Ecodynamique des éléments traces et caractérisation de l’exposition des sols contaminés
Dynamique des éléments traces dans le sol
Les éléments traces dans les sols
Définition des « éléments traces» Les éléments traces métalliques correspondent aux 68 éléments minéraux de la croûte terrestre présentant une concentration inférieure à 0,1% et une densité supérieure à 5g/cm3 (Alloway, 1995 ; Baize, 1997). Ces éléments sont distribués dans tous les compartiments de l’environnement (e.g. le sol, les plantes et les animaux). Leurs concentrations dans les tissus vivants sont normalement très faibles. Ils peuvent être séparés en deux catégories. La première catégorie comprend les éléments à l‘état de trace essentiels à la croissance, au développement voire à la reproduction des organismes vivants aussi bien microscopiques que macroscopiques (Buffle, 1988; Tessier et Turner, 1995). La deuxième catégorie comprend les éléments métalliques toxiques, non nécessaires à la croissance des organismes vivants, tels que le cadmium, le plomb et le mercure. L‘ensemble de ces éléments peut être d‘origine naturelle mais les activités anthropiques peuvent augmenter leurs concentrations dans les écosystèmes terrestres. Cette contamination du sol n‘est pas sans effet sur ces écosystèmes. En effet elle est à l‘origine d‘un stress pour les animaux et les végétaux et entraine la diminution de la biodiversité et de la couverture végétale et entraine également un manque de nutriments et d‘eau (Freitas et al., 2004 ; Mench et al., 2004 ; Zvereva & Kozlov, 2004). Le devenir des éléments traces dans les sols dépend de leur mobilité et de leurs réactions avec les composants organiques et minéraux du sol. La quantification et la spéciation de ces éléments traces sont donc des données indispensables à l‘estimation de leur impact dans un environnement donné.
Origine et source des éléments traces dans le sol
Il y a une grande dispersion des éléments traces dans la plupart des sols du monde, les principales sources de ces éléments accumulés dans le sol étant: L’origine naturelle: les éléments traces résultent tout d‘abord d‘un héritage direct des matériaux parentaux comme les roches ignées ou métamorphiques et les roches sédimentaires par l‘altération des minéraux primaires et secondaires comme les argiles, oxydes et carbonates L’origine anthropique: l‘homme est probablement l‘être vivant qui modifie le plus la composition des sols en éléments traces (Bourrelier et Berthelib,1998) soit à travers des activités agricoles par l’addition au sol d‘engrais, d‘amendements calcaires, de produits de traitement phytosanitaires (par exemple, sels de cuivre ou arséniate de plomb) et de boues de stations d‘épuration; soit par la diffusion aérienne de poussières et d‘aérosols provenant notamment des activités industrielles; soit par les apports massifs localisés comprenant les apports accidentels ou résultant d‘activités de longue durée sans protection contre la dispersion (fuites, lessivage, …) dans l‘environnement. On observe que les activité agricoles et industrielles sont les deux sources principales des éléments traces dans les sols et elles contribuent également à l‘augmentation des concentrations de ces éléments à la surface des sols (Kabata-Pendias, 2001; He et al.,2005; Sun et al., 2010; Luo et al., 2011) (Fig. 2). Figure 2: Origine des éléments traces dans le sol (D‘après Robert et Juste, 1999) I.3. Toxicité des éléments traces Dans la nature, les éléments traces deviennent toxiques quand ils dépassent les limites d‘adsorption spécifique pour chaque espèce vivante. Plusieurs modèles ont été proposés pour la classification de la toxicité des métaux vis-à-vis des organismes vivants. Les premiers modèles géochimiques proposés pour classifier la toxicité des métaux incluent celui de Forstner