Evaluation de la technique ELISPOT-interféron
gamma dans le diagnostic de l’infection à Mycobacterium tuberculosis
Co-infection tuberculose et VIH
Dès 1986, on a assisté à une recrudescence de la tuberculose dans le monde en particulier en Afrique subsaharienne. L’infection par le VIH a joué un r ôle considérable dans cette résurgence [20]. Déjà en 1997, une estimation de l’ ONUSIDA dénombrait 15,3 millions de personnes co-infectées par le VIH et le Mycobacterium tuberculosis dont 11,7 millions vivaient en Afrique subsaharienne [1]. En 2004, le bulletin épidémiologique de l’OMS N°329 considérait que l’Afrique gardait toujours sa dramatique suprématie avec 70% des individus co-infectés dans le monde, loin derriere l’Asie du Sud-est (20%) et l’Amérique latine et les Caraïbes (4%) [33]. La tuberculose constitue une cause majeure de mortalité chez les sujets VIH+. Dans l’histoire naturelle de l’infection par le VIH, la tuberculose survient à un stade relativement précoce, avant les autres infections opportunistes. Les sujets infectés par le VIH semblent développer plus facilement une infection tuberculeuse suite à une récente exposition que les sujets sains. Le risque de passage d’une tuberculose latente à une tuberculose maladie est 6 fois plus élevé chez les sujets VIH+ que chez les sujets VIH- [32]. La réactivation de la forme latente de la tuberculose et la réinfection par M. tuberculosis sont plus fréquentes chez les patients 8 VIH+. En outre, la réponse immunitaire de l’hôte augmente la réplication du V IH et peut accélérer la progression naturelle du VIH [44]. De plus, les manifestations cliniques de la tuberculose chez les sujets VIH+ sont beaucoup plus graves et l’atteinte pulmonaire plus fréquente [48]. La co-infection par Mycobacterium tuberculosis et le VIH (TB/VIH), notamment en Afrique, et la tuberculose à bacilles multi-résistants (MR) ou ultra-résistants (UR) qui sont rencontrées dans toutes les régions du monde, rendent en effet les activités de lutte encore plus complexes. La tuberculose est la maladie infectieuse qui fait plus de victimes chez les personnes vivant avec le VIH et on estime qu’elle est responsable de 13% des décès dus au sida à travers le monde [46]. En effet, le VIH active la tuberculose latente chez l’individu qui devient ensuite infectant et capable de transmettre le bacille tuberculeux. Les deux épidémies se potentialisent ainsi et se renforcent mutuellement [46, 16]. Non traité, l’individu atteint de tuberculose active infectera quelque 10 à 15 personnes par an [46, 16]. La stratégie « Halte à la tuberculose » est le plan recommandé au niveau national pour prévenir, diagnostiquer et traiter la tuberculose. Elle comprend en outre des recommandations pour la prise en charge de la tuberculose chez les personnes vivant avec le VIH (PvVIH) [46, 16]. Récemment, une nouvelle souche de tuberculose, la tuberculose ultra-résistante (XDRTB), a vu l e jour; elle serait particulièrement dangereuse pour les PvVIH chez qui, elle est fréquemment mortelle [16]. Il est donc essentiel de prévenir l’apparition et la propagation de la tuberculose pharmaco-résistante en investissant davantage dans les stratégies de lutte contre la tuberculose par une meilleure détection des cas et un soutien à l’observance thérapeutique. L’OMS et l’ONUSIDA, en collaboration avec d’autres acteurs travaillant sur ces problèmes, intensifient sans cesse la lutte pour arrêter la propagation de la tuberculose et de cette nouvelle souche meurtrière [46]. En depit de ces efforts, l’OMS a dénombré dans son bilan 2009 environ 1,3 million de décès par tuberculose chez les sujets VIH-négatifs et environ 0,4 million chez les sujets VIH-positifs [16]. La présentation clinique de la TB chez le PvVIH est souvent atypique, ce d’autant plus que l’état d’immunosuppression est avancé [12]. L’évidence de la co-morbidité VIH-TB a été établie par plusieurs études[10, 37]. En effet, le VIH contribue à la progression d’une infection tuberculeuse récemment acquise [15] ou progressivement acquise [4]. De même, la tuberculose 9 contribue à la progression de l’infection à VIH [28]. L’infection par le VIH est en synergie avec le Mycobacterium