LA MEDECINE TRADITIONNELLE MAROCAINE
Le mul ssnan ou arracheur de dents
Très nombreux dans les souks et les quartiers populaires, leur niveau d’instruction est très faible. L’installation progressive d’un nombre de plus en plus important de chirurgiens-dentistes diplômés de la thérapeutique institutionnelle les contraint maintenant à pratiquer dans des souks et en milieu rural reculé. Leur principal instrument est un davier (pince à long bras pouvant servir de levier). La désinfection des instruments est des plus sommaires, quand elle existe (lavage à l’eau, parfois bouillante, à l’alcool, alcool iodé ou eau de javel). Les interventions les plus fréquentes sont les extractions de molaires et de prémolaires cariées, ainsi que celles des racines quand la dent n’existe plus [24]. Certains injectent de la xylocaïne à 2% avant l’extraction, mais la plupart utilisent encore des papiers imbibés d’une mystérieuse eau de grenouille au pouvoir anesthésiant, il s’agit en fait d’un venin de crapaud (Bufo mauritanicus), toxiques par différents principes actifs dont la bufoténine base azotée. Ce venin, contenu dans la peau, est vésicant et produit une anesthésie locale, il nécrose fréquemment les gencives [36]. Après l’extraction, certains se servent d’eau salée comme hémostatique ou d’un coton imbibé d’alcool comme désinfectant
La kabla : sage-femme
La kabla est l’un des personnages-clés de la vie féminine populaire au Maroc. Sa connaissance gynécologique est doublée d’un pouvoir magique. Elle aide l’enfant à venir au monde, mais peut aussi l’en empêcher [31]. Elle veille au bon déroulement de l’accouchement. Si celui-ci tarde, elle prescrit une toilette intime avec une infusion de cumin (Cuminum cyminum L), réputé ocytocique, et de lavande, antiseptique et protecteur contre les mauvais génies. La coloquinte et le laurier-rose sont utilisés pour accélérer les contractions, mais aussi comme abortifs. L’arsenal thérapeutique de la kabla est assez réduit, par contre sa fonction symbolique » donner la vie » est grande. Elle est aussi magicienne et règne sur les rites de stérilité demandée par la parturiente. 25 Elle réveille l’enfant endormi (ou ragged) ; il s’agit d’une croyance retrouvée dans l’ensemble du monde arabe selon laquelle un enfant peut s’endormir dans le ventre de sa mère, justifiant ainsi une éventuelle stérilité, ou au contraire une grossesse pendant l’absence du mari. On réveille l’enfant endormi en ingérant un décocté de henné ayant reposé une nuit à la clarté de la lune. La kabla lave aussi les morts. C’est un personnage respecté qui occupe un lieu symbolique redoutable, l’articulation entre la vie et la mort
La Chouaffa : la voyante
On peut les retrouver partout. Elles n’ont pas appris leur métier, qui est un don. Leur clientèle est essentiellement féminine. Elles reçoivent chez elles et font rarement des visites. La traduction littérale du terme chuwwafa est « celle qui voit ». C’est une voyante, une devineresse ou une cartomancienne qui pratiquent aussi la sorcellerie [22]. Le diagnostic est posé grâce à différents procédés divinatoires : cartes, marc de café, phanères, omoplates dont les bosselures révèlent au consultant la réponse, plomb fondu lancé dans l’eau fraiche et prenant différentes formes. Les demandes sont toujours semblables : conseils pour la vie quotidienne, travail, argent, amour, détourner un mauvais sort (ou le jeter), avoir un mari, un enfant, interpréter les rêves, trouver les causes d’une maladie. Les réponses sont diverses dans le leurs formes (plantes, paroles, et recettes magiques sur différents supports) et semblables dans le fond, donner un espoir, tenter de fléchir le destin. Cette attente donne un pouvoir certain aux voyants qui peuvent parfois en abuser. Ces chouaffas ne sont pas tolérées par l’islam et elles sont même combattues
Le Souk
lieu d’exercice de la médecine traditionnelle C’est ici l’occasion de relever l’importance du souk dans l’espace commercial marocain et dans la médecine traditionnelle marocaine. Le souk, marché rural hebdomadaire, est une institution bien enracinée dans la vie économique des Marocains, tout spécialement en zone rurale. L’importance du souk dans la vie 26 socio-économique du pays est spécifique au Maroc, en comparaison de ce qui se passe dans les autres pays du monde arabe. Le mouvement de modernisation de l’activité commerciale qui s’est accentué, n’a pas modifié fondamentalement l’institution du souk, ni porté atteinte à sa vitalité. Le souk est aussi un lieu de services et de travaux sur place pour les petits métiers. Le coiffeur, l’arracheur de dents, l’écrivain public, l’herboriste