et Wittimann (1981). Ce modèle classe les éléments traces en trois catégories: 1) Les éléments non critiques comprenant Na, K, Mg, Ca, Fe, Li, Rb, Sr et Al 2) Les éléments toxiques mais très insolubles ou alors très rares comme Ti, Hf, Zr, W, Nb, Ta, Re, Ga, La, Os, Rh, Ir, Ru et Ba) 3) Les éléments très toxiques et relativement répandus à savoir Be, Co, Ni, Cu, Zn, Sn, As, Se, Te, Pd, Ag, Cd, Pt, Hg, Ti, Pb, Sb et Bi. De même Morgan estime que les métaux et métalloïdes anthropiques dangereux sont le Cr, Cu, Zn, Ag, Cd, Sb, Hg, Pb (Morgan, 1990). Les effets toxiques des éléments traces sur les organismes vivants dépendent de la forme chimique des éléments traces dans le sol. Par exemple l‘arsenic pentavalent sous forme d’arséniate est considéré comme plus fréquent et moins toxique que l’arsenic trivalent (Hingston et al., 2001). Ils dépendent également de la concentration des métaux dans le sol. Par exemple la mobilité, la disponibilité et par conséquent la toxicité des éléments traces dans un sol contaminé sont plus élevée qu‘un sol normal. Les éléments traces font partie des contaminants les plus persistants dans l‘environnement, parce que ils ne se dégradent pas contrairement aux contaminants organiques. En effet ils s’accumulent dans la chaîne alimentaire, ce qui provoque des perturbations éventuelles et des risques pour la santé humaine et l‘environnement (Ruby et al., 1999 ; Kelley et al., 2002). La protection des écosystèmes terrestres par rapport à l‘exposition aux éléments traces potentiellement toxiques passe premièrement par l‘estimation des quantités de ces éléments dans le milieu, leur flux à travers le milieu et l‘identification de leurs formes physico-chimiques pour les études éco-toxicologiques.
Spéciation, mobilité et biodisponibilité des éléments traces
La spéciation
Dans un milieu naturel, la spéciation chimique d‘un élément est définie comme l‘ensemble des formes ou des espèces chimiques de cet élément dans ce milieu. Par exemple la spéciation de ces éléments en phase dissoute est contrôlée par un certain nombre de ligands, inorganiques ou organiques, qui vont former des complexes plus ou moins stables avec ces éléments. La spéciation des éléments traces dans les sols est une des données fondamentales qui contrôlent leur migration, leur biodisponibilité et donc leur toxicité (Li et Thornton, 2001). Elle permet de préciser l‘espèce, c‘est-à-dire la forme ou la nature des liaisons chimiques contractées avec ses proches voisins. A l’heure actuelle, peu de méthodes de détermination de la spéciation font l’objet d’un consensus au sein de la communauté scientifique, malgré la nécessité d’une telle approche pour la compréhension de la mobilité et de la biodisponibilité des éléments traces dans les sols. On peut distinguer deux grands types de méthodes pour déterminer la spéciation des éléments traces dans les sols: les méthodes physiques (ou directes) les méthodes chimiques (ou indirectes). Dans le cas des méthodes physiques, la spéciation d‘un élément considéré est abordée directement à partir de moyens analytiques non destructifs au sens où la structure ou la matrice contenant l’élément n’est pas modifiée. Parmi ces moyens analytiques figurent la diffraction de rayons X ou la microscopie analytique comme les microscopies électroniques à balayage (MEB), à transmission (MET) et la microsonde électronique qui permettent l’analyse multi-élémentaire de quelques µm -3 de constituants du sol (Bourrelier et Berthelin. 1998). Pour les méthodes chimiques, la spéciation peut être évaluée à partir d‘extractions réalisées en présence de réactifs sélectionnés ; elle sera alors définies de façon fonctionnelle (extraction simple) (Menzies et al., 2007) ou opérationnelle (extraction séquentielle) (Ure et al., 1993 ; Kersten et Förstner, 1995).