tuberculosis, accélérant ainsi la maladie vers la létalité [29, 10]. Il s’avere donc essentiel de dépister une infection latente pour une meilleure prise en charge de la tuberculose au cours de l’infection à VIH. Il est également nécessaire de poser un diagnostic précoce de la tuberculeuse latente (TL) afin de démarrer une chimioprophylaxie adéquate et assurer une meilleure prise en charge de l’infection à V IH qui lui est souvent associée. Ce diagnostic reste cependant difficile car les méthodes microscopique, radiologique et l’intradermoréaction à la tuberculine souvent utilisées ne sont pas assez spécifiques [42]. I.6. Diagnostic de la tuberculose I.6.1. Diagnostic de l’infection tuberculeuse latente Le seul moyen de diagnostiquer une infection tuberculeuse latente est l’intradermoréaction à la tuberculinique (IDRt) qui met en évidence la réaction d’hypersensibilité retardée en réponse à la tuberculine PPD (Dérivé Purifiée de Protéine). L’intradermoréaction à la tuberculine (IDRt) ou test de Mantoux est toujours utilisée pour le diagnostic de l’infection à tuberculose. La principale limite de l’IDRt est cependant son manque de spécificité du fait de la réaction croisée avec le BCG et les mycobactéries environnementales qui sont fréquentes en Afrique [35]. Par ailleurs, nous savons que la sensibilité de l’IDRt dépend du ni veau d’immunité de l’hôte [25, 35] ; les patients VIH positifs en immunodépression avancée peuvent en effet présenter une anergie qui entrave la réponse cellulaire au cours de l’IDRt. Ainsi, Il apparait important de développer des techniques de diagnostic plus sensibles que l’IDRt tels que les tests de sécrétion de l’interféron gamma, d’où l’importance de cette étude qui évalue l’ELISpot interféron gamma pour le diagnostic de l’infection latente à Mycobacterium tuberculosis.
Diagnostic de tuberculose maladie
Le diagnostic de la tuberculose repose essentiellement sur les données de l’examen clinique, radiologique et surtout bactériologique.
Diagnostic clinique
Il est souvent pauvre et non s pécifique. Il a pour but de préciser le degré évolutif de la 10 maladie. Généralement, il n’existe aucun parallélisme entre les lésions anatomiques et la symptomatologie clinique. S’il s’agit d’une tuberculose pulmonaire, le tableau clinique est celui d’une maladie respiratoire aiguë. L’interrogatoire recherche l’absence de vaccination ou la notion de réaction tuberculinique positive.
Examen radiologique
La localisation du Mycobacterium étant préférentiellement pulmonaire, une radiographie du thorax doit donc être systématique. Elle peut montrer les lésions telles que des nodules, des opacités en plages ou encore des cavités siégeant au niveau pulmonaire. Les signes cliniques et radiologiques ne sont pas très spécifiques et n’ont qu’une valeur d’orientation [23].
Examen bactériologique
L’examen bactériologique est nécessaire pour obtenir la confirmation de tuberculose. Il est effectué sur les expectorations matinales ou le liquide de tubage gastrique recueillis le matin à jeun, pendant 3 jours de suite et avant tout traitement. Cet examen peut également être effectué sur les prélèvements endothoraciques recueillis par endoscopie, avec ou sans lavage bronchoalvéolaire, ou sur tout autre prélèvement spécifique de la localisation extrapulmonaire [8]. Plusieurs études ont montrées que l’expectoration induite permet d’obtenir de meilleurs résultats [30]. L’examen bactériologique consiste à faire un examen microscopique sur frottis et la culture sur un milieu spécifique. L’examen sur frottis coloré par la méthode de Ziehl Neelson permet de mettre en évidence les BK grâce à leurs caractères acido-alcoolo-résistants. On peut aussi utiliser l’examen en fluorescence après coloration par la rhodamine. Cependant, la culture permet un diagnostic de certitude. Elle peut se faire sur milieux spécifiques comme celui de LowensteinJensen ou de manière automatisée avec les systèmes Batec ou MGIT. La culture doit être systématique pour permettre l’isolement de la souche responsable et doit toujours être suivie de l’antibiogramme pour déterminer la sensibilité des souches aux différents antituberculeux existants.
