Suivi entomologique après aspersion intradomiciliaire d’insecticide à effet rémanent (AID)
La lutte anti-vectorielle contre le paludisme
L’OMS a développé une stratégie globale fondée sur le diagnostic précoce et le traitement rapide du paludisme, la planification et la mise en œuvre de mesures de prévention sélectives et durables, dont la lutte anti-vectorielle. Aujourd’hui la lutte anti-vectorielle apparaît comme partie intégrante de la lutte contre le paludisme dont elle constitue une des premières méthodes préventives et le complément du volet curatif habituel (Carnevale, 1995). De plus, le développement de la pharmacorésistance chez plasmodium falciparum souligne toute l’importance à donner à la lutte contre le vecteur. Elle a pour but de diminuer et si possible de supprimer la transmission du parasite dans une communauté, donc de prévenir l’infection de tout membre de cette communauté (Danis & Mouchet, 1991). La mise en place des stratégies de lutte contre les vecteurs dépend largement des conditions bio-écologiques et les méthodes de lutte anti-vectorielle concernent soit les larves (lutte anti-larvaire), soit les adultes (lutte contre les imagos). La lutte anti-larvaire réduit la densité de la population pré-imaginale et par 10 conséquent, la densité d’adultes (Gazin et al., 1985) mais elle ne peut être réalisée que si les gîtes sont facilement accessibles et en nombre limité. La lutte anti-adulte réduit à la fois la densité et la longévité de la population imaginale (Gazin et al., 1985). Ces méthodes de lutte anti-vectorielle peuvent être regroupées en quatre grandes catégories : il s’agit de la lutte mécanique, la lutte chimique, la lutte biologique et la lutte génétique. La lutte mécanique demande de gros moyens et la lutte biologique s’avère inefficace dans le contrôle des vecteurs de Plasmodium humains. La lutte génétique constitue une alternative innovante dans le contrôle des vecteurs mais son succès reste encore très limité du fait de la faible compétitivité sexuelle des mâles de moustiques génétiquement modifiés. Pour l’instant, cette méthode est considérée comme encore au stade de la recherche et non opérationnelle dans le contexte habituel du terrain (Spielman, 1994). Par contre, la lutte chimique a été intégrée dans de nombreux programmes de lutte contre le paludisme.
La lutte chimique
Cette forme de lutte a l’avantage de bénéficier d’une gamme étendue d’insecticides appartenant à plusieurs familles (Mouchet, 1980) dont le choix dépendra, entre autres, des paramètres relatifs aux vecteurs et aux produits : la résistance du vecteur considéré aux produits envisagés ou disponibles, le comportement du vecteur ou l’influence du produit sur l’environnement. En effet, un bon insecticide doit avoir une action toxique, rapide et rémanente pour l’insecte visé ; ce qui permet d’espacer les traitements et ainsi d’en réduire le coût. Il doit être sélectif avec une grande innocuité pour l’homme, les animaux domestiques, la faune sauvage non-cible, ainsi que les végétaux, stable lors du stockage particulièrement en climat tropical, son prix de revient aussi faible que possible et son emploi facile permettant l’éducation rapide du personnel. En raison notamment de l’apparition de résistance, il est nécessaire de mener en permanence des recherches afin de sélectionner parmi les substances proposées par les chimistes celles qui répondent, autant que possible, aux critères opérationnels indiqués ci-dessus, dans le but de mettre au point de nouveaux composés insecticides.
