INTEGRATION ET COORDINATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES
La mobilité des facteurs de production
Dans sa contribution pionnière, Mundell (1961) propose que la mobilité des facteurs de production entre différentes régions puisse remplacer un régime de taux de change flexible comme mécanisme correcteur. Plus précisément, Mundell argumente que la mobilité des facteurs de production entre différentes régions participantes à une zone monétaire contrebalance les effets négatifs d’un choc asymétrique. Considérons deux économies, A et B, liées par un processus d’intégration, mais touchées différemment par un choc externe (ex : augmentation des prix de l’énergie), ou par un choc interne (récession, chômage, inflation), tel que la demande dans le pays A se réoriente vers les produits du pays B. Les conséquences pour le pays A consistent en une baisse de la production, engendrant une hausse du chômage et probablement un déficit de sa balance commerciale. Les conséquences pour le pays B sont inverses : augmentation de la production, tensions inflationnistes, excédent commercial. Un système de change flexible pourrait atténuer ces conséquences : en dévaluant sa monnaie, l’économie A réduirait le prix de ses exportations et, malgré des effets pervers (inflation, perte de crédibilité de la monnaie) relancerait ainsi la conjoncture. Selon Mundell les problèmes respectifs des pays A et B pourraient aussi être résolus par un déplacement des facteurs de production de l’économie A vers l’économie B. Le déplacement des facteurs de production permettrait ainsi de résoudre le problème de chômage dans l’économie en récession et celui de la pression à la hausse des salaires dans la seconde. D’autre part, la balance commerciale serait rétablie. Mundell conclut que, l’unification monétaire faisant disparaître l’instrument des taux de change, seules les économies ayant une forte mobilité des facteurs de production peuvent viser à constituer une zone monétaire optimale.
Intégration financière
Ingram (1962) argumente que l’intégration financière peut réduire le besoin de l’instrument de change dans la mesure où des perturbations peuvent être amorties par 26 l’afflux de capitaux sous la forme d’emprunts auprès de zones de surplus ou par la vente d’actifs étrangers nets. Lors d’une forte intégration financière, même des changements modestes de taux d’intérêts pourraient ainsi causer des mouvements de capitaux équilibrants.
Le degré d’ouverture des économies
Mc Kinnon (1963) a développé la deuxième contribution majeure de la théorie des ZMO en introduisant le critère de l’ouverture économique d’un pays ou, formulé autrement, le ratio des échangeables sur les non-échangeables. Selon Mc Kinnon, les coûts liés à l’abandon du taux de change comme instrument de politique économique diminuent en fonction du degré d’ouverture des économies et de l’importance de leurs échanges réciproques. Plus le degré d’ouverture d’un pays est important, plus la transmission d’un changement des prix mondiaux sur les prix relatifs internes est probable. Cela induit que l’illusion monétaire tend à disparaître : la baisse des revenus réels devient apparente et les agents réclament la révision de leurs revenus nominaux. Il faut donc limiter les variations des taux de change pour limiter les variations de prix. D’autre part, l’efficacité de la politique de change diminue avec le degré d’ouverture de l’économie. Dans une économie très ouverte, les coûts de production sont fortement influencés par les prix des matières premières et des consommations intermédiaires importées, celles-ci étant difficilement remplaçables par une production locale. Lors d’une dévaluation, les effets d’inflation causés par la hausse des prix des importations nécessaires se répercutent immédiatement sur les prix des autres biens et salaires et limitent les effets attendus de la dévaluation. Le taux de change est par conséquent moins efficace comme instrument d’ajustement.
La diversification des économies
Dans sa réplique à Mundell et Mc Kinnon, Kenen (1969) se focalise sur la spécialisation des économies au sens de la diversification de la production et de la consommation. Il conclut que les économies diversifiées peuvent plus facilement adopter des changes fixes et s’intégrer à une zone monétaire que celles qui se caractérisent pas une diversification modeste. Une forte diversification de la production ou de la consommation ainsi que la similarité de la production diluent l’impact possible d’un choc dans un secteur ou pour un bien spécifique. Dans ce cas, un choc n’aura que peu de conséquences sur l’agrégat et 27 affectera les pays de manière similaire. Par conséquent, la diversification et la similarité de la production réduisent le besoin de politique de change et donc les coûts de son abandon.