Le sérodiagnostic
Cette méthode consiste à agglutiner des bacilles tuberculeux par le sérum du patient. Cependant, cette technique n’est pas assez fiable pour être utilisée pour le suivi biologique car l’agglutination peut apparaitre chez environt 10% de sujets non t uberculeux [19]. Les tests sérologiques qui existent actuellement dans le commerce sont des techniques ELISA standard qui mettent en évidence la présence d’anticorps IgM, IgA, IgG dirigés contre l’Antigène A60 situé au niveau du cytosol des mycobactéries typiques ou atypiques. Mais ces anticorps présentent des interférences avec ceux synthétisés durant les nocardioses. Cependant, ces examens coûteux, peu sensibles et peu spécifiques ne sont pas utilisés en pratique courante. Il existe néanmoins des tests plus spécifiques mais qui demeurent toujours couteux pour être utilisées en routine.
La chromatographie en phase gazeuse ou CPG couplée à la spectrométrie de masse
Elle permet la détection de l’acide tuberculinostéarique (Acide gras de 19 atomes de carbone), l’un des constituants pariétaux de toutes les mycobactéries.
La réaction de polymérisation en chaine ou PCR
Elle permet par amplification d’une séquence d’ADN d’identifier le Mycobacterium tuberculosis. La PCR permet également de distinguer les différentes mycobactéries du complexe tuberculeux (M. tuberculosis, M. africanum, M. bovis) des mycobactéries non tuberculeuses qui sont pathogènes chez les sujets immunodéprimés [9]. C’est une technique délicate nécessitant un équipement sophistiqué et très coûteux et un personnel spécialisé.
Méthodes de mesure de l’interféron gamma secrété après activation lymphocytaire
Elle repose sur la détection de cellules T effectrices qui secrètent l’interféron gamma (IFNγ) en réponse à la stimulation par les antigènes du Mycobacterium tuberculosis [7]. Cest tests ont été mis sur le marché grâce à l‘identification du segment génomique RD1[2] ou segment génomique zone 1 qui est présent sur le complexe tuberculosis mais absent sur le vaccin 12 BCG et les mycobactéries atypiques [25]. Il s’agit de tests in vitro mesurant par ELISA (QuantiFERON-TB®, Cellestis Ltd) ou par ELISpot (T-SPOT TB®, Oxford Immunotec), l’interféron-gamma produit par les lymphocytes T d’une personne précédemment exposée à la tuberculose lorsqu’ils sont mis en contact avec des antigènes de M. tuberculosis [11, 26]. Certains antigènes du Mycobactérium tuberculosis comme le CFP-10 (“Culture Filtrate Protein 10”) et ESAT-6 (“Early Secretory Antigen Target 6”) sont spécifiques car, à l’exception de M. kansaii, M. Szulgai, et M. marinum qui sont rarement responsables d’infections humaines, ne sont pas retrouvés ni au niveau du BCG ni chez les mycobactéries atypiques. Avec ces tests, le risque de rendre des résultats faussement positifs à la suite d’une vaccination ou à l’exposition à une mycobactérie non tuberculeuse seront largement diminué. De plus, les antigènes n’étant pas administrés au patient, l’analyse peut être répétée sans crainte d’un effet d’immunisation passive. Selon des études réalisées chez des patients tuberculeux non co-infectés par le VIH vivant en Europe, la sensibilité et la spécificité de ces analyses varient respectivement entre 80 et 100% et entre 92 e t 100%. Leur sensibilité et spécificité chez le patient infectés par le VIH n’est pas connue avec précision du fait de l’absence d’un bon gold standard. Par ailleurs, une des limites de ces tests c’est qu’ils ne permettent pas de distinguer une tuberculose latente d’une maladie tuberculeuse active.
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