Antirétroviraux et atteintes du tissu adipeux
Lipodystrophie et molécules de première génération
L’utilisation des molécules ARV de première génération a conduit à l’apparition de syndromes lipodystrophiques caractérisés par une lipoatrophie périphérique du TASC (membres et visage) associée ou non à une accumulation tronculaire de TA. Entre 1990 et le début des années 2000, la prévalence de la lipodystrophie représentait environ 50% des personnes infectées sous ARV (Miller et al. 2003, Domingo et al. 2012). Chez certains patients, elle pouvait être associée à une accumulation de TASC dorso-cervical appelée bosse de bison (Mallon et al. 2005). La lipodystrophie est diagnostiquée en clinique grâce à une échelle permettant de mesurer la sévérité de la redistribution du TA (Carr et al. 2003). trithérapie correspondant à l’association des ARV de première génération : deux NRTI (en particulier d4T et ZDV), et d’un PI (en particulier NFV et LPV/r) (Bacchetti et al. 2005, Study of Fat and Metabolic Change in 2006, Boothby et al. 2009, Caron-Debarle et al. 2010). Cependant, certains NNRTI tel que l’EFV, ont été impliqués dans la lipoatrophie (Haubrich et al. 2009). Malgré la mise en place de nouveaux traitements moins délétères (tels que les NNRTI) favorisant une augmentation de la masse du TASC des membres, le syndrome lipodystrophique persiste (Martin et al. 2004, Ribera et al. 2013). Par ailleurs, quelques études suggèrent que la perturbation du système nerveux sympathique favoriserait la redistribution du tissu adipeux chez les patients lipodystrophiques infectés par le VIH sous ARV (Fliers et al. 2003, van Gurp et al. 2006). De nombreuses études ont été menées in vivo et in vitro, pour comprendre les mécanismes impliqués dans l’effet des ARV de première génération (Caron-Debarle et al. 2010, Lagathu et al. 2017).
Le TASC abdominal lipoatrophique présente des adipocytes en apoptose, une infiltration de cellules immunitaires (avec des crown-like structures) et une inflammation (sécrétion de TNFα, IL-6, IL-1β) (Kannisto et al. 2003, Jan et al. 2004, Gallego-Escuredo et al. 2013). Il est caractérisé par une diminution de l’expression des gènes impliqués dans la biogenèse des mitochondries (PPARGC1A), l’adipogenèse (PPARG, SREBP1C, CEBPA), le métabolisme lipidique (LPL, FASN, LIPE, FABP4, CD36) et glucidique (GLUT4) (Giralt et al. 2006). In vitro, les traitements par le d4T et l’AZT, et certains PI (LPV, SQV, APV et IDV) sont incriminés dans ces atteintes (Dowell et al. 2000, Caron et al. 2007, Lagathu et al. 2007, Gallego-Escuredo et al. 2010, Diaz-Delfin et al. 2011, Leroyer et al. 2011, Minami et al. 2011, Manente et al. 2012, Walker et al. 2014). Les PI plus récents comme l’ATV/r ou le DRV/r semblent avoir moins d’effets délétères (Kim et al. 2006, Jones et al. 2008, Caso et al. 2010, Minami et al. 2011, Capel et al. 2012, Perez-Matute et al. 2012, Hernandez-Vallejo et al. 2013). En accord avec ces observations, le TASC abdominal des patients lipodystrophiques recevant des molécules de première génération présente des petits adipocytes (Bastard et al. 2002) , une résistance à l’insuline et une diminution de la sécrétion de leptine et de l’adiponectine en réponse à certains NRTI et PI (Cammalleri and Germinario 2003, Rudich et al. 2003, Jan et al. 2004, Hadigan et al. 2006, Caron-Debarle et al. 2010, Giralt et al. 2011, Capel et al. 2012, Klos et al. 2019). L’altération de la différenciation des adipocytes et la mort adipocytaire seraient responsables de la diminution du nombre d’adipocytes et pourraient expliquer la perte de TASC observée chez ces patients.
Prise de poids et nouveaux antirétroviraux : les inhibiteurs d’intégrase
Avec le développement des nouvelles molécules, une prise de poids est souvent observée rapidement après la prise d’ARV en parallèle de la reconstitution immunologique (Koethe et al. 2016). C’est le phénomène de « retour à la santé » (return to health). Cependant, les individus infectés par le VIH prennent plus de poids que les individus de la population générale (Erlandson et al. 2016), avec une accumulation homogène du TA dans le corps aussi bien au niveau des membres qu’au niveau tronculaire (Debroy et al. 2019, Venter et al. 2019).
Des études récentes suggèrent un rôle plus important des INI par rapport aux PI ou aux NNRTI dans la prise de poids (Bhagwat et al. 2017, Bakal et al. 2018, Bourgi et al. 2019) que ce soit chez les patients infectés naïfs de traitement qui débutent une thérapie en combinaison avec un INI (Reynes et al. 2013, Young et al. 2015, McComsey et al. 2016, Menard et al. 2017, Group 2019, Venter et al. 2019, Calmy et al. 2020, Venter et al. 2020) ou chez des patients contrôlés qui changent de classe d’ARV pour un INI (Domingo et al. 2014, Norwood et al. 2017, Waters et al. 2018, Debroy et al. 2019, Gatell et al. 2019, Katlama et al. 2019, Koethe et al. 2020, Lake et al. 2020). La majorité des études cliniques sur la prise de poids sous INI montre un effet plus important du DTG par rapport au RAL et à l’EVG (Norwood et al. 2017, Bourgi et al. 2019, Sax et al. 2019, Bourgi et al. 2020). Le BIC semble avoir des effets similaires sur la prise de poids que le DTG chez les patients naïfs (Sax et al. 2019, Wohl et al. 2019). Il faut cependant rester prudent avec ces études cliniques car de multiples autres facteurs peuvent influencer la prise de poids comme le microbiote, les effets secondaires digestifs liés aux ARV, les modifications de l’humeur et autres troubles psychologiques dont souffrent d’avantage les personnes infectées par le VIH, la mauvaise qualité du sommeil ou encore l’arrêt du tabac, autant de facteurs qui ne sont pas toujours pris en compte dans ces études. L’un des principaux facteurs de risque de la prise de poids sous INI est le genre féminin. De plus, chez les patients naïfs de traitements, une origine afro-américaine, une charge virale élevée, un taux de CD4+ bas, un IMC bas et une prise de TAF sont des facteurs aggravants (Bakal et al. 2018, Bhagwat et al. 2018, Debroy et al. 2019, Hill et al. 2019). Chez les patients sous switch avec un INI, les facteurs aggravants sont l’âge et un IMC élevé (Lake 2019, Lake et al. 2020).