La similarité des taux d’inflation
Fleming (1971) constate que la similarité des taux d’inflation sur une certaine période de temps entre différents pays induit des conditions d’échange stables et donc réduit le besoin d’ajustement du taux de change. Des taux d’inflation divergents pourraient causer des pouvoirs d’achat divergents et donc entraîner le recours à l’instrument de change pour corriger ces écarts. Ce nouveau critère induit que la cause sous-jacente du mécanisme de change reflète un phénomène macro-économique et non un changement microéconomique comme cela était le cas dans les trois théories précédentes. En effet, les différences de taux d’inflation résultent de différents facteurs comme les disparités dans le développement structurel entre pays, la diversité d’institutions du marché de travail, les différences dans les politiques économiques ou la diversité de préférences sociales comme l’aversion à l’inflation.
Intégration fiscale
Parallèlement à un pays monétairement indépendant qui, par le biais de paiements de transfert réduit les écarts de chômage entre ses différentes régions, une zone monétaire peut redistribuer des fonds pour soutenir des pays membres touchés par un choc asymétrique et ainsi réduire le besoin d’ajustement de change (Kenen 1969). Néanmoins, une telle politique nécessite un fort degré de volonté et d’intégration politique.
Les critères traditionnels de la théorie des zones monétaires optimales
Pour compenser la rigidité provenant de la fixité des changes entre les pays de la zone et de même, permettre à la zone monétaire de prévenir ou résorber des chocs éventuels, certains critères doivent être impérativement respectés. Il est vrai que ce ne sont pas les chocs symétriques atteignant simultanément et dans des proportions identiques tous les pays d’une même zone qui sont le plus à redouter, car une politique monétaire commune permettra de les combattre. Cependant, si un seul pays ou quelques pays ou encore tous les pays sont frappés mais dans des proportions différentes, 28 la perte de l’instrument de politique monétaire et de politique de change nationale pose problème quant à la résorption de ce choc asymétrique. De nombreux économistes se sont interrogés sur les différents critères d’optimalité fournissant une solution au problème des chocs asymétriques en union monétaire. Mundell fut le premier à formuler clairement le concept de zone monétaire optimale, en développant une analyse coûts bénéfices concernant la formation d’une union monétaire. Selon lui, la suppression du taux de change et du taux d’intérêt en tant qu’instrument de résorption des chocs peut être compensée par une mobilité des facteurs de production, en particulier du facteur travail et par une flexibilité des salaires. Deux critères relatifs au commerce extérieur sont élaborés à la suite des travaux de Mundell. D’une part, le critère de Mc Kinnon (1963) lie l’optimalité d’une zone monétaire à l’intensité des relations commerciales qui s’y nouent et fait référence à l’ouverture économique de chaque pays de la région. D’autre part, le critère de diversification de la production et des exportations de Kenen (1969) est assimilé à une solution préventive minimisant la probabilité d’un choc majeur. Mais un risque de spécialisation reste omniprésent car par souci d’économie d’échelle, une polarisation régionale des activités risque de prendre le dessus (Krugman, 1991). A cet ensemble de critères, s’ajoutent les travaux d’Ingram (1969) révélant qu’une zone monétaire est optimale lorsque les marchés financiers connaissent un degré élevé d’intégration, une mobilité parfaite du capital n’entraînant pas de tensions sur le taux d’intérêt. On peut aussi citer le critère de Johnson (1970) qui défend le principe de l’intégration fiscale, en supposant l’existence d’un budget fédéral par lequel transitent des effets de stabilisateurs automatiques. Fleming et Magnifico pour leur part, privilégient la variable prix dans leur analyse effectuée au début des années 70. Ils insistent sur la nécessité pour les pays appartenant à une union monétaire d’avoir un même taux d’inflation, associé à un taux de chômage stable à l’intérieur de la zone. Enfin, Kindleberger (1986), base son analyse sur le critère de préférence homogène, les pays devant avoir des priorités identiques concernant l’arbitrage inflation chômage. Mais bien que les critères traditionnels de la théorie des ZMO constituent un précieux outil d’analyse, ils ne sont plus suffisants pour palier les chocs réels et monétaires venant perturber les économies émergentes de nos jours.
