Modélisation numérique de la mise en forme et de la
tenue mécanique des assemblages par déformation
plastique
Etat de l’art de la simulation des assemblages par rivetage autopoinçonneur
Une recherche bibliographique sur la simulation des assemblages par rivetage auto-poinçonneur a révélé un nombre limité de publications avant le début de la thèse en 2004. L’essentiel des développements, dans le domaine des assemblages par déformation plastique, était alors sur le procédé de clinchage comme par exemple dans (Hamel, 1998) ou (Varis, et al., 2003) ou sur le procédé de rivetage « classique » (Langrand, 1998). Cependant au cours de ces dernières années, l’étude de la modélisation de ce procédé tant du point de vue de la simulation du procédé que de l’étude numérique de la tenue mécanique des points rivetés a connu un fort développement.
Simulation de la pose du rivet auto-poinçonneur
La première étude numérique sur la pose du rivetage auto-poinçonneur, connue de l’auteur, est présentée dans la thèse de (Dölle, 2001). Après une importante campagne expérimentale de poses de rivets, Dölle s’intéresse alors à la modélisation de ce procédé. Pour ce faire, il utilise le logiciel éléments finis MSC Autoforge®. La discrétisation spatiale est réalisée à l’aide d’éléments quadrangles 2D axisymétriques. Les différents corps déformables constituant l’assemblage, i.e. tôles et rivet, ont un comportement élasto-plastique. Lors de ses campagnes expérimentales, Dölle a mesuré pour quel enfoncement du rivet la rupture de la tôle supérieure apparaît. En se basant sur ce critère dans ses simulations, il supprime les éléments dans la zone de plus faible épaisseur pour modéliser la rupture de la tôle supérieure (Fig. 1.12). Figure 1.12 : Visualisation en pointe de rivet des résultats de la simulation numérique (a) avant séparation et (b) après séparation de la tôle supérieure (Dölle, 2001) Les résultats issus des simulations sont confrontés aux données expérimentales que cela soit sur des courbes effort – déplacement ou grâce à des coupes géométriques de points rivetés effectuées à différentes étapes de la pose du rivet (Fig. 1.13). Figure 1.13 : Comparaison expérimentale/numérique pour une configuration acier DC04 0,8mm sur acier DC04 1,5mm et rivet de 5mm : (gauche) coupes géométriques, (droite) courbes effort – déplacement (Dölle, 2001) 18 Les courbes effort – déplacement numériques prédisent un effort de pose moins important que celui obtenu expérimentalement. Les coupes géométriques du point d’assemblage sont en bon accord avec les prévisions numériques. Cependant nous pouvons voir que les épaisseurs des tôles au centre du rivetage en fin de pose sont plus faibles dans les simulations que celles obtenues expérimentalement. Ces différences peuvent être expliquées par plusieurs facteurs. Nous pouvons citer entre autres : une évaluation trop faible des coefficients de frottement, une mauvaise caractérisation des lois de comportement entrainant une rigidité trop faible des tôles et du rivet. La thèse de (Chergui, 2004) qui a fait suite à celle de Dölle, est plus centrée sur la modélisation de la tenue à la fatigue du rivetage auto-poinçonneur. Dans la fin du manuscrit, il a montré la faisabilité de la modélisation de la pose du rivet auto-poinçonneur avec le logiciel élément finis MSC Marc®. Les résultats numériques semblent corrects mais ne sont pas comparés avec des résultats expérimentaux (Fig. 1.14). Figure 1.14 : Résultat numérique de la pose d’un rivet auto-poinçonneur avec le logiciel MSC Marc® (Chergui, 2004) Plus tard (Porcaro, et al., 2006) ont simulé numériquement le procédé de pose du rivet autopoinçonneur en utilisant le code dynamique éléments finis LS-DYNA®. La résolution du problème mécanique est implicite. Pour ce faire, une configuration 2D axisymétrique du procédé a été utilisée et la discrétisation spatiale est réalisée avec des éléments quadrangles et une interpolation linéaire. Les matériaux sont considérés comme élasto-plastiques avec une loi d’écrouissage linéaire isotrope et le critère de plasticité de von Mises. Pour résoudre le problème de la distorsion des éléments du maillage, sujets à de forte déformation, les auteurs utilisent une méthode de r-adaptation du maillage. Cette technique d’adaptation consiste à améliorer la solution en optimisant la position des nœuds dans le maillage sans en ajouter de nouveaux et sans modifier les connectivités. Pour simuler la rupture de la tôle supérieure, un critère sur l’épaisseur de la tôle supérieure est utilisé. Dès que cette épaisseur est suffisamment faible, la tôle est divisée en deux parties. Pour valider leur modèle numérique, une importante campagne expérimentale basée sur l’alliage d’aluminium 6060 avec deux écrouissages (T4 et T6) a été réalisée. La comparaison des résultats numériques et expérimentaux présente, en général, une bonne corrélation que cela soit sur les courbes force – déplacement (Fig. 1.15) ou sur les coupes géométriques. Cependant, les résultats obtenus avec le modèle numérique présentent de fortes oscillations dues, d’après les auteurs, a un fort coefficient de pénalisation dans leur modèle de contact. Figure 1.15 : Comparaison entre les simulations et l’expérience (Porcaro, et al., 2006) Comme pour les auteurs précédents, (Abe, et al., 2006) et (Mori, et al., 2006) réalisent leur simulation de pose de rivet auto-poinçonneur avec le logiciel éléments finis LS-DYNA®. Cette fois-ci la formulation du problème est explicite. La discrétisation spatiale est réalisée avec des éléments quadrangles linéaires. Les tôles et les rivets sont des matériaux élasto-plastiques avec une loi d’écrouissage isotrope. Les résultats numériques sont confrontés à un cas de rivetage avec la tôle supérieure en alliage d’aluminium 5052-H34 et la tôle inférieure en acier SPCC ou SPFC (Fig. 1.16). La coupe géométrique nous apprend que, dans le modèle numérique, le rivet est trop rigide par rapport aux tôles car celui-ci ne s’évase pas suffisamment. Cela se traduit par un effort de pose numérique supérieur à celui de l’expérience surtout sur la fin du procédé.