Les différentes classes d’insecticides
On distingue quatre grandes familles d’insecticides : – Les composés organochlorés : Ils sont nombreux et variés mais, l’HCH (Hexachlorocyclohexane) et le DDT (Dichlorodiphényl-Trichloro-éthane) ont été les premiers 11 insecticides synthétiques. Les propriétés insecticides du DDT ont été découvertes en 1939. Il a été le principal outil de la lutte antipaludique utilisé en aspersion intradomiciliaire d’insecticide (AID). Toutefois, de nombreux arthropodes ont développé des résistances à son encontre. De plus, sa remarquable stabilité lui a permis de s’accumuler et de se concentrer au sommet des chaînes alimentaires, provoquant ainsi, des accidents écologiques qui ont amené la limitation de son emploi, notamment, aux Etats-Unis. Le DDT a été interdit sauf pour la lutte contre des vecteurs de pathogènes conformément aux recommandations de l’OMS relatives à son utilisation (convention de Stockholm, 2001). – Les Composés organophosphorés : Ce sont des dérivés organiques de l’acide phosphorique ou l’acide thiophosphorique ; ils représentent la famille la plus importante et furent synthétisés dès les années 1940. Bien que les premiers composés aient été très toxiques, l’industrie a ensuite développé de très nombreuses molécules de haute qualité insecticide. Les organophosphorés possèdent une toxicité très faible, aussi bien pour les vertébrés homéothermes que pour les poissons. Le Malathion, le Fenitrothion et le Pirimiphos-méthyl ont été utilisés dans la lutte anti-paludique pour des traitements intra-domiciliaires. – Les Carbamates : Ce sont des dérivés de l’acide carbamique. Leur toxicité pour l’homme est relativement faible mais, du fait de leur coût élevé, ils sont assez peu utilisés en sante publique. – Les Pyréthrines et Pyréthrinoïdes : Les propriétés insecticides du Pyrèthre, extrait de la fleur de Chrysantheum cineraefolium, sont connues depuis 2000 ans. Le produit commercialisé est l’extrait de pyrèthre ou mieux, ses composants actifs, les Pyréthrines. Ce sont des esters des acides chrysanthémiques et pyréthriques. Les Pyréthrines provoquent une modification de la perméabilité de la gaine nerveuse aux ions K+ et Na+ et perturbent l’équilibre entre ces deux ions. Ils sont peu stables, mais agissent très rapidement, produisant une immobilisation quasi immédiate de l’insecte connu sous le nom d’effet « knock down ». Cependant, ces produits naturels onéreux et de production limitée, ont été progressivement remplacés par des molécules synthétiques extrêmement actives, les Pyréthrinoïdes dont les premières productions industrielles eurent lieu en 1950. Par la suite, toute une série de molécules a été synthétisée. Parmi celles-ci, la Perméthrine, la Deltaméthrine, la Lambdacyalothrine et la Cyfluthrine sont les plus puissants des insecticides actuellement connus. Elles seraient dotées d’une grande rémanence. Leur activité insecticide se caractérise alors par le ralentissement ou le blocage des canaux sodiques voltage-dépendants en induisant 12 des décharges répétitives de potentiel d’action et perturbant ainsi, la transmission de l’influx nerveux le long des fibres nerveuses. Tous ces composés sont très toxiques pour les poissons, ce qui limite leur emploi en milieu aquatique. L’insecticide choisi par le Programme National de Lutte contre le paludisme (PNLP) est la Lambda-cyhalothrine, l’un des insecticides recommandés par l’OMS pour les AID, en remplacement du DDT et le traitement des moustiquaires. Il est commercialisé sous le nom de ICON WP 10%. Il est sélectif, peu couteux, mais son efficacité et les perspectives de résistance qu’il offre restent encore à démontrer. I.3.1.2. Moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII) Préconisées dès 1911 par Ross comme méthode de prévention du paludisme, les moustiquaires connaissent un regain d’intérêt avec la mise au point des méthodes d’imprégnation (Lindsay & Gibson, 1988 ; Curtis, 1994). Lorsqu’elles sont en bon état et que la taille de leurs mailles est adaptée, les moustiquaires offrent une bonne protection mécanique pour limiter le contact entre les vecteurs et les humains (Darriet et al., 2000). Toutefois, lorsqu’elles ne sont pas imprégnées d’insecticide, elles ont une efficacité limitée. Imprégner les moustiquaires avec un insecticide de la famille des pyréthrinoïdes permet de compenser ces limites. Le double effet, insecticide et excito-répulsif, entraîne une diminution du nombre de moustiques dans les chambres où elles sont installées, et confère donc une protection partielle à l’utilisateur lorsqu’il sort de sa moustiquaire et aux personnes dormant sans moustiquaire dans la même pièce. Lorsqu’une proportion importante d’une population humaine dort sous des moustiquaires imprégnées d’insecticide, les anophèles cherchant à les piquer sont fortement exposés à l’insecticide et ont une durée de vie réduite. La transmission des Plasmodium peut alors être diminuée pour l’ensemble de la communauté humaine : c’est l’effet de masse (Curtis et al., 2003). I.3.1.3. Les pulvérisations spatiales d’insecticides Elles réduisent la transmission durant les épidémies. Elles n’ont pas de rémanence, sont très couteuses et nécessitent une logistique très lourde et un personnel qualifié.
Aspersions intradomiciliaires d’insecticides à effet rémanent
Il s’agit d’une méthode de lutte anti-vectorielle très employée. L’effet principal des insecticides est de tuer les moustiques quand ils pénètrent dans les maisons et se posent sur les surfaces traitées (moustiques endophages et/ou endophiles). En revanche, elles pourraient être 13 efficaces pour les moustiques qui piquent à l’extérieur (moustiques exophages) puis entrent dans les maisons pour se reposer après leur repas (moustiques endophiles). Les pulvérisations d’insecticide à effet rémanent dans les habitations sont essentiellement protectrices par l’effet insecticide de masse et l’effet dissuasif. Il s’agit donc d’une méthode de protection communautaire. Le choix de l’insecticide et de sa formulation doit tenir compte de la sensibilité des vecteurs locaux, de la nature des surfaces à traiter et de la durée de rémanence souhaitée du produit, en particulier par rapport à la durée de la saison de transmission. Elles ont été utilisées largement lors du programme mondial pour l’éradication du paludisme avec un succès remarquable dans les zones de transmission instables mais, avec une efficacité très limitée dans les zones à transmission stable où des populations de vecteurs étaient en partie exophages.