les Indicateurs de mesure d’une ZMO
Le taux d’épargne nationale Elle est mesurée par la part de l’épargne nationale dans l’économie. Il s’agit d’un critère croissant car le manque d’épargne dans un pays suppose une dépendance importante visà-vis des capitaux internationaux. b- Le ratio d’endettement externe Il est mesuré par le ratio dette externe à court terme sur réserves internationales dans l’économie. Il s’agit d’un critère décroissant car un pays est lourdement freiné par une dette externe trop importante par rapport à son stock de devises. En effet, dans ce cas, celui-ci voit augmenter son risque d’illiquidité et de ce fait, sa vulnérabilité face à une éventuelle attaque spéculative. c-La volatilité du marché financier Elle est appréhendée par le rapport entre les IDE et les investissements de portefeuille. Il s’agit d’un ratio opposant les capitaux long terme aux capitaux court terme. Ce critère est croissant car une part importante des IDE est bénéfique pour le développement de la zone. d-Les réserves internationales dans l’économie Elles sont constituées par le ratio réserves internationales sur M2. Il s’agit d’un critère croissant car un stock de réserves internationales important est nécessaire pour répondre à une demande éventuelle de devises étrangères (paiement des importations, sortie massive de capitaux étrangers suite à une perte de confiance des agents…). d-Le ratio réserves sur M2 Il est mesuré par le poids des crédits domestiques par rapport à M2. Il s’agit d’un critère décroissant du fait des difficultés liées à un excès de crédit par rapport aux liquidités disponibles dans le pays. e-Le contrôle des mouvements de capitaux On le calcule par le poids des flux de capitaux à court terme (investissement de portefeuille) par rapport au PIB. Il s’agit d’un critère décroissant du fait de l’importance du risque lié à une quantité trop grande de flux de capitaux court terme, volatils, marquant un manque de contrôle.
Le Déficit de la balance courante
Mesuré par la part, en pourcentage, du solde courant dans le PIB. Il s’agit d’un critère croissant, un déficit de la balance courante pouvant être interprété comme une source de fragilité du pays au yeux des marché et des investisseurs étrangers. g-La Taille de l’économie La taille de l’économie est mesurée par le PIB, en millions de US$. Il s’agit d’un critère décroissant car ce sont surtout les petites économies qui commercent avec le reste du monde qui ont intérêt à fixer leur taux de change et de ce fait, intégrer une zone monétaire. h-La mobilité du travail La mobilité du travail est mesurée par la différence en valeur absolue entre le taux de chômage de chaque pays et le taux de chômage moyen de la zone étudiée. Il s’agit d’un critère décroissant car la mobilité du travail est révélée par un faible écart de taux de chômage entre les pays de la région. i- L’ouverture commerciale L’ouverture commerciale se calcule comme la part des importations et exportations dans l’économie. Il s’agit d’un critère croissant car une ouverture prononcée permet en cas de choc asymétrique, de rétablir l’équilibre externe par des effets de compensation au niveau des exportations et des importations, sans troubler l’équilibre interne. j- L’intégration des marchés financiers L’intégration des marchés financiers s’appréhende comme la différence en valeur absolue entre le taux d’intérêt du pays et un taux de référence. Cette référence est calculée à partir de la moyenne des trois taux d’intérêt les plus faibles de la région augmentée de 2 points. Ceci est inspiré de la méthode utilisée pour définir le critère de convergence de taux d’intérêt du Traité de Maastricht. Il s’agit d’un critère décroissant car une parfaite mobilité des capitaux au niveau de la région suppose un écart minimum entre les taux d’intérêt de chaque pays.
PARTIE I: CADRE THEORIQUE SUR L’INTEGRATION ET LA COORDINATION DES POLITIQUES ECONOMIQUES |