Mobilité et disponibilité des éléments traces dans le sol
La mobilité des éléments traces peut être définie par leur aptitude à être transférés entre les différents compartiments du sol, la phase liquide étant le compartiment ultime qui est représentée par la solution du sol. Cette dernière constitue le réservoir principal d‘alimentation pour les plantes et tous les êtres vivants du sol (Kabata-Pendias and Pendias, 2001 ; McLaughlin et al., 2000). La biodisponibilité désigne la capacité d’un élément présent dans le sol à être absorbée par un être vivant. Lorsqu’il s’agit des plantes, on parle de phytodisponibilité (Baize et Tercé, 2002). La mobilité des éléments traces dans les sols met en jeu des mécanismes biogéochimiques de mobilisation et des mécanismes de transport. La mobilisation et l‘immobilisation recouvrent l‘ensemble des phénomènes par les quelles les éléments traces sont extraits des compartiments (organiques ou minéraux) du sol où ils se trouvent. La mobilité et la disponibilité des éléments traces sont contrôlées par les formes de leurs associations chimiques et physiques dans les sols, ces associations étant: (i) des ions simples ou complexes dans la solution du sol; (ii) des ions échangeables, (iii) des substances organiques; (iv) l’occlusion ou la co-précipitation avec des oxydes, des carbonates et des phosphates ou d’autres minéraux secondaires, et (v) des atomes dans les réseaux cristallins des minéraux primaires (Bates, 1982). Par conséquent, pour l‘évaluation des risques environnementaux des éléments traces, il faut mesurer les quantités de chaque forme d’association des éléments traces, en plus de la quantité totale des éléments traces dans les sols. En effet, toutes les formes disponibles ne présentent pas forcement des risques environnementaux. Ainsi, les formes très stables contenues dans la fraction résiduelle sont peu susceptibles d’être libérées, tandis que les fractions solubles, échangeables et les espèces chélatées sont très mobiles et donc plus disponibles pour les plantes et la chaîne alimentaire (Kabata-Pendias, 1993).
Facteurs contrôlant la mobilité/immobilité des éléments traces dans le sol
La mobilité des éléments traces jouent un rôle majeur dans les transferts des éléments traces dans les sols; cette mobilité est contrôlée par plusieurs facteurs tels que les propriétés des sols (pH, capacité d’échange cationique (CEC), la teneur en matière organique du sol (SOM), etc…) et les espèces végétales (Fageria et al.. 2002; Hough et al.. 2003; Tazisong et al., 2004). Les facteurs les plus influents sur la disponibilité et la mobilité des éléments traces dans les sols sont détaillés ci-dessous:
Le pH
Le pH est le paramètre le plus important dans le sol. Il influence directement ou indirectement sur les processus de sorption/désorption, précipitation/dissolution, mobilité/immobilité et la formation de complexes et l’oxydoréduction (McLean et Bledsoe, 1992). Ce paramètre constitue le facteur-clé affectant la mobilité des ions métalliques dans le sol (McLaughlin et al., 2000). D‘une façon générale, l‘augmentation du pH favorise la déprotonation des complexes aqueux et des groupements fonctionnels de surface des phases solides. Du fait de la diminution des quantités de protons, la compétition entre protons et cations métalliques est plus faible et donc les répulsions diminuent, ce qui accélère alors la formation de nouvelles phases. Ainsi, la solubilité des cations métalliques diminue lorsque le pH augmente. Dans le cas des anions comme (Cr(VI), As, Se), la diminution du pH favorise au contraire la libération des ions OH− entraînant alors une diminution de la compétition entre anions et ions OH− , ce qui accélère alors la formation de nouvelles phases.
Le potentiel redox
Le potentiel redox (Eh) est le facteur qui permet de caractériser les échanges d‘électrons entre les espèces chimiques. Un potentiel redox élevé favorise la formation de formes oxydée, alors que les faibles valeurs du potentiel rédox favorisent l‘apparition d‘espèces réduites. Les valeurs les plus courantes du potentiel redox dans les sols naturels sont comprises entre 200 et 400 mV, ce domaine de potentiel recouvrant des degrés d‘oxydation très variés de nombreuses espèces en solution, influant ainsi directement ou indirectement sur la mobilité des métaux dans ces environnements (Deneux-Mustin et al., 2003).
L’activité biologique
Il est difficile de comprendre les effets globaux des activités biologiques sur la mobilité/immobilité des éléments traces dans les sols car le sol est un milieu très complexe. Ainsi dans ce milieu il y a de nombreuses actions et interactions qui se produisent et à tous les niveaux des écosystèmes. Dans le sol on peut trouver les végétaux supérieurs et une forte présence de micro-organismes tels que les bactéries, les champignons et les algues. Ces nombreuses populations interviennent directement ou indirectement dans la transformation des composés minéraux et organiques et la spéciation des éléments traces par plusieurs processus comme la solubilisation, l‘insolubilisation, l‘altération, la volatilisation, la néoformation. Par conséquent ces processus peuvent modifier l‘état des divers éléments présents dans les sols (solubilité, état rédox…) (Schlieker et al., 2001).