qui propose ses plantes-remèdes et le charlatan qui vante ses produits miracles. Le souk est un lieu important d’exercice de la médecine traditionnelle. Pour les pauvres gens, la visite au souk est l’occasion de se soigner, d’exorciser un mauvais sort ou de se faire faire un talisman [28]. On peut constater que cette médecine est une résultante de différents courants scientifiques, religieux et magiques. En ce qui concerne les praticiens, à part l’arracheur de dents, la majorité se réclame du sacré. Leurs savoirs et apprentissages restent insuffisants pour mener à bien leur métier. Les substances utilisées ne suivent pas toutes les mêmes règles, puisque des substances peuvent être utilisées principalement pour leur principe actif, d’autres peuvent être utilisées d’une part, pour leur principe actif et d’autre part, à l’intérieur d’un rituel, et enfin des substances utilisées seulement dans un rituel. Voici quelques exemples de substances pour illustrer ces propos : • Henné (Lawsonia inermis, Lythracées) : possédant une essence antiseptique mis a profit dans le traitement des plaies, sans que l’on sache si le rebouteux se sert de cette propriété ou de la baraka* attaché à son usage. • Jawwi (Styrax benjoin, Styracées) : possédant un acide benzoïque actif dans les maladies de la sphère O.R.L. Des fumigations sont pratiquées dans les chambres du malade en offrande aux mauvais esprits. • Fassoukh (Ferula assa-foetida, Apiacées) : la sécrétion, composée de terpènes et d’une cétone, était autrefois très employée comme stimulant, expectorant, emménagogue, anti- asthmatique et contre la bronchite chronique. • Les Datura, Jusquiame et Mandragore (Solanacées) : utilisées pour empoisonner par voie orale ou envoûter en la déposant devant la maison de la personne visée. • La Rue (Ruta graveolans, Rutacées), employée pour son principe actif comme abortif (sans rituel), pour sa couleur jaune dans le traitement des jaunisses, et dans certains exorcismes. D’autres pratiques qui ont un rôle plutôt périphérique et sont de plus en plus inexistants n’ont pas été abordés comme la médecine vétérinaire traditionnel, et le spécialiste des yeux, la pratique des tatouages curatifs et préventifs (dessin sur la peau des signes magiques et spéciaux, prenant comme exemple « la main de Fatma » pour protéger contre le mauvais œil et la jalousie.)
Les chercheurs en médecine traditionnelle et pharmacopée marocaine
La médecine marocaine traditionnelle reste jusqu’à présent connue de manière simplement empirique, plusieurs volontés concourent, actuellement, à la préserver et à la mettre en valeur. Par ailleurs, plusieurs travaux sur la médecine traditionnelle ont été réalisés contribuant, pour leurs parts, à rassembler et à constituer une source d’information très précieuse, prête à être exploitée sur le plan scientifique . Ce thème a souvent été classé dans le champ plus vaste des croyances et des pratiques populaires regroupant des domaines très divers tels que la médecine, la « religion populaire », la magie, la sorcellerie ou le culte des saints. Ces sujets ont intéressé plusieurs chercheurs. Ainsi, Edmond Doutté a inventorié exhaustivement de nombreuses croyances et pratiques populaires dans son ouvrage « Magie et religion dans l’Afrique du Nord » [40]. Citons encore 28 l’ouvrage ultérieur d’Henri Pasqualini « Contribution à l’étude de la médecine traditionnelle au Maroc » . Il convient de citer toutefois l’œuvre colossale de Jamal Bellakhdar , qui constitue une réelle base de données sur la pharmacopée traditionnelle [28]. Celui-ci a parcouru le Maroc pendant plus une vingtaine d’année, récoltant des informations sur plus de 1000 produits utilisés par la médecine populaire, et ce auprès de diverses personnes et notamment des herboristes. Mais son travail reste avant tout concentré sur la description des produits et de leurs usages attribués. De nombreux ouvrages concernant le thème de la médecine populaire viennent régulièrement alimenter les rayons des libraires marocains [28 ;32 ;42]. Ces livres se retrouvent d’ailleurs dans les étals des herboristes et participeraient, selon certains herboristes, à l’engouement général pour les plantes médicinales. Certains thèmes, liés à une réflexion sur la tradition et la modernité, apparaissent dans la plupart de ces ouvrages et nous éclairent quant à la source de cet intérêt nouveau. Il y est toujours question d’héritage de traditions thérapeutiques ancestrales qu’il s’agisse de sauver, de patrimoine, de « secrets de guérisseur » qui ne sont plus transmis, de « sagesse reçue des anciens ».
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