Etude de la tenue mécanique du point d’assemblage
Dans (Westerberg, 2002), l’auteur a étudié la tenue mécanique en dynamique d’assemblages rivetés avec le logiciel ABAQUS-Explicit et des éléments finis de type quadrangle linéaire. Dans le manuscrit de thèse de (Chergui, 2004), l’étude porte sur la modélisation du comportement en fatigue ainsi que du comportement en statique d’assemblages rivetés. Le logiciel utilisé est ABAQUS-Explicit. Une des principales limites de ces deux études est la non-prise en compte de l’histoire des déformations et des contraintes apparues lors de la phase de pose du rivet. En effet, les géométries qui ont servi aux simulations, ont été extrapolées à partir de coupes expérimentales (Fig. 1.19). Figure 1.19 : Création du modèle numérique pour les tests de tenue mécanique (Chergui, 2004) Dans (Gårdstam, 2006), à partir de simulations 2D, un modèle numérique 3D a été extrapolé. Sur celui-ci, seul le champ de déformation a été transporté. En utilisant ce modèle, des simulations de tenue mécanique au cisaillement et au pelage ont été réalisées en utilisant le logiciel ABAQUSExplicit et une discrétisation spatiale en éléments quadrangles linéaires. Gårdstam explique notamment que pour compenser le non transfert des champs de contraintes lors de la création du modèle 3D, il est nécessaire, pour obtenir des résultats numériques proches de l’expérimental, d’utiliser un coefficient de frottement extrêmement fort entre les différents éléments de l’assemblage (Fig. 1.20). Gårdstam concluera de cette étude qu’il est nécessaire de transporter les champs de contraintes en plus de celui des déformations pour avoir un modèle numérique prédictif. Figure 1.20 : Comparaison des données expérimentales avec les données issues des simulations sur un essai de cisaillement : (a) courbes effort – déplacement, (b) faciès de rupture (Gårdstam, 2006) 22 Dans (Porcaro, et al., 2006) à partir du modèle 2D axisymétrique, un modèle 3D est créé afin de réaliser des simulations de tenue mécanique d’essais de traction pure et de cisaillement pur. Les champs mécaniques de contraintes et de déformations sont transférés de la configuration 2D à la configuration 3D par une méthode d’extrapolation. Les résultats numériques arrivent à reproduire le comportement global des assemblages rivetés (Fig. 1.21). Cependant dans cette étude, le modèle numérique montre certaines limites. En effet, que cela soit sur les courbes force – déplacement ou sur les faciès de rupture, les différences entre les résultats numériques et expérimentaux peuvent être, dans certains cas, très importantes. Ces différences sont plus exacerbées dans les simulations sous chargement de cisaillement pur. Une des possibilités évoquées par les auteurs pour améliorer le modèle numérique est d’introduire un modèle d’endommagement. Figure 1.21 : Comparaison des données expérimentales avec les données issues des simulations sur un essai de cisaillement et de traction : (gauche) faciès de rupture, (droite) courbes effort – déplacement (Porcaro, et al., 2006) Dans (Bouchard, et al., 2005) et (Bouchard, et al., 2008), à partir des résultats 2D en fin de simulation de pose de rivet, une configuration 3D est extrapolée avec le transport de l’ensemble des variables mécaniques (contraintes, déformations, …). L’importance du transfert des variables mécaniques, issues de la simulation de pose de rivet, sur la prédiction de la tenue mécanique du point d’assemblage est alors illustrée sur un essai de cisaillement (Fig. 1.22). La non-prise en compte de « l’histoire » des variables mécaniques entraine une sous-estimation importante de la tenue mécanique de l’assemblage en cisaillement. Il est donc important de simuler le plus précisément possible la mise en forme du point d’assemblage et de disposer d’un algorithme performant de transfert entre les configurations 2D axisymétrique et 3D.
