poudre qui reste à la surface de l’eau au lieu de couler comme je l’ai expérimenté moi-même. Les praticiens qui officient avec de telles techniques font montre de beaucoup de dextérité et d’un art consommé pour cacher leur jeu par divers procédés de distraction ou d’illusion. Par certains de ses aspects, cette méthode est assez proche de celle que j’appellerai la technique de la « marionnette ».
«Marionnette»
On fait mouvoir une« marionnette», c’est-à-dire une sorte de poupée sur un fiJ suspendu, par exemple sur une poutre du plafond. Selon les questions du consultant et sur les ordres du devin, la « marionnette », qui glisse sur Je fil, s’arrête ou avance comme si elle répondait ainsi aux injonctions du devin et sanctionnait du même coup les vœux du client. Pour la faire remonter, Je devin la propulse et continue ses questions : « Un tel, aura-t-il du travail ? Si c’est oui, descend lentement. Si c’est non, ne bouge plus et reste où tu es. »Selon la réponse, mais comme obéissant à l’ordre, au destin, elle descendra ou alors ne bougera plus. On peut poser aînsi toutes sortes de questions à ce« personnage» muet qui s’exprime par ses seuls mouvements. J’ai vu, à Kolda (au sud du Sénégal, en Casamance), un vieux féticheur originaire de Guinée-Bissao utiliser cette technique avec quelque grossière ventriloquie. li avait aménagé pour sa «poupée» tout un autel dont une grande partie était cachée aux visiteurs par un tissu rouge, ce qui est généralement le cas. li y avait tout autour de l’autel des restes de poulet, des plumes çà et là et un liquide répandu qui, à l’odeur fétide qui s’en dégageait, semblait être du vin de palme. On peut utiliser d’autres objets à suspendre, tels que coquillage ou «coque de fruit dûre (sic)» par exemple, comme il en est du procédé que relate Delachaux9 en Angola mais avec le même principe que celui de la « marionnette » sur un fil. Parfois Je procédé est accompagné d’une émission de cris, de gloussements imitant une sorte de« dialogue )) entre l’objet qu’un «esprit» habiterait et le devin manipulateur. Il n’est pas nécessaire cependant qu’il y ait ce «dialogue », surtout quand te devin n’a pas le don de ventriloquie. Ce genre de supercherie eut beaucoup de vogue à Dakar et à Saint-Louis, selon Charles Monteil, « à une époque où il fut d’usage d’interroger le sort au moyen d’un appareil ainsi composé: un coquillage conique assez volumineux était traversé, dans le sens de sa plus grande dimension, par un sillon légèrement coudé et dans lequel passait une ficelle dont l’un des bouts était fixé au toit de la case et l’autre tenu en main. Au début de la séance 1 ‘habile devin lançait le coquillage vers l’extrémité supérieure et l’y maintenait en raidissant la corde. Les réponses affirmatives à ses demandes résultaient d’une descente plus ou moins grande du coquillage qui, par contre, demeurait immobile dans le cas contraire » (Monteil 193 1 : 56). Chez les Tomas, populations de la grande forêt libérienne, les devins usent, entre d’autres procédés, d’une technique qui rappelle curieusement celle de « la marionnette». li s’agit d’un «bracelet recouvert de cauris que l’on fait glisser le long du bras jusqu’au moment où, se serrant de lui-même, iJ est arrêté en un point quelconque ; cet arrêt est interprété par le devin suivant des règles connues de lui seul » (Gamory-Dubourdeau 1926 : 297). Si ce procédé offre un caractère plus matériel et plus technique, rnais fort superficiel à certains égards que beaucoup d’autres, en revanche celui des grimoires, des livres illustrés ou imagés est plus symbolique.
Introduction |