Horloge à réseau optique à atomes de Strontium
Horloges optiques : les différentes approches
Pourquoi passer à une horloge optique ? Actuellement, le niveau de performance des meilleurs horloges micro-onde, les fontaines atomiques, atteint des valeurs proches de 10−16 en terme d’exactitude, et de quelques 10−14τ −1/2 en stabilité [13]. Ces valeurs peuvent encore être améliorées, mais on approche de limites fondamentales et non techniques pour ce type d’horloge. Les fontaines ont presque atteint la limite où le bruit de projection quantique est le bruit limitant. Pour améliorer la stabilité dans une telle configuration, il faudrait augmenter le nombre d’atomes ou améliorer la finesse des résonances observées, actuellement de l’ordre de 1 Hz. Cependant, avec une interrogation de type Ramsey, cette largeur est donnée par la transformée de Fourier du temps de vol entre les deux interrogations, lui même limité par l’expansion transverse des atomes. A moins de procéder à une interrogation en micro-gravité, les améliorations possibles sont donc assez limitées. Il en est de même pour l’exactitude, où les effets motionnels des atomes sont la principale source d’incertitude. A ce niveau, les perspectives de gain en terme d’exactitude et de stabilité de fréquence ne résident plus dans les améliorations des fontaines, mais plutôt dans le choix de nouveaux types d’horloges atomiques. Pour dépasser les limites des horloges micro-onde, l’idée la plus naturelle a été de développer des horloges optiques. En effet, les effets systématiques sont pour la plupart indépendants de la fréquence de la transition utilisée, et donc contrôlables en valeur relative à un bien meilleur niveau pour une transition optique (quelques centaines de THz) que pour une transition micro-onde (9.2 GHz pour le 133Cs). Il en est de même pour la stabilité lorsqu’elle n’est plus limitée que par le bruit de projection quantique. En revanche, ces considérations ne sont pas vraies en ce qui concerne les effets liés au mouvement des atomes (effet Doppler et effet de recul) qui restent, en valeur relative, du même ordre de grandeur lorsqu’on passe à une transition optique. Si l’objectif des horloges optiques est de dépasser une exactitude de 10−16, il faut alors impérativement utiliser des atomes piégés dans le régime de Lamb-Dicke [5]. Des mesures de fréquences optiques ont été entreprises en même temps que le développement d’horloges au Cs, mais il a fallu attendre des développements relativement récents pour permettre de franchir les principaux obstacles concernant ces horloges : le refroidissement et le piégeage d’une part, et la mesure de fréquences optiques d’autre part. Si la première condition est réalisable depuis longtemps pour des particules chargées, les techniques de piégeage d’atomes neutres n’existent que depuis les années 1980. D’autre part, des mesures simples de fréquences optiques de très haute précision ne sont possibles que depuis le développement des peignes de fréquence femtoseconde à la fin des années 1990. A cause de ces limites, les premières horloges optiques ont été développées selon deux axes différents. D’une part les horloges à atomes neutres, ayant un fonctionnement proche des horloges micro-onde, où la fréquence de la transition est mesurée sur une assemblée d’atomes lâchés dans le champ de gravité à l’aide d’une interrogation de type Ramsey. Ce type d’horloge a été essentiellement développé sur deux alcalino-terreux (Ca, Mg) dont la structure électronique est propice grâce à la présence de transitions atomiques utilisables pour le refroidissement et l’interrogation des atomes. Ces horloges ont actuellement une exactitude limitée par l’effet Doppler au niveau de 10−15 [34]. Ayant connu un développement plus précoce, les horloges utilisant des ions piégés ont le mérite d’être insensibles à cet effet limitant l’exactitude des horloges à atomes neutres. Amener un ion piégé dans le régime de Lamb-Dicke est une opération bien connue depuis longtemps [1]. En revanche, ces horloges présentent une limitation dans leur stabilité ultime, en raison de la nécessité de fonctionner essentiellement avec un seul ou un nombre limité d’ions. La limite quantique à la stabilité est donc forcément moins compétitive que pour une horloge utilisant un grand nombre d’atomes. Les espèces étudiées se répartissent en deux catégories, les ions ayant un électron périphérique (Ca+, Sr+, Yb+ et Hg+) et les ions ayant deux électrons périphériques (In+ et Al+). Chaque famille possède des transitions optiques utilisables pour le refroidissement et l’interrogation, mais le fonctionnement des horloges, ainsi que les effets systématiques qui entrent en jeu, sont assez différents. C’est le développement des techniques de piégeage d’atomes neutres par laser [35] qui ont permis de penser à une seconde génération d’horloges optiques pouvant combiner les avantages des deux types d’horloges présentées ici. Les horloges « à réseau optique », et en particulier l’horloge à 87Sr qui fait l’objet de cette thèse, utilisent une méthode permettant de combiner les performances des horloges à ion en terme d’exactitude et des horloges à atomes neutres en terme de stabilité. Initialement imaginé pour l’isotope 87Sr [29], le principe de ces horloges s’est maintenant répandu et fait l’objet de développements avec différents isotopes de trois éléments ayant une structure électronique similaire : Sr, Yb et Hg. En plus de présenter les mêmes avantages en terme de refroidissement laser que les autres éléments utilisés pour les différentes horloges optiques [36], ces atomes possèdent également une longueur d’onde privilégiée pour leur confinement dans un piège dipolaire, ainsi qu’une transition d’horloge extrêmement fine. Leurs caractéristiques permettent actuellement de viser une exactitude proche de 10−18 ainsi qu’une stabilité dans la gamme des 10−16τ −1/2 .