La température
La température du sol dépend en premier lieu de la météorologie et donc du climat. La température a un impact direct et indirect sur la mobilité des éléments métalliques. Un effet direct en déplaçant les équilibres des réactions de dissolution-précipitation et co-précipitation, et un effet indirect, en modifiant la teneur en eau du sol, le pH ou l‘Eh (Remon, 2006). III. Mécanismes d’interactions des éléments traces avec les constituants du sol Le transfert des éléments traces de la phase solide vers la phase liquide et inversement est le processus le plus important qui contrôle la mobilité des éléments traces dans les sols. Plusieurs mécanismes physicochimiques interviennent au cours de ces transferts comme l‘échange ionique (adsorption non spécifique) l‘adsorption spécifique sur les phases minérales, la complexation avec la matière organique du sol (SOM), la précipitation et la co-précipitation (Fig. 3). Figure 3: Différentes formes et mécanismes de fixation des éléments traces métalliques dans le sol (d‘après Singh et Steinness, 1994).
Adsorption non spécifique (physisorption)
La surface des particules du sol est généralement chargée négativement. Les cations en solution sont attirés vers les charges négatives de la surface de ces particules par des forces électrostatiques de type Van der Waals ou coulombiennes. Les cations adsorbés forment par sa sphère d‘hydratation avec la phase solide du sol, un complexe de sphère externe (Fig. 4). Les liaisons entre la phase solide et les cations du sol sont des liaisons électrostatiques réversibles et soumises à la compétition avec les ions de la solution du sol pour les sites de sorption (Srivastava et al. 2005). Par conséquent, les éléments métalliques adsorbés sont facilement mobilisables en cas de changements physicochimiques du milieu. Différentes particules du sol peuvent participer à l‘adsorption non spécifique et former des complexes de sphère externe comme les particules argileuses (Majone et al., 1996), les oxydes (Martinez et McBride., 1998) et les substances humiques (Andreux, 1997 ; Hatira et al., 1990). S: surface, – liaison forte irréversible et liaison électrostatique réversible. Augmente avec le pH Figure 4: Formation d‘un complexe de sphère externe (d‘après Bes, 2008)
Adsorption spécifique (chimisorption)
Des complexes entre les cations métalliques et le substrat se forment directement après qu‘il ait perdu une ou plusieurs molécules d‘eau de sa sphère d‘hydratation. Cela aboutit à la formation de complexes de sphère interne (Fig. 5). Ces complexes se forment par des liaisons ioniques, covalentes ou une combinaison des deux, plus stables que la liaison électrostatique de sphère externe. Par conséquence, les éléments métalliques adsorbés sur la phase solide sont difficilement remobilisables en cas de changements physicochimiques du milieu. Comme ce type de liaison covalente dépend de la configuration des électrons, des groupes de surface et de l‘ion complexé, il est approprié de considérer la complexation de sphère interne comme une adsorption spécifique (Sposito, 1989) ou chimisorption (Yong et al., 1992). L‘adsorption spécifique se déroule en plusieurs étapes : au début il y a l‘adsorption de surface puis diffusion et finalement l‘adsorption interne. L‘adsorption spécifique par complexation de sphère interne fixe plus fortement les éléments traces métalliques sur les surfaces solides que la complexation de sphère externe. Le principal paramètre qui peut influencer la stabilité de ces liaisons est le pH du sol. Cette réaction peut se produire sur tous les solides qui possèdent des groupements –OOH à sa surface tels que les groupements carboxyles des acides humiques, les polysaccharides (e.g. pectines) et polyphénols de la matière organique ou les oxydes, hydroxydes d‘Al, de Fe et de Mn (Kumpiene et al., 2008).
1ére partie: Synthèse bibliographique. |