La résistance des vecteurs du paludisme en Afrique
La résistance est la capacité d’individus d’une population de vecteurs à survivre et à se reproduire en présence de doses létales d’insecticides. On distingue trois types de mécanismes de résistance : comportementale, physiologique et biochimique. La résistance comportementale s’observe au niveau de l’insecte qui présente un comportement différent, empêchant le toxique d’agir. La résistance physiologique s’exprime au niveau des tissus et organes ; elle est caractérisée par une diminution de la pénétration ou par une augmentation de l’excrétion des insecticides. La résistance biochimique se situe au niveau cellulaire ; elle consiste d’une part, en une augmentation de l’activité enzymatique des systèmes de détoxication et d’autre part, en une diminution de l’affinité des sites d’action vis-à-vis des insecticides. La résistance des vecteurs du paludisme aux insecticides a été détectée très tôt en Afrique. Cela a commencé par l’apparition des anophèles résistants à la dieldrine au Nigéria en 1954 puis quelques années plus tard au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire (Adam et al., 1958 ; Armstrong et al., 1958 ; Hamon & Garrett-Jones, 1963). Par la suite, la résistance au DDT a été détectée au Burkina Faso (Coz et al., 1965 ; Hamon et al., 1968). Cette résistance a ensuite été signalée en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Mali, au Sénégal, au Soudan, en Tanzanie, et en Ethiopie (Coz et al., 1968 ; Touré, 1982). Le premier cas de résistance des anophèles aux pyréthrinoïdes fut détecté à Bouaké en Côte d’Ivoire dans les populations d’An. gambiae s.s. (Elissa et al., 1993). Cette résistance a été associée à l’utilisation intensive des pyréthrinoïdes dans la culture du coton à partir des 14 années 70. La mutation kdr Leu-Phe a été mise en évidence comme principal mécanisme impliqué dans cette résistance avec la mise au point d’un test diagnostic moléculaire des mutations (Martinez-Torres et al., 1998). Plusieurs études des populations naturelles d’An. gambiae ont rapporté que la mutation est présente en Afrique de l’Ouest, du Sénégal au Nigéria (Akogbeto & Yakoubou, 1999 ; Chandre et al., 1999a ; 1999b ; Diabaté et al., 2002 ; Yawson et al., 2004 ; Awolola et al., 2005 ; Tripet et al., 2007). Les deux mutations Kdr-w et Kdr-e sont maintenant décrites tant chez An. gambiae s.s. et An. arabiensis en Afrique de l’Est mais aussi en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest (Verhaeghen et al., 2006 ; Diabaté et al., 2004). Le premier cas de résistance aux organophosphorés des vecteurs du paludisme en Afrique a été rapporté en 1983 chez An. arabiensis vis-à-vis du malathion et du phenthoate au Soudan (Hemingway et al., 1983). Des baisses de sensibilité au propoxur et/ou au bendiocarb de la famille des carbamates ont été récemment notées chez des populations d’An. arabiensis et d’An. funestus au Sud du Mozambique (Casimiro et al., 2006 ; 2007). En Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire, une résistance au propoxur avait été notée chez An. gambiae s.s. à Bouaké dès 1994 (Elissa et al., 1994). Une décennie plus tard, la résistance au carbosulfan, un autre carbamate a été détectée dans des villages autour de Bouaké en Côte d’Ivoire (N’Guessan et al., 2003). La mise au point d’un outil moléculaire pour le diagnostic de la mutation G119S (mutation ace-1R), principal mécanisme impliqué dans la résistance croisée aux carbamates et aux organophosphorés (Weill et al., 2004), a facilité sa mise en évidence dans les populations naturelles d’An. gambiae d’Afrique de l’Ouest. Des travaux récents ont montré la présence de cette mutation G119S au Burkina Faso, au Bénin et au Togo (Djogbénou et al., 2008a ; 2008b).
INTRODUCTION |
Excellent article sur le suivi entomologique après l’aspersion intradomiciliaire d’insecticide à effet rémanent (AID). Les informations fournies étaient claires et précises, mettant en évidence l’importance de surveiller l’efficacité des interventions de lutte contre les vecteurs d’infections. Un sujet crucial pour la santé publique. Bravo pour cet article informatif !