Horloges optiques à atomes neutres non piégés
Les premières horloges optiques à atomes neutres ont commencé à être développées pendant les années 1980. Ne profitant pas des techniques de piégeage proposées par la suite, leur principe repose essentiellement dans le refroidissement d’une assemblée d’atomes par laser (à l’aide de pièges magnéto-optiques ou de mélasses optiques) qui est ensuite libérée et dont on suit la chute dans le champ de gravitation terrestre. Les vitesses des atomes étant relativement importantes, des techniques d’interrogation supprimant l’effet Doppler ont été utilisées [9], mais on sait d’ores et déjà que cet effet limitera l’exactitude au niveau de 10−16 [37, 38]. La grande quantité d’atomes piégeables permet par contre d’atteindre de très bonnes stabilités en des temps relativement courts. Les résultats les plus poussés ont été obtenus pour une horloge au 40Ca [38, 39], mais le 24Mg est également un candidat pouvant fonctionner sur le même modèle [40, 41]. A noter également des mesures faites sur la raie 1S → 2S de l’hydrogène [22] qui, malgré les possibilités limitées en terme de refroidissement laser, représente un enjeu important en physique fondamentale.
Horloge optique à atomes neutres de 40Ca
De toutes les horloges optiques à atomes neutres non piégés en cours de développement, l’horloge au 40Ca est la plus poussée. Elle est développée par deux équipes, à la PTB (Allemagne) dans l’équipe de F. Riehle et au NIST (USA) dans l’équipe de L. Hollberg. C’est elle qui a présenté le plus grand nombre de résultats de haute performance, seulement rattrapée depuis un an par les horloges à réseau optique. Les derniers résultats affichent une exactitude de 7.5 × 10−15 et une stabilité descendant à 2×10−16 en 2000 s . Structure atomique et séquence temporelle Comme de nombreux alcalino-terreux et atomes ayant une structure semblable, le 40Ca présente certains avantages qui en font un candidat intéressant pour réaliser une référence dans le domaine optique. Le premier point est la possibilité de le refroidir de manière efficace par laser. La transition 4s 2 1S0 → 4s4p 1P1 à 423 nm permet un refroidissement dans un piège magnéto-optique jusqu’à des températures de l’ordre du mK sans avoir à se préoccuper des fuites d’atomes dans des niveaux intermédiaires. La transition 4s 2 1S0 → 4s4p 3P1 à 657 nm quant à elle, avec sa largeur naturelle de 375 Hz, est suffisamment fine pour être utilisée comme transition d’horloge et espérer atteindre de bonnes performances en terme de stabilité. La largeur de raie de la transition peut paraître élevée en comparaison des transitions actuellement utilisées dans les horloges à ion(s) piégé(s) ou à réseau optique, mais à l’époque où les projets de ce type ont commencé, elle était en accord avec les limites en terme de largeur de raie des meilleurs lasers stabilisés. Cet exemple illustre bien la rapidité avec laquelle les limites techniques sont franchies ; il serait d’ailleurs possible d’utiliser la transition 4s 2 1S0 → 4s4p 3P0 d’un isotope fermionique comme cela se fait dans les autres horloges utilisant des éléments de structure électronique semblable. D’autre part, une autre transition, associée à la transition d’horloge, est utilisée pour une seconde étape de refroidissement. C’est la transition 4s4p 3P1 → 5s5p 1P1 à 552 nm au NIST, ou bien la transition 4s4p 3P1 → 4s4d 1D2 à 453 nm à la PTB. Toutes ces transitions sont reportées sur la figure 1.1.
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