Elément équivalent
Au-delà de l’étude numérique du procédé de rivetage auto-poinçonneur que cela soit la pose ou la tenue mécanique en statique, dynamique ou fatigue, un des objectifs de l’amélioration de la connaissance du procédé est de déterminer un élément équivalent au point d’assemblage. Cet élément doit permette de simuler le comportement global du rivet dans des structures comportant des centaines voir des milliers de rivets à faible coût de calcul (Langrand, 2005). Les modèles pour le rivet auto-poinçonneur se sont inspirés des modèles définis pour les points soudés (Lin, et al., 2002), (Lin, et al., 2003) et (Langrand, et al., 2004) ou pour les rivets (Langrand, et al., 2002). Pour ce faire, plusieurs approches sont possibles. Une première approximation est de représenter le rivet par des éléments coques. C’est ce qui est fait dans (Dannbauer, et al., 2003) où le modèle permet de reproduire le comportement de la liaison en statique et en fatigue. Une simplification extrême n’utilisant qu’une liaison poutre est présentée dans (Porcaro, et al., 2004). Pour finir, une étude récente (Sun, et al., 2005) a porté sur la définition d’une loi analytique qui permet de déterminer la valeur de la tenue maximale d’un assemblage par rivet auto-poinçonneur lors d’un essai de traction. Cette loi est basée sur des grandeurs physiques et géométriques.
Problématique et objectifs de la thèse
Aujourd’hui, le rivetage auto-poinçonneur est une technologie bien maitrisée par les industriels. Cependant chez les constructeurs automobiles (PSA Peugeot – Citroën, 2003) ou chez les fabriquants de système de rivetage auto-poinçonneur, la caractérisation du bon couple rivet (diamètre, longueur, dureté, forme) et bouterolle (forme et dimension) pour une configuration (nuances, épaisseurs) reste essentiellement empirique et est souvent basée sur le savoir faire des techniciens. Cette méthode expérimentale devient de moins en moins applicable avec l’augmentation des configurations d’assemblage à traiter, la multiplicité des paramètres du procédé, la diminution des délais de 24 conception et les réductions du coût de développement. Comme dans d’autres étapes de développement d’un nouveau véhicule, l’utilisation d’un outil de simulation numérique apparaît alors comme un excellent moyen pour répondre à ces enjeux en réduisant le nombre de campagnes d’essais, les coûts d’outillage et les délais de conception. La conformité d’un point d’assemblage se base sur deux critères : l’aspect de la géométrie finale du point d’assemblage et la tenue mécanique afin de voir si celui-ci respecte le cahier des charges. Le modèle numérique devra donc être capable de modéliser ces deux étapes : mise en forme et tenue mécanique. En se basant sur les études déjà existantes sur le rivetage auto-poinçonneur, il apparaît qu’il est préférable : de disposer d’une modélisation 2D axisymétrique pour la modélisation de la pose du rivet afin d’avoir un calcul rapide ; d’avoir un algorithme robuste de transfert des champs thermomécaniques d’une configuration 2D à une configuration 3D ; d’introduire un modèle d’endommagement afin de pouvoir prédire aussi bien l’apparition de crique lors de la mise en forme de l’assemblage que la valeur précise de la tenue mécanique en statique (traction, cisaillement). Afin d’obtenir un outil fiable et précis, le modèle numérique sous-jacent devra prendre en compte un grand nombre de phénomènes physiques : Un modèle de rhéologie matériau capable de décrire le plus fidèlement possible le comportement mécanique réel des différents éléments de l’assemblage, i.e. tôles et rivet. Nous travaillerons avec des matériaux métalliques et nous utiliserons une loi élasto-plastique endommageable pour décrire le comportement des matériaux sur l’ensemble du domaine de sollicitation. L’identification précise des paramètres de la loi matériau retenue est un facteur déterminant pour la précision des résultats numériques. Il faudra donc mettre en œuvre une méthode fiable d’identification. Nous opterons pour une méthode d’analyse inverse basée sur un logiciel développé au sein du laboratoire RhéoForge®. Le modèle numérique doit être en mesure de simuler les conditions réelles du procédé (contact, déflexion de la presse, …) et reproduire les différents phénomènes physiques rencontrés (grande déformation, rupture, retour élastique, …). La suite logicielle Forge2005® sera utilisée dans cette thèse comme base de départ des développements. La figure 1.23 définit la stratégie mise en place pour le développement de l’outil numérique de modélisation des assemblages par déformation ainsi que les différentes étapes de validation.
Chapitre 1 : L’assemblage par